« Ici, chaque famille a un fils, un cousin, une sœur, qui a perdu son boulot dans le textile. » Mais à Saint-Nabord dans les Vosges, l’usine continue de tourner, en grande partie grâce à Éric Neri. Directeur de l’entreprise américaine AMES en 2007, il est le seul à proposer une offre de reprise en 2009.
À cette époque, la crise financière avait conduit à la liquidation judiciaire de l’entreprise. Dix ans plus tard, la même usine réalise plus de cinq millions de chiffre d’affaires. Elle a même recruté cinq nouveaux employés au cours des dernières années. « Je suis un Européen convaincu », affirme le chef d’entreprise.
Le textile, les fermetures
Éric Neri en est fier : il n’a travaillé « que dans le textile et que dans l’Est de la France ». Le Vosgien d’adoption développe volontiers sa pensée « en tant que citoyen ». Il rit et sourit. Pourtant, l’histoire de sa filière est pleine de fermetures. L’homme au gilet gris et aux lunettes carrés a étudié à l’École nationale supérieure des industries du textile de Mulhouse. L’établissement a fermé il y a plusieurs années. Le jeune ingénieur a aussi vu les usines cesser de produire :
« J’ai vu des industries faire des investissements pléthoriques pour moderniser leur production. Mais elles ont quand même fini par fermer. Les filatures du Chenimenil par exemple. On est passé de 1 à 4 filatures puis à zéro… J’étais convaincu que l’industrie du textile, c’était fini en Europe. »
« Nous avons besoin d’une Europe forte »
Puis le père de famille a changé d’avis. « Je me suis dit que la solution se trouvait dans une production locale, respectueuse de l’environnement et des travailleurs », résume-t-il.
Éric Neri voit plutôt l’Europe comme une opportunité. Ses avalanches de normes seraient moins des contraintes que des garanties pour la santé des Européens : « Dans notre secteur, il y a des produits chimiques qui sont interdits, car on s’est rendu compte que les teintures étaient allergènes. »
D’où la nécessité de renforcer encore l’Union Européenne pour « ne pas laisser rentrer n’importe quoi » et « pour faire face à des blocs comme les États-Unis ou la Chine. Nous avons besoin d’une Europe forte, avec un marché intérieur fort », conclut-t-il.
Au-delà d’un cadre légal, l’Union Européenne a aussi fourni une aide financière à l’entreprise vosgienne. Lorsque Maille Verte Vosges renaissait des cendres de la crise de 2008, le Fonds européen de développement régional (Feder) a subventionné l’achat de nouvelles machines à hauteur de 50 000 euros. Aujourd’hui, ce même programme européen soutient à plus de 80 000 euros un projet d’économie en eau. « En tant que gestionnaire de mon entreprise, je suis conscient de ce soutien de l’UE, mais les gens n’ont aucune idée de ce qu’est la gestion d’entreprise. Pour l’Europe, c’est la même chose », regrette Éric Neri.
« Sans l’Europe, c’est fini »
Dans l’usine, certains employés sont conscients de l’importance de l’Europe pour leur entreprise. Sonia, agent de textile de 42 ans, ira voter fin mai pour deux raisons.
La première : « Parce que je suis une femme et qu’on a pas toujours eu ce droit. » La deuxième motivation se trouve dans ces longues bandes de maille qu’elle observe attentivement. « On travaille beaucoup avec les pays européens. Sans ça, c’est fini », résume-t-elle. Selon les années, Maille Verte Vosges exporte entre 60 et 70% de sa production en Allemagne et en Belgique.
Mais d’autres peinent à voir l’impact de l’Union européenne sur leur quotidien. C’est le cas de Patrick, 57 ans, qui ne voit « pas vraiment de concret » dans l’action de l’UE. Tout juste observe-t-il que « c’est un peu le bordel en ce moment (avec le Brexit, ndlr) ».
Thierry, 52 ans, dont 30 au sein de MVV, admet ne « pas vraiment s’intéresser à l’UE ». Ce technicien polyvalent, ennoblisseur pour les connaisseurs, se montre plus critique :
« Ici, des produits sont interdits alors que dans le reste du monde ce n’est pas le cas. Et puis, il y a des différences au sein même de l’Europe. Les salaires ne sont pas les mêmes, même les règles de pêche n’étaient pas les même entre la France et le Royaume-Uni. »
« Sauver ce qui reste »
Pour Éric Neri, l’Union Européenne est un cadre facilitant l’échange de marchandises. Pas de devise à convertir, pas de documents douaniers à remplir, des normes harmonisées entre les pays-membres… « Aujourd’hui, qu’on charge un camion pour Bruxelles ou Bourg-en-Bresse, c’est la même chose », se félicite le patron de PME, qui n’hésite pas à fustiger « nos camarades britanniques » dans leur tergiversation sur la sortie de l’UE. Car chez MVV, le Brexit est synonyme d’activité plus faible : « J’ai un client qui m’a dit que toute sa production pour le Royaume-Uni était figée… »
D’où la crainte du chef d’entreprise face à la montée de l’euroscepticisme. « Moi, les élections européennes, ça me fout un peu la trouille », lâche-t-il sans hésiter.
Éric Neri refuse de donner le nom du parti qu’il soutiendra. Mais il laisse quelques indices. Séduit par l’idée qu’un pays puisse être géré comme une entreprise, il estime qu’il « faut du temps pour changer les choses. » Il soutiendra le parti au pouvoir. Ce passionné du textile n’espère pas une réindustrialisation de l’Europe, ou des Vosges, mais « au moins sauver ce qui reste… »
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