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26/05/2025 date de fin
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Face aux classements sans suite des violences sexuelles, un réseau de soutien informel

En France, un viol a lieu toutes les six minutes. Pourtant, la majorité des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Obtenir justice est donc un combat presque perdu d’avance pour les victimes.

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Face aux classements sans suite des violences sexuelles, un réseau de soutien informel

Plus des trois quarts des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Pour les viols, ce serait même plus de 95%. Les victimes n’auraient donc quasiment aucune chance d’obtenir une réparation judiciaire suite à leur traumatisme.

Lorsqu’il y a classement sans suite, cela signifie que le procureur de la République décide, au moment de l’enquête policière, de ne pas poursuivre : il n’y aura pas de procès. C’est une décision souvent motivée par un manque de matérialité des preuves. Elle est différente du non-lieu, qui est prononcé par un juge pour arrêter la procédure judiciaire en cas d’absence de preuve notamment. Quant à l’acquittement ou la relaxe, ce sont des jugements prononcés après une audience, lorsque la culpabilité d’un prévenu ou d’un accusé n’a pas été suffisamment prouvée.

Avocate depuis 2008 en matière pénale, aux affaires familiales et à l’assistance éducative, Me Caroline Bolla traite principalement de dossiers de victimes de violences sexuelles et doit aider ses client·es à faire face à cette décision qui leur semble violente et injuste. « Mon rôle, c’est de leur dire que le classement sans suite ne veut pas dire qu’elles mentent, » précise-t-elle.

Caroline Bolla au palais de justice de Strasbourg en décembre 2020

L’échec de la procédure judiciaire

Bien souvent, l’information du classement sans suite d’une plainte n’est pas transmise aux victimes, qui peuvent rester des mois, voire des années, sans nouvelle. Ce sont les avocats qui doivent contacter le procureur ou les enquêteurs pour obtenir ces informations. « Quand c’est à moi d’annoncer le classement sans suite, précise Me Bolla, il faut que je gère l’émotion que ça provoque chez ma cliente, ce qui peut être compliqué, surtout si elle est mineure. »

Cette décision peut être très compliquée à accepter et certaines victimes coupent le contact avec l’avocate, qui représente pour elles « l’échec de la procédure judiciaire ». D’autres choisissent de continuer à la rencontrer, parfois juste pour discuter ou pour tenter de relancer la procédure :

« En cas de classement sans suite, on peut solliciter le parquet général à Colmar, pour que le dossier soit relu. Et si ça ne fonctionne pas, on peut faire appel à la chambre d’instruction. »

Mais une nouvelle fois, ces recours ont peu de chance d’aboutir. L’avocate n’y voit pas un dysfonctionnement de la justice mais un résultat de son engorgement : trop de dossiers en souffrance et un personnel en sous-effectif. Des enquêtes sont parfois bâclées ou restent en suspens indéfiniment. Une torture pour les victimes : « Certaines me disent qu’elles préfèreraient qu’on leur dise que la plainte est classée sans suite, plutôt que d’attendre sans nouvelle », pointe Me Bolla.

Accompagner le dépôt de plainte

Eva Icard est coordinatrice du pôle accueil-écoute-info de l’association Ru’elles Strasbourg, qui accompagne des victimes de violences sexistes et sexuelles. Le numéro de permanence téléphonique de l’association (07 56 91 34 29) est actif du lundi au vendredi grâce une dizaine de bénévoles.

Son rôle est d’écouter mais aussi de prévenir les plaignantes du risque élevé de classement sans suite. Une issue qui n’est pas toujours claire pour elles et qu’elles ressentent comme un « déni de l’existence des violences » :

« Quand on s’attend à obtenir réparation en portant plainte, c’est très difficile de recevoir une notification de classement. Il se développe un sentiment d’injustice, de méfiance et de ne pas être protégées par le système judiciaire. »

Anna Matteoli, juriste et directrice du Centre d’information du droit des femmes et des familles du Bas-Rhin (CIDFF), précise :

« Quand on n’est pas juriste et qu’on n’y a jamais été confronté, on ne connaît pas forcément la différence entre un classement sans suite et un non-lieu, par exemple. Ou on n’a pas forcément conscience qu’on peut engager une nouvelle procédure lorsque la plainte est classée. Et même quand elles engagent toutes les procédures inimaginables, les victimes doivent souvent se faire à l’idée qu’elles n’obtiendront jamais la justice qu’elles méritent. »

Les victimes comptent sur la justice pour entamer leur processus de reconstruction mais les procédures, souvent violentes par leur longueur, sont difficiles à supporter pour des personnes déjà traumatisées. Le CIDFF et Ru’elles se chargent donc aussi de rediriger les personnes qui le souhaitent vers des psychologues, pour qu’elles puissent « cheminer dans leur parcours de réparation quand la réparation judiciaire ne fonctionne pas ».

L’impact psychologique de la justice

Polina Mengin est psychologue à Strasbourg, spécialisée notamment dans le traitement des traumatismes. Lorsqu’elle est confrontée à un classement sans suite pour violences sexuelles, son approche en début de psychothérapie diffère : 

« La première chose que je fais, c’est voir comment la personne se sent par rapport aux procédures judiciaires, terminées ou en cours. La plupart du temps, elle ne se sent pas bien. L’important c’est qu’elle ait conscience que son mal-être est justifié. »

Elle décrit le sentiment d’injustice, de rejet par la justice, qui les habite. Dans ces cas-là, elle préfère amorcer une psychologie de soutien avant la psychothérapie : « Les personnes ont d’abord besoin d’énergie, de ressources pour faire face à leurs traumatismes. » Elle insiste sur l’importance de l’entourage, qui pousse souvent la victime à entamer une thérapie.

Formations pour les forces de l’ordre

Pourtant, le traitement des plaintes des victimes de violences sexuelles s’est amélioré selon les associations sollicitées. Les victimes sont davantage prises au sérieux qu’il y a 10 ou 20 ans, suite à des formations dispensées aux forces de l’ordre. Le CIDFF se charge de certaines de ses formations comme le rappelle Anna Matteoli :

« On rappelle les fondamentaux sur les violences faites aux femmes. On y réunit à la fois les forces de l’ordre mais aussi des juristes, des psys, des associations… L’important c’est de montrer à quel point le phénomène des violences sexistes et sexuelles est complexe.”

Eva Icard est quant à elle intervenante au centre psychosocial de l’hôtel de police de Strasbourg. Elle travaille avec les policiers, qui peuvent venir la consulter pour savoir comment bien réagir et prendre les plaintes des victimes.

Introduire le consentement dans la définition du viol

Anna Matteoli rappelle que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour le traitement judiciaire de ces violences. Elle dénonce la « victimisation secondaire » des agresseurs et explique que le processus est biaisé par des « stéréotypes de genre », c’est-à-dire une culpabilisation de la victime selon son attitude, sa tenue, ou les rapports qu’elle entretenait avec l’agresseur.

Pour elle, pour que les violences sexuelles soient davantage punies, il faut suivre la convention d’Istanbul, signée par la France en 2011. Ce traité international du Conseil de l’Europe porte sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. L’un de ses articles fait entrer la notion de consentement dans la définition du viol, ce qui n’est pas le cas dans le code pénal :

« On entend qu’introduire le consentement dans cette définition reviendrait à contractualiser nos relations sexuelles : c’est une phrase toute faite et clichée, comme “on ne peut plus rien dire”. En fait, parler de consentement en amont d’une relation sexuelle c’est tout simplement s’intéresser à l’autre, faire preuve d’empathie et de respect. »

Une proposition de loi en ce sens a été présentée en février par 59 députés de La France insoumise. Elle doit être examinée par la commission des lois.


#Justice

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