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Épuisés, les magistrats de Strasbourg exigent une réponse concrète du gouvernement

Une centaine de magistrats, greffiers et avocats s’est rassemblée mardi devant le Palais de justice de Strasbourg à l’appel de plusieurs organisations syndicales. Les participants ont dénoncé les trop faibles moyens accordés à la justice et les conséquences délétères qui en résultent, pour tous les professionnels et les justiciables.

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Épuisés, les magistrats de Strasbourg exigent une réponse concrète du gouvernement

Pas d’audience dans les tribunaux mardi 22 novembre. Mises à part les comparutions immédiates, magistrats et greffiers ont tout renvoyé à une date ultérieure, afin de protester contre un état de délabrement de la justice qu’ils jugent incompatible avec l’exercice de leurs missions.

Déléguée régionale de l’USM, Isabelle Rihm détaille les conséquences du manque de moyens au tribunal judiciaire de Strasbourg Photo : PF / Rue89 Strasbourg

Mobilisés en décembre 2021 à la suite du suicide d’une jeune magistrate et d’une tribune signée par 3 000 juges et procureurs, ils ne constatent aucun changement dans les juridictions un an plus tard, et ce malgré les promesses du gouvernement. Mardi 22 novembre, lors d’un nouveau rassemblement sur les marches du Palais de justice, Isabelle Rihm, juge des libertés et déléguée régionale de l’Union syndicale des magistrats (USM), résume :

« Le ministère de la Justice indique que les problèmes de personnels sont réglés. C’est faux. La réalité, ce sont toujours des audiences surchargées qui se terminent trop souvent au milieu de la nuit, des délais au-delà du raisonnable, des jugements non expliqués, des décisions exécutées plusieurs mois, voire plusieurs années après. Ce sont toujours des tribunaux vétustes et des logiciels des années 90. »

« Aucun plan d’action, aucune perspective »

Judith Haziza, également juge des libertés et déléguée régionale adjointe du Syndicat de la magistrature (SM), reprend :

« Les recrutements prévus pour 2023 sont largement insuffisants. Aucun plan d’action n’a été défini malgré l’urgence de la situation et lorsque des organisations syndicales demandent une expertise sur le risque grave auquel sont exposés l’ensemble des personnels de justice, le ministère répond tout simplement “non”. »

Les responsables du tribunal étaient présents sur les marches, dont le président du tribunal Thierry Ghéra. Plusieurs dizaines d’avocats ont aussi manifesté. L’un d’entre eux, Pierre Rosenstiehl, a évoqué les délais auquel il était soumis désormais : 12 à 18 mois pour tous les contentieux, des convocations 18 à 24 mois après les faits, etc. « Dans une affaire d’urbanisme plaidée en février, le délai du jugement est prorogé tous les deux mois… et tout le monde attend. »

Cercle vicieux

Ces délais qui s’allongent provoquent souvent de nouveaux besoins de justice comme l’explique Frédéric Mauche, juge des affaires familiales, vice-président du tribunal de Strasbourg :

« Quand un couple qui se sépare est forcé par les délais de continuer à vivre sous le même toit, on peut craindre l’apparition de nouveaux faits qui nécessiteront de faire appel à la justice. Actuellement, nous répondons aux urgences mais comme à l’hôpital : le manque de moyens provoque le décalage de tout le reste… avec son cortège de complications. Nous devons retrouver la capacité de juger de manière adaptée, et non plus contrainte. »

« On pratique une justice d’abattage, 15 minutes par dossier »

Frédéric Mauche relève que la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) estime que le tribunal de Strasbourg devrait fonctionner avec environ 140 magistrats. Ils sont pourtant deux fois moins. Juge des tutelles au tribunal d’instance de Haguenau et déléguée régionale du SM, Véronique Kretz est plus directe :

« Le tribunal de Haguenau a absorbé l’activité du tribunal de Brumath et de Wissembourg. Il y avait cinq magistrats, nous ne sommes plus que trois. On n’arrive plus à suivre ! On pratique une justice d’abattage, 15 minutes par dossier, avec le sentiment de mal juger. Quand on expédie, on se trompe. La justice, c’est écouter les gens et pour ça il faut du temps. »

Véronique Kretz remarque que de plus en plus de magistrats démissionnent, ce qui témoigne d’une « perte de sens » selon elle.


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