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Après les démantèlements, des demandeurs d’asiles logés dans des conditions indignes

Pas de chauffage, coupures d’électricité, couvre-feu à 21h… Les conditions d’accueil des demandeurs d’asile sont parfois très difficiles et non-conformes au cadre réglementaire dans les hébergements qui leur sont dédiés par l’État. Après l’évacuation du camp des Ducs d’Alsace, 17 familles ont été placées dans un ancien hôtel à Lingolsheim qui accueille 200 personnes. Reportage.

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Après les démantèlements, des demandeurs d’asiles logés dans des conditions indignes

« Un jour, il y avait des centaines d’asticots dans le couloir qui est à côté des poubelles. Et on ne compte plus les cafards. Il faudrait plus de bennes et un entretien adapté. » Elene (tous les noms ont été changés dans l’article et les chambres des personnes qui témoignent n’apparaissent pas sur les photos) vit depuis plusieurs mois dans un ancien hôtel, transformé en centre d’hébergement d’urgence de demandeurs d’asile (HUDA).

Des dizaines de sacs de déchets sont entassés, ce qui peut permettre la prolifération d’asticots. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Géré par l’association Horizon Amitié, celui-ci se trouve au 7 rue de la gare aux marchandises à Lingolsheim. 17 familles qui vivaient au camp des Ducs d’Alsace, démantelé le 22 octobre, ont été orientées là par les services de l’État. En tout, 236 personnes avaient été placées dans différentes structures ou sont en cours d’expulsion.

Cet ancien hôtel situé à Lingolsheim abrite maintenant des demandeurs d’asile. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

« Il peut littéralement pleuvoir dans les chambres. »

Elene rend compte de nombreux éléments non-conformes au règlement intérieur des HUDA :

« Dans ma chambre comme dans beaucoup d’autres, il n’y a pas de chauffage, l’électricité est souvent coupé et l’eau chaude ne fonctionne pas. Chez d’autres, il y a parfois des fuites d’eau, il manque des joints au niveau de certaines fenêtres donc il peut littéralement pleuvoir dans les chambres. Un jour, il y a même une fenêtre qui s’est effondrée chez quelqu’un… heureusement, il n’y avait personne en dessous. »

En théorie, les gestionnaires de ces établissements « doivent prendre en charge les consommations raisonnables de gaz, d’eau et d’électricité » comme l’indique l’arrêté du 19 juin 2019 relatif au règlement de fonctionnement des hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile.

2 à 4 personnes dans des chambres de 10 à 12 m²

Dans l’HUDA de Lingolsheim vivent presque 200 personnes en provenance d’Europe de l’Est et d’Afrique. Elles restent sur des périodes très variables, pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois. Sur 3 étages, on compte environ 75 chambres de 10 à 12m², avec des salles de bains de 3m². Familles ou regroupements de personnes isolées, ce sont 2 à 4 individus qui vivent ensemble dans ces pièces. La surface minimale de 7,5 m² par personne isolée, fixée par le cahier des charges des lieux d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, n’est donc pas toujours respectée.

2 à 4 personnes cohabitent dans des chambres d’à peu près 10 m². (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)
Ces micro-logements comportent tout de même des salles de bains, mais l’eau chaude ne fonctionne pas toujours. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Un règlement à l’encontre de l’arrêté ministériel

Certaines règles durcissent la vie des usagers. Par exemple, un couvre-feu est instauré à 21h. Dans d’autres lieux de ce type, c’est même 20h30. Ceci n’est pas en accord avec l’arrêté du 19 juin : les demandeurs d’asile peuvent s’absenter pour une durée pouvant aller de 24h à 1 semaine s’ils en « informent préalablement le gestionnaire de l’établissement. » Une absence supérieure à 1 semaine doit être justifiée. » Irina, qui vit aussi dans le centre, témoigne à ce sujet :

« C’est souvent impossible de faire du bénévolat ou des activités sportives. On est censés rester dans nos chambres à partir de 21h, dans le noir s’il n’y a pas d’électricité. Il faut bien se rendre compte que c’est tous les jours, tout le temps, c’est très infantilisant. »

5 plaques de cuisson pour 200 personnes

Dans le bâtiment, l’équipement électroménager fait également défaut, comme le fait remarquer Yvan, qui se lève souvent à 6h30 pour avoir le temps de cuisiner pour lui et ses enfants :

« Pour 200 personnes, on a seulement deux fours et 5 plaques de cuisson avec deux emplacements pour casseroles à chaque fois. Ça fait 10 casseroles en tout qui peuvent chauffer en même temps… Il y a une seule machine à laver, un seul sèche-linge… En plus, à cause des normes de sécurité, on ne peut brancher aucun appareil électroménager dans nos chambres. »

La cuisine pour 200 personnes : on compte 5 plaques de cuisson et deux fours dans la cuisine collective pour tous les résidents du centre d’hébergement. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)
Il n’y a qu’une seule machine à laver, et qu’un seul sèche-linge pour 200 personnes. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)
Il est interdit de brancher du matériel électroménager dans les chambres. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

La préfecture, qui finance l’hébergement des demandeurs d’asile, ne trouve rien à redire :

« L’État assure l’accueil des demandeurs d’asile en leur garantissant un logement et en veillant à leurs besoins particuliers liés à leur état de vulnérabilité ou à la préservation de l’unité familiale. Nos services ont effectué plusieurs visites dans l’HUDA de Lingolsheim depuis son ouverture, dont une dernière le 11 juillet 2019. Ils ont constaté un fonctionnement normal avec un effort de renouvellement des équipements par l’association (lits, matelas et meubles). »

En tout à Strasbourg, suite à des démantèlements, plus de 1000 demandeurs d’asile ont été pris en charge en 2019. Un partie sont orientés vers des logements de ce type. Au total, 3400 places d’hébergement pour demandeurs d’asile sont financées par l’État dans le Bas-Rhin en 2019. L’immense majorité se trouve dans l’Eurométropole.

Un cas loin d’être isolé

« Le cas du centre de Lingolsheim n’est pas isolé, d’autres HUDA, ou même des CADA (centre d’hébergement pour demandeurs d’asile) présentent des problèmes similaires » d’après Léna, travailleuse sociale dans un autre centre d’hébergement.

En effets, les conditions ne sont pas meilleures pour ceux logés dans des chambres d’hôtel. À Bischheim par exemple, une cinquantaine de personnes sont hébergées dans l’hôtel à La Victoire, au 21 avenue de Périgueux. Les habitants rencontrent également de nombreux problèmes comme des coupures d’eau chaude, voire d’eau tout court. Là-bas, seules trois casseroles sont utilisables en même temps. De nombreuses prises électriques sont endommagées et dangereuses, y compris dans des chambres avec des enfants.

La cuisine pour 50 personnes à l’hôtel à la Victoire à Bischheim. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)
État des prises électriques dans une chambre dans laquelle vit une famille avec 2 enfants. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

« Ces personnes sont abandonnées, et ça semble tout à fait toléré par la société. »

Léna livre son analyse de la situation :

« On a le sentiment que, comme ces individus sont des migrants, l’État peut se permettre de telles conditions d’hébergement. L’opinion publique n’est pas forcément en leur faveur donc ça passe. Les logements financés doivent être le moins cher possible. On n’a pas non plus de moyens pour faire des activités avec des enfants par exemple… L’accompagnement est rudimentaire. Ces personnes sont abandonnées, et ça semble tout à fait toléré par la société… Mais ce sont des êtres humains, et souvent, ils n’ont pas d’autre choix que d’être là ! »


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