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La Chambre régionale des comptes s’inquiète des finances des hôpitaux de Mulhouse

En octobre, la Chambre régionale des comptes du Grand Est a rendu un rapport sur la situation du Groupe hospitalier Mulhouse sud Alsace (GHRMSA). Les magistrats financiers doutent des capacités des hôpitaux à redresser la situation.

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La Chambre régionale des comptes s’inquiète des finances des hôpitaux de Mulhouse

La Chambre régionale des comptes du Grand Est a émis six rappels au droit et six recommandations à l’attention du Groupe hospitalier Mulhouse sud Alsace (GHRMSA) dans un rapport publié en octobre. Le document fait ressortir une situation financière très délicate des hôpitaux publics mulhousiens : 

« La chambre relève l’inquiétante dégradation financière du GHRMSA dans un contexte de crise sanitaire qui amplifie ses difficultés. Elle demande à l’établissement de s’inscrire dans une stratégie visant à restructurer son offre de soins, favoriser l’attractivité médicale et améliorer sa performance de gestion. »

Le GHRMSA compte 2 578 lits, 6 222 agents dont 901 personnels médicaux. Il doit répondre aux besoins d’un bassin de population de 475 000 personnes entre Mulhouse et Saint-Louis. La fusion qui a concerné au cours des dernières années neufs établissements a augmenté ses capacités de 29% mais a fragilisé l’ensemble financièrement selon les magistrats financiers. 

L’hôpital Femme mère enfant entré en fonction en 2018 Photo : GHRMSA / doc remis

Le déficit cumulé créé par deux processus de fusion successifs (2015 et 2017) s’élève à 62,7 millions d’euros et le GHRMSA ne parvient pas à le réduire. Ces rapprochements décidés devaient permettre une meilleure logique de l’offre de soin : éviter les doublons, regrouper les pôles techniques et les spécialités lourdes sans entamer la proximité.  En bref une restructuration de l’ensemble de l’offre de santé sur le bassin concerné, qui suit aussi les tendances lourdes nationales : plus d’ambulatoire et moins de lits hospitaliers.  

Absence de choix stratégiques clairs

« Depuis,le GHRMSA dispose d’orientations sans que des choix stratégiques clairs ne soient arrêtés », estime la chambre. Dans les faits, ils impliquent par exemple la fermeture des services d’urgences à Thann et Altkirch, de même que la transformation de maternités en « centres de périnatalité de proximité. » En d’autres termes, l’offre de soins se réduit.

Le rapport s’intéresse aux comptes de 2016 à 2019, mais la chambre note l’impact du Covid sur le groupe hospitalier : « la crise sanitaire amplifie les difficultés. » À la date du rapport, 20% des postes de médecins seniors étaient vacants. Comme ailleurs en France certaines spécialités sont en tension (réanimation, anesthésie, radiologie etc…) mais le contexte local joue aussi selon les conclusions :

« Les difficultés d’attractivité médicale et paramédicale se traduisent par l’augmentation de près de 5% du poste rémunération extérieure (intérim médical et remplacements). La grave crise des urgences traversée par l’établissement en 2018 et 2019 n’a fait qu’amplifier la hausse de ces dépenses. »

Une vue de l’hôpital Emile Müller à Mulhouse Photo : GHRMSA / doc remis

La crise est aggravée aussi par les refus de vaccination qui ont concerné 170 personnes au GHRMSA, le recours à du personnel pour les remplacer a fortement pesé sur les finances du groupe qui, contacté par Rue89 Strasbourg, n’a pas souhaité répondre sur ce point. La concurrence de la médecine privée que représente les établissements du Diaconat pèse aussi dans les performances du groupe public comme le note la juridiction :

« Son activité s’effrite progressivement. [Le GHRMSA] perd des parts de marché en médecine et en chirurgie malgré le virage ambulatoire pris et ne bénéficie pas des effets de l’élargissement de son périmètre. Seule son activité d’obstétrique est dynamique et atteste d’un positionnement favorable dans l’offre de soins. »

Appui de l’État insuffisant

Dans sa réponse envoyée en janvier 2022, la directrice du Groupe, Corinne Krencker, reconnaît les difficultés, elle souligne toutefois que des chantiers « permettant optimisation des recettes et des dépenses sont lancés pour améliorer la performance globale de l’établissement » mais plaide : 

« La multiplicité des sites, l’éclatement des activités à différents endroits du territoire dans un objectif bien compris d’un accès de la population à une offre de soins de proximité, ajouté au passif financier antérieur rendent les perspectives de retour à l’équilibre financier difficiles sans accompagnement financier conséquent. (…) L’enveloppe allouée par l’État dans le cadre de reprise de dette ne suffira pas. »

Des Ehpads délaissés

Plus loin, la Chambre s’intéresse aussi à la situation de deux Ehpad du GHRMSA à Mulhouse (Émile Muller avec 77 places et Haserein avec 80 places). Ils accueillent les populations les plus précaires de la zone, des personnes âgées dont les familles ne peuvent suive les prix pratiqués dans le secteur privé. Le rapport tient d’abord à mettre en évidence l’anticipation dont les établissements ont fait preuve face à l’épidémie de Covid-19, particulièrement violente dans le département. Résultat : « Dans les EHPAD de Mulhouse, le taux de cas Covid-19 confirmés des résidents est faible (3,4 % des lits ouverts) tout comme le taux de décès (5,1 %) » sans qu’il soit possible de tous les lier à l’épidémie. 

Le reste du constat est glaçant. Les conditions d’accueil et de travail des personnels apparaissent extrêmement dégradées, et ce depuis plusieurs années, le projet de remise en état ayant été repoussé à plusieurs reprises. Les évaluations obligatoires (internes et externes) n’ont pas été réalisées depuis 2013 et 2014. Elles doivent pourtant intervenir tous les cinq ans pour l’obtention de l’autorisation d’activité. La Chambre régionale des comptes émet d’ailleurs un rappel au droit à ce propos.

La reconstruction des Ehpad mulhousiens étaient prévus dans le plan de développement adopté en 2010. La vétusté des locaux a obligé l’établissement à fermer 40 lits. En 2018, comme le rappelle la Chambre régionale des comptes, l’Agence régionale de santé (ARS) effectue une visite et remarque à cette occasion : 

« (…) une dégradation très importante des conditions d’accueil et d’hébergement ainsi qu’une altération manifeste des règles de sécurité des soins. Les trois pavillons de ce site sont distants de plusieurs mètres et demandent au personnel soignant un passage systématique avec les chariots de soins par l’extérieur, quelles que soient les conditions climatiques. »

Les temporisations de l’ARS

L’Agence régionale de santé note aussi à l’issue de cette visite la difficulté d’accès des brancards-douche et lève-malade dans les chambres mais, s’étonne la Chambre « sans pour autant inviter l’établissement à accélérer l’élaboration d’un projet de reconstruction. »

Contactée par Rue89 Strasbourg, l’ARS n’a pas répondu aux questions sur la situation des Ehpad mulhousien et produit une réponse écrite, globale et non chiffrée sur la restructuration et la fusion des offres de soins entreprise il y a plusieurs années :

« Le travail doit être poursuivi, avec le soutien de l’ARS, pour consolider ces opérations et garantir une structuration de l’offre cohérente et soutenable. Ce soutien de l’ARS se manifeste notamment, au plan des investissements, par des aides significatives à la reconstruction des urgences – réanimations et des Ehpad du site mulhousien du GHRMSA. »

Vue de l’hôpital Emile Müller à Mulhouse Photo : GHRMSA / doc remis

Sollicité par Rue89 Strasbourg, le GHRSMA répond avoir adopté un plan d’actions suite à ce rapport de la Chambre régionale des comptes avec plusieurs mesures :

« (…) nombre d’entre elles sont formalisées déjà dans le projet d’établissement 2021-2025, comme la reconstruction de l’Ehpad mulhousien et la réalisation des évaluations internes et externes dans le secteur médico-social. »

Destinataire comme l’ARS d’un rapport sur la situation des Ehpad du groupe, la Collectivité européenne d’Alsace n’a pas répondu à nos questions.

La polyclinique des Trois frontières

Le rapport de la juridiction financière souligne aussi le dispositif problématique mis en place dès 2013 avec la polyclinique des Trois frontières à Saint-Louis. Lorsque poussé par l’ARS, le GHRMSA se rapproche de cette structure privée en difficulté, pour y développer ses activités afin de répondre aux besoins d’un bassin de population 92 000 personnes, il acquiert 80% des parts sociales, et assume les charges et les dettes de la structure d’ensemble à 95%. La Chambre régionale des comptes relève :

« Ces engagements au sein de cette structure présentent des risques financiers et la chambre relève en outre une complexité juridique, un manque de transparence, ainsi qu’une irrégularité financière entre les deux structures. »

Grâce à cette opération, la polyclinique des Trois frontières a échappé à la liquidation financière, et en vertu d’un jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 10 novembre, a été cédée au GHRMSA. Mais le plan de reprise prévoit que 30% du personnel sera licencié. Sur place, beaucoup s’alarment de la disparition de services essentiels (endoscopie, chirurgie par exemple), comme rapporte L’Alsace.

Sollicité, le GHRSMA renvoie à un communiqué de presse diffusé au début du mois où il met en avant le maintien des urgences 24h/24, des « consultations de médecine de spécialités et de chirurgie » et l’installation prochaine d’une « unité de psychiatrie de l’adulte et de l’enfant ».


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