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Changement climatique : l’Alsace menacée de graves inondations

De nombreux scientifiques estiment que le risque d’inondation augmente dans certaines régions, à cause du dérèglement climatique. Entre Vosges et le Rhin, l’Alsace est particulièrement concernée. Mais dans certaines zones rurales, les élus rechignent à mettre en place des mesures de prévention.

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Changement climatique : l’Alsace menacée de graves inondations

« À cause du changement climatique, on aura plus de risques de crues et donc d’inondations », annonce Philippe Ackerer, implacable. Directeur de recherche au CNRS, il travaille sur les prévisions à long terme de débit dans les cours d’eau en Alsace. Daniel Reininger, pilote du réseau eau d’Alsace Nature et chef de service retraité de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), renchérit : « Cet aléa doit être impérativement pris en compte dans l’aménagement du territoire. »

Avec l’augmentation du débit d’eau, les rivières et les fleuves sont en crue et peuvent sortir de leur lit. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Inondations en Allemagne : « En Alsace, on a eu de la chance »

Les 15 et 16 juillet 2021, de fortes précipitations ont causé des dégâts matériels à Wasselonne, Rosheim, Boersch ou encore Bischoffsheim. Durant la même période, en Allemagne et en Belgique, au moins 200 personnes ont trouvé la mort à cause de graves inondations. D’après Daniel Reininger, « la différence, c’est simplement que les précipitations étaient moins fortes en Alsace, on a eu de la chance ». Dans le Nord-Est, au maximum, il est tombé 150 mm de pluie en 48 heures, contre le même volume en seulement 12 heures en Allemagne. L’écologiste commente :

« Le dérèglement climatique implique des phénomènes que nous ne connaissons pas. Alors il faut être humble et appliquer le principe de précaution, en adaptant les aménagements. Comme le préconise le plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) Rhin Meuse, il faut recréer des zones inondables naturelles qui font effet tampon et libèrent l’eau progressivement. Certaines digues doivent être repensées pour que les rivières et canaux s’écoulent moins vite. Les nouvelles zones constructibles nécessitent d’être à distance des aires à risques. En amont des habitations, on préconise les prairies au lieu des champs de maïs, qui favorisent le ruissellement de l’eau en raison de leur faible couverture végétale. »

Le sol d’un champ de maïs est favorable au ruissellement. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Élus en zones à risque mais contre le plan de prévention

Mais les élus locaux ne sont pas toujours de cet avis. Par exemple, le 30 juin, le conseil municipal de Saint-Amarin, dans le sud du Haut-Rhin, s’est prononcé contre le PGRI, estimant « qu’il rend impossible le développement de la commune ». Même chose à Ensisheim le 29 mai, à Ostheim le 4 juin ou encore Rouffach le 22 juin. « Cette vision est très court-termiste », juge Daniel Reininger :

« Souvent, les élus veulent avoir le maximum de surface pour les cultures, le développement économique et les zones constructibles. Donc ils font en sorte que les cours d’eau prennent le moins de place possible, et évitent d’installer des zones naturelles inondables. C’est cet environnement artificialisé qui favorise les crues ingérables. »

En 2016, d’importantes pluies avaient provoqué une inondation à Lochwiller (Photo Alain Philippot).

Plus de crues en hiver à cause du changement climatique

Justement, selon les études du chercheur Philippe Ackerer, « à moyen-long terme, les crues seront probablement plus importantes dans ces villages aux abords des Vosges » :

« Elles sont causées par une forte arrivée d’eau sur une période courte. Aujourd’hui, en hiver, l’eau tombe sous forme de neige dans les Vosges. Elle ruisselle ensuite progressivement, au rythme de la fonte. D’ici 2050 à 2100, il n’y aura quasiment plus de neige en hiver. Les nombreuses précipitations de la saison froide tomberont sous forme de pluie, iront massivement dans les cours d’eau, et provoqueront des crues plus ou moins importantes. Il faudra composer avec. »

Philippe Ackerer, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des prévisions de débit des cours d’eau en Alsace

Aussi, des scientifiques et météorologues estiment que les épisodes de fortes précipitations – y compris en été –, susceptibles de causer des inondations, comme le phénomène de la goutte froide qui a provoqué la catastrophe en Allemagne et en Belgique, seront plus fréquents à cause de l’évolution du climat. Parallèlement, il y aura aussi des périodes de sécheresse.

Le Rhin est sorti de son lit à Kehl le 17 juillet 2021, dans la zone inondable du Jardin des Deux Rives. Photo : remise

L’Eurométropole s’affirme armée contre les crues

À Strasbourg, les responsables politiques semblent plus prudents. Thierry Schaal, vice-président de l’Eurométropole, en charge notamment de la prévention des inondations, se dit en accord avec les principes du PGRI :

« Nous avons en mémoire la crue de la rivière de la Bruche de 1983 qui a causé une grosse inondation à Holtzheim. Depuis, les digues ont été renforcées et sont surveillées. Aujourd’hui, des stations de relevés des niveaux d’eau contrôlent les crues aux abords de Strasbourg. Nous avons aussi, dans les zones à risque, un système d’alerte téléphonique nommé Vigicrue : les personnes inscrites reçoivent un appel téléphonique quelques heures avant les crues que nous pouvons anticiper. Et nous sommes favorables à la restauration de zones inondables. »

Mais le vice-président de l’Eurométropole rappelle que « le risque zéro n’existe pas » et des volumes de précipitations comme ceux observés en Allemagne auraient causé des inondations dramatiques à Strasbourg. « Mais la topographie plate des alentours de la capitale alsacienne couplée à la vigilance des services concernés limitent le danger », expose-t-il.

Le débit du Rhin a quadruplé aux alentours du 16 juillet au Jardin des Deux-Rives. Photo : remise / Rue89 Strasbourg / cc

Le Rhin bien aménagé d’après la VNF

Le Rhin, quant à lui, « est doté d’aménagements de prévention très performants » selon Vincent Steiner, directeur de l’unité territoriale de Voies Navigables de France (VNF) à Strasbourg :

« En général, on est à 1 000 mètres-cube par seconde (m3/s) à Strasbourg. Le 17 juillet, on a relevé 4 000 m3/s, le débit a quadruplé. Nous avons un protocole de mise en place de dispositifs qui absorbent les crues, au fur et à mesure de l’augmentation du débit. Lors de ce dernier épisode de pluie, nous avons inondé le polder d’Erstein et l’île du Rohrschollen. Nous pouvions encore utiliser de nombreux autres ouvrages. Le suivant aurait été le polder de Saint-Louis, plus en amont, mais la crue n’était pas suffisante pour l’alimenter. »

Les risques d’inondation dépendent largement des aménagements prévus Photo : Carte Raphaël Da Silva / Rue89 Strasbourg / cc

Les aménagements autour du Rhin sont prévus pour résister « à un débit de plus de 8 000 m3/seconde », explique Vincent Steiner. De tels niveaux n’ont jamais été mesurés, « ils sont très improbables », assure-t-il. En Alsace, le seul endroit où le Rhin est moins aménagé se situe aux alentours de Roppenheim. Le salarié de VNF assure qu’une équipe d’astreinte surveille cette zone 24h/24 pendant les jours de forte crue. Plus généralement, les digues du Rhin sont contrôlées par des professionnels toutes les semaines. « Grâce à des capteurs de chaleur, les éventuels débuts de fuite sont immédiatement détectés et traités », ajoute-t-il.

L’île du Rohrschollen est une zone inondable qui permet d’absorber de l’eau et de limiter les crues. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Contactés par Rue89 Strasbourg, les services de l’État responsables de la surveillance des crues et de la prévention des inondations n’ont pas été autorisés à communiquer par la préfecture.


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