
À Strasbourg, comme dans le reste de la France, les étrangers en France doivent désormais demander ou renouveler leurs titres de séjour en prenant rendez-vous par Internet. Mais le site de la préfecture n’est disponible que du dimanche minuit au lundi 10h… Résultat : une file numérique se forme chaque semaine, fort pratique car invisible mais aux effets délétères bien réels pour les étrangers.
Mardi 5 juin, la préfecture du Bas-Rhin a vu son parvis envahi par des membres et sympathisants d’associations d’aide aux personnes étrangères, telles que Médecins du monde et la Cimade. Une cinquantaine de personnes ont voulu alerter sur les conséquences de la dématérialisation des procédures sur les étrangers en France. Depuis 2012, les prises de rendez-vous pour une inscription ou le renouvellement d’un titre de séjour se déroulent uniquement sur Internet. Et cette partie du site de la préfecture du Bas-Rhin n’est ouverte que les lundis matins, de minuit à 10h.
Françoise Poujoulet, déléguée de la Cimade pour l’Alsace et la Lorraine, ne voit aucun intérêt dans cette procédure numérique :
« Les publics que nous accompagnons n’ont ni connexion internet, ni matériel informatique. Les gens attendent donc plus longtemps pour être régularisés, et durant ce temps ils n’ont pas de vie… Ils vivent dans l’angoisse d’un contrôle. L’accueil en préfecture a toujours été problématique, mais avec la dématérialisation il y a une gestion assumée de la pénurie d’effectifs, avec un manque de plages disponibles qui pénalise directement les étrangers. »
C’est le cas d’une réfugiée rencontrée, que nous appellerons Fatou pour conserver son anonymat :
« J’ai essayé de prendre rendez-vous plusieurs fois par internet pour un titre de séjour, mais il n’y avait pas de plage disponible. J’ai essayé pendant deux mois puis j’ai fini par me rendre à la préfecture directement. Là, on m’a remis une autre adresse internet pour m’inscrire… Comme j’avais de très grosses douleurs à la tête, je me suis rendu à l’hôpital civil. Avec l’aide de l’assistante sociale sur place, on a de nouveau essayé de prendre rendez-vous à la préfecture… mais toujours impossible. Je suis ensuite allé voir l’association Médecins du monde, et au bout de trois mois on a réussi à avoir un rendez-vous… deux mois plus tard ! J’ai donc mis 7 mois pour avoir un papier à montrer en cas de contrôle de la police. Pendant deux ans ma vie a été très compliquée. »
« Le troisième dimanche soir, j’ai enfin pu obtenir un rendez-vous »
Nahed Pust, retraitée et bénévole depuis 12 ans au Collectif Judeo-Arabe et Citoyen pour la Palestine (CACP), aide régulièrement les demandeurs d’asile à prendre des rendez-vous car elle parle différentes langues arabes. Elle a essayé, depuis chez elle, par trois fois de prendre un rendez-vous sur le site de la préfecture pour une seule et même famille :
« Avant d’accéder aux plages des rendez-vous, il y a deux pages à lire dans un français très compliqué. La famille palestinienne que je suivais alors, ne parlait pas français. Le premier dimanche soir, à minuit, je n’ai pas réussi à accéder au calendrier pour prendre un rendez-vous. Le deuxième dimanche soir, j’ai pu enfin accéder au calendrier, j’ai cliqué sur mardi, et le temps que je fasse le code pour reconnaître que je n’étais pas un robot, la date avait été prise par un autre usager. Le troisième dimanche soir, j’ai décidé de choisir directement le vendredi, et là j’ai pu avoir un rendez-vous pour deux mois plus tard. »

Lors de la manifestation du 5 juin, les militants avaient apporté des captures d’écran du site de la préfecture (photo Salem Slimani / Rue89 Strasbourg / cc)
Mêmes difficultés rencontrées par Alain Kauff, citoyen engagé dans l’aide aux réfugiés. Il a suivi durant plusieurs mois un groupe de 12 jeunes migrants arrivant de Calais :
« Impossible pour ces jeunes de faire cette démarche d’inscription avec leurs smartphones, pour ceux qui en possèdent un. Il leur faut d’abord trouver un accès à un ordinateur, ce qui n’est pas évident. Le plus dur est ensuite d’accéder au calendrier. Les textes sont écrits si petits et dans un français subtil. Pour un réfugié débutant en français, il faut environ 50 minutes pour accéder aux plages des rendez-vous. »
Dilara est assistante sociale à Médecins du monde, elle décrit une réalité occultée par la numérisation des procédures :
« Avant les files d’attente étaient visibles devant la préfecture, c’était beaucoup plus scandaleux, maintenant les files d’attente sont devenues numériques. C’est pratique pour la préfecture car personne ne les voit mais les réfugiés passent leur temps à attendre, attendre d’avoir une inscription, attendre aux frontières, attendre d’avoir ses papiers… C’est l’attente constante. Et nos institutions en France reproduisent ça. »
De son côté, la préfecture du Bas-Rhin indique qu’un dispositif est mis en place pour les usagers en difficulté avec l’informatique. Yves Séguy, secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin et sous-préfet de l’arrondissement de Strasbourg, détaille :
« Le sens de l’histoire est de négocier le tournant numérique, d’avoir de plus en plus de services dématérialisés. En préfecture et en sous-préfecture, nous avons « mon point numérique, » qui propose des ordinateurs en accès libre avec l’aide des agents de la préfecture et des services civiques. Ce dispositif peut servir aux étrangers pour une première inscription. »
« La préfecture n’est plus la salle des pas-perdus »
Toujours selon Yves Séguy, il y a désormais une meilleure qualité d’accueil et de service au sein de la préfecture :
« Grâce à ce système, nous avons mis fin aux files d’attentes. La salle de la préfecture n’est plus une salle des pas-perdus. Ça me paraît être un élément de qualité pour des publics qui demandent une carte de séjour. Le dispositif séjour compte 9 guichets plus deux guichets hors rendez-vous pour gérer les urgences. Ce dispositif a été mis en place depuis mai, auparavant il y avait 4 guichets. »
L’administration précise que l’accueil est passé de 4 à 6 guichets ouverts en 2016 à 11 guichets, tout en répondant aux démarches en ligne. Mais l’existence de ces guichets d’urgence surprend les associations d’aide aux étrangers. Pour Dilara, « ni les bénéficiaires, ni les travailleurs sociaux n’ont jamais entendu parler de guichets d’urgence. » Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde, en a appris l’existence que très récemment :
« Quand on demande à la préfecture comment mes guichets d’urgence fonctionnent pour savoir comment orienter nos publics, on n’a pas de réponse. On nous dit qu’on ne veut pas qu’il y ait trop de monde qui se présente à ces guichets… Mais il faut mettre les moyens nécessaires pour aider et accompagner les personnes précaires, qui forment le public le plus en recherche de protection. »
Pour la préfecture, l’idée n’est pas de faire la publicité de ces guichets d’urgence afin de ne pas parasiter l’inscription en ligne :
« Il ne faut pas troubler le dispositif numérique, les situations d’urgence doivent rester exceptionnelles. On ne peut pas avoir une démarche organisée et à côté avoir des files d’attente d’urgences. »
80% de demandes non-abouties, selon le robot de la Cimade
Face à l’augmentation des difficultés d’inscription, la Cimade a décidé de collecter des chiffres pour prouver les difficultés rencontrées par les étrangers. L’association a développé un logiciel qui « simule le comportement d’une personne et tente de prendre rendez-vous ». Ce robot, effectue une visite toutes les heures, pour chaque planning d’ouverture de chaque préfecture en France.
Les résultats concernant le préfecture de Strasbourg sont plutôt mauvais. Prenons l’exemple d’étrangers ayant obtenu de l’OFPRA une protection internationale de la France (réfugié, protection subsidiaire, apatride). Entre mars et mai 2018, 80% de ces personnes n’ont pas pu prendre de rendez-vous, faute de date disponible.
Pour Médecins du Monde, cette dématérialisation a également des conséquences néfastes sur la santé des étrangers. Nicolas Fuchs explique :
« Nous constatons que ces gens n’ont pas de droits, faute d’y avoir seulement accès. Une demande en préfecture permet normalement d’enclencher leur demande d’asile et de bénéficier de l’Aide Médicale d’Etat (AME) pour 3 mois. On reçoit donc un grand nombre de personnes sans couverture médicale. Une personne qui arriverait en France en très bonne santé ne le resterait pas, faute d’accès à des services de santé, faute d’hébergement. Donc on ne fait qu’aggraver les situations. C’est un mauvais calcul pour la santé publique sur notre territoire. »
Pour Yves Séguy de la préfecture du Bas-Rhin, le dispositif actuel n’est pas parfait, mais va connaître des évolutions :
« Le dispositif tel qu’il est aujourd’hui est remis à jour tous les lundis à minuit. C’est un dispositif national, on n’a pas la main dessus. Il serait mieux de faire la mise à jour le lundi à 14h par exemple, c’est vrai que c’est un peu ridicule de se lever la nuit pour faire une inscription en ligne. On a fait remonter les informations. Le système offre une vue des rendez-vous sur deux mois, là aussi on aurait pu étendre la plage de prise de rendez-vous, mais on se rend compte qu’au-delà le taux de rendez-vous non honorés est important. Aujourd’hui, on a 15% d’absentéisme, c’est pourquoi on travaille sur la possibilité de rappel de rendez-vous par sms. »
le problème vient peut être aussi des associations qui ne sont jamais heureuse et satisfaites .... il es plus facile de se plaindre que de proposer des solutions ou d'accompagner correctement ceux qui en ont besoin .... Travaillant moi même avec des étrangers , je vois trop souvent des étrangers me dire que les associations ne leur ont pas donner toutes les informations nécessaires pour que leur rendez vous se passent bien ( comme la liste des pièces demandées par exemple)...et que du coup ils doivent recommencer leur chemin de croix en reprenant rendez vous...
alors cher associations remettez vous un peu en cause également , certes le système est imparfait du fait de la demande , mais il est tout de même mieux qu'avant... à moins que vous ne préféreriez attendre des heures sans certitude de pouvoir déposer votre dossier???
Si les étudiants, notamment des gens brillants que je connais, passent leur temps à galérer pour prendre un rdv pour un titre de séjour, je vous garantie qu'ils iront vers d'autres pays où leur savoir, acquis en France, bénéficiera aux autres, notamment pour l'Allemagne et les USA.
Notre Mer qui es si bleue
Que ton Nom soit partagé
Que ton horizon nous fasse renaître
Que ta volonté et ta miséricorde nous acceptent
Offre-nous aujourd'hui notre Triton de ce jour
Comme une trompette de la renommée
Et non plus comme un cercueil
Pardonne-nous nos défaites et nos deuils
Comme nous pardonnerons à nos bourreaux
Et ne nous soumets pas aux quotas
Mais délivre l' Europe de ses peurs et de ses carcans
Georges Yoram Federmann
Strasbourg
20 mai 2015
Merci pour cet article important, éclairant et intéressant.
Cependant, serait-il possible d'indiquer au coordinateur de Médecins du Monde que les demandeurs et demandeuses d'asile ne relèvent pas de l'AME, mais du droit commun ? C'est un peu problématique, en représentant une telle association, de ne pas connaître les droits des publics accueillis. La cause des personnes migrantes est déjà suffisamment peu audible pour ne pas souffrir des approximations "d'experts" qui décrédibilisent un discours déjà complexe et brouillé.
Bonne journée
La page indique ">>> NOUVEAU : OUVERTURE DES RENDEZ-VOUS LUNDI A 10H00 <<<
ce qui me semble contradictoire avec les informations que vous donnez...?
Effectivement, même pour un francophone le service est difficile à comprendre et à utiliser. Et il n'y avait "aucune plage horaire disponible"...
Effectivement depuis hier cette information de prise de rdv les lundis matin 10h apparaît sur le site internet de la préfecture du Bas-Rhin. Nous avons sollicité la préfecture pour avoir davantage d explication. Merci pour votre message. Cordialement, Salem Slimani.
Cet article m’exaspère et les commentaires également !
Qui se préoccupe :
- des personnes âgées,
- des retraités qui touchent des retraites minables et qui ne se plaignent pas (après de nombreuses années de travail et de cotisations).
- Etc... (et la liste est longue).
Cela suffit maintenant avec ces histoires d’étrangers qui seront pris en charge par le contribuable Français.
Rien n’est jamais assez bien... vous pensez que c’est mieux ailleurs !!!
Je trouve cela lamentable que de critiquer les Services de la Préfecture.
Il faut toujours faire ceci, faire cela pour des « réfugiés » qui ne parlerons d’ailleurs jamais vraiment le Français...
Et qui une fois bien implanté se fichent bien de nous et de notre pays (nous ne sommes qu’un gros portefeuille).
Et tant pis si cela va choquer, mais nous « Français » ne nous sentons plus chez nous en France !!!
STOP STOP STOP À TOUTE VOTRE CONNERIE.
D'avril à juin 2017 j'ai vécu un enfer ! Attentes interminables sous un soleil de plomb sur le parvis du batiment,refus et retour à la case départ, un jour j'ai fini par déposer la demande de renouvellement de carte de séjour de Mme X. Dans une ambiance délétère et pesante, la guichetière (peu aimable) m'avait expliqué qu'elle n'avait pu prendre ses congés et qu'il lui arrivait de ne pas manger à la pause déjeuner. Pause qu'elle n'avait pas car sa hiérarchie lui ordonnait de rester à sa place tant il y avait de travail. Bien. J'aime à voir travailler les fonctionnaires mais j'ai tout de même eu pitié. Cela dit, mon dossier a été perdu deux fois. Un ultime jour de juin, une responsable m'explique (après 3h d'attente) que mon dossier "sera traité dans les meilleurs délais mais qu'il y a du stock". Je n'ai jamais reçu la carte de MmeX. Début 2018, je prends mon courage et après quelques essais infructueux, j'obtiens un rendez-vous. ouf ! Arrivée dans le grand hall, pétrie d'angoisse, je vois déjà que les têtes ont changé. Des sourires s'affichent sur les visages des personnels aux guichets. Une jeune femme me reçoit avec 10mn de retard (soit !) mais le dossier était toujours bloqué. Elle m'a dit qu'elle appelait la responsable. j'ai craint devoir attendre 3h encore. Mais non, une dame ayant l'air nouvelle aussi mais dynamique et décidée a pris les choses en mains et débloqué l'affaire en 5mn. Que dire ? on peut critiquer encore mais j'ai envie d'applaudir ce changement notable. Je préfère attendre chez moi que dans la rue et voir des visages humains et polis que des revêches aigris. C'est mon sentiment.
Merci à Rue89 de s'être penché sur ce grand scandale du non-droit des étrangers en France.