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L’insertion d’élèves handicapés en milieu ordinaire plombée par le manque de places

Le nombre d’élèves en situation de handicap est en augmentation depuis plusieurs années. Mais les moyens ne suivent pas assez vite. Les classes spécialisées dans leur accueil se retrouvent de plus en plus souvent bondées et en charge d’enfants et adolescents lourdement handicapés.

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L’insertion d’élèves handicapés en milieu ordinaire plombée par le manque de places

« Dans ma classe, je m’occupe d’une élève atteinte de trisomie et d’autisme. Elle a 9 ans mais on ne peut pas lui proposer d’activités scolaires, même un puzzle c’est compliqué. Je n’ai pas de solution pour elle », soupire Adèle (prénom modifié), professeure des écoles à Strasbourg dans une classe Ulis (Unité localisée d’inclusion scolaire). Depuis trois ou quatre ans, elle observe une augmentation du nombre d’élèves avec des handicaps lourds dans sa classe, ce qui a comme conséquence de perturber toute la classe.

Le dispositif Ulis sous tension

Le but des classes Ulis est d’accueillir à l’école, au collège ou au lycée des enfants en situation de handicap. Ces enfants sont inclus dans des classes régulières puis se retrouvent face à un « enseignant coordinateur », comme Maya, enseignante dans un collège strasbourgeois :

« En dehors des heures d’inclusion (dans les classes régulières NDLR), je donne surtout des cours de soutien en maths et en français. Je reprends avec les élèves leurs cours et je surveille leurs organisations quotidiennes, notamment leurs devoirs. On travaille beaucoup sur l’estime de l’élève, afin qu’ils dépassent leur handicap et on les pousse à atteindre leurs niveaux scolaires. »

À la rentrée 2021, 451 000 élèves en situation de handicap ont été scolarisés en France dans le premier et le second degré. Parmi eux, 105 909 ont bénéficié du dispositif Ulis, qui octroie notamment un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) pour chaque classe. L’Académie de Strasbourg compte 3 723 élèves dans ce dispositif, répartis dans 339 classes Ulis.

Une classe bien vide… Les Ulis sont de plus en plus surchargées Photo : Rue89 Strasbourg

Surcharge et mauvaises orientations

Mais selon Adèle, « dans ma classe, quatre élèves sur douze ont un profil IME ». Dans le jargon, un « profil IME » est un enfant avec un handicap trop lourd pour être en école. Ces enfants devraient bénéficier d’un Institut médico-éducatif (IME), qui propose des accompagnements éducatif, médical, en développement de l’enfant et de soutien à la famille. L’Alsace compte 37 IME pour 2 345 places. 

Adèle poursuit :

« On se retrouve avec des enfants qui hurlent, frappent, baissent leur pantalon… Ils mettent parfois en danger eux-mêmes et les autres. Ils passent pour des bêtes de foire auprès des élèves en milieu ordinaire. Dans ces cas-là, l’école devient maltraitante pour eux.  »

Manque de places en instituts spécialisés

Mais alors comment expliquer la présence d’élèves au profil IME dans les Ulis ? En grande partie par le manque de places en IME. Entre 2012 et 2021, les capacités d’accueil en institut sont restées peu ou prou les mêmes dans le Grand Est. En 2018, le média spécialisé sur le handicap « Faire Face » estimait à 30 000 le nombre de places manquantes en IME en France. Les délais d’attente sont aussi une explication à la présence d’élèves au profil IME en Ulis. Il faut en moyenne attendre deux à trois ans pour voir une place se libérer en institut. Maya en atteste :

« J’ai croisé récemment la maman d’une élève que j’ai eue il y a quatre ans. Elle était sur liste d’attente pour aller en IME. Aujourd’hui, elle commence à peine à avoir deux demi-journées par semaine en institut. Sauf que maintenant, elle a 18 ans. »

Une raison à cette saturation et à ces délais pourrait également résider dans « l’amendement Creton« . Cette mesure prise en 1989 permet le maintien en IME de jeunes adultes ayant dépassé l’âge limite, faute de places dans d’autres structures. Environ 6 000 jeunes adultes bénéficient de cette protection, les IME en accueillent 80,8%. Ce qui représente 8,2% de la capacité d’accueil dans ces instituts, sur les 70 000 places en France.

L’aspect financier pour l’État peut aussi expliquer cette situation. Le dispositif Ulis se résume à une prof supplémentaire et une AESH par classe. Tandis qu’en IME, une équipe pluridisciplinaire est déployée autour de l’enfant, avec des médecins, des éducateurs spécialisées, etc. ainsi que les frais de structure.

Les limites de l’école inclusive

Le nombre d’élèves en situation de handicap n’a cessé de croître en France. Entre 2005 et 2020, le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a augmenté de 202%. Le gouvernement se félicite d’avoir ouvert entre 2017 et 2021 environ 1 300 classes Ulis. Mais entre 2007 et 2018, les IME en France ont perdu 904 places.

La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de juillet 2013 consacre le principe d’inclusion scolaire. Concrètement, cela signifie que chaque élève a le droit à une scolarisation en milieu ordinaire. Et que l’école doit s’adapter aux besoins de chacun.

Les effectifs des Ulis sont définis dans une circulaire de l’éducation nationale : 12 élèves maximum dans le premier degré et 10 dans le second. Mais la réalité est toute autre. À la rentrée, Adèle devra s’occuper de 13 élèves dans une école élémentaire tandis que Maya explique « tourner entre 13 et 15 enfants par classe au collège ». Ces classes se retrouvent surchargées.

Tous les élèves impactés

« En septembre, trois enfants arrivent avec une notification pour aller en Ulis. Mais seulement deux d’entre eux pourront bénéficier du dispositif. Ça veut dire que le dernier va se retrouver en milieu ordinaire », s’inquiète Adèle.

Pour faire évoluer la situation dans le bon sens, Adèle souhaite « l’ouverture de nouvelles places en IME pour soulager le dispositif Ulis ». L’institutrice insiste également sur « la difficulté à recruter des AESH ». « C’est un métier difficile et très mal payé. Les conditions sont assez précaires. Si on arrive à faire bouger ces deux choses, la situation en Ulis ne peut que s’améliorer », conclut-elle.


#Éducation nationale

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