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Après l’évacuation du gymnase, la vie isolée au « centre d’aide pour le retour » de Bouxwiller de familles demandeuses d’asile

Suite aux évacuations du gymnase Branly, et à la descente de la police aux frontières le 6 janvier, c’est à Bouxwiller que certaines personnes ont été conduites. Dans cette commune de 4 000 habitants, l’association Accueil Sans Frontière 67 gère un Centre d’Aide Pour le Retour (CAPR), sous convention avec l’État. Rue89 Strasbourg s’est rendu dans ce lieu éloigné de Strasbourg et ses écoles, où l’État espère que les familles choisissent de rentrer dans leur pays, parfois avant la fin de leurs recours.

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Après l’évacuation du gymnase, la vie isolée au « centre d’aide pour le retour » de Bouxwiller de familles demandeuses d’asile

Le 6 janvier, une quinzaine de personnes, familles incluses, ont été déplacées en bus depuis le gymnase Branly jusqu’à la commune de Bouxwiller, à une quarantaine de kilomètres de Strasbourg. Toutes avaient été équipées d’un bracelet vert. Ces familles ont alors été orientées vers ce qu’on appelle un « Centre d’Aide Pour le Retour ». Mais de quoi s’agit-il vraiment ?

À l’entrée, des panneaux indiquent que le bâtiment appartient à l’association Accueil Sans Frontière 67. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

« Au gymnase, ils nous ont dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’ils allaient nous reloger et qu’il n’y avait pas de problème » se souvient un père de famille, qui n’est resté que quelques heures à Bouxwiller. « Mais une fois là-bas, j’ai vite compris qu’ils nous proposaient de rentrer dans notre pays d’origine, et ça, je ne veux pas » complète-t-il. Sa procédure d’asile n’est pas terminée : la famille attend une décision en appel de la Cour nationale du droit d’asile, en région parisienne (CNDA, voir notre article sur les parcours possibles). En ce début d’année 2022, quelques familles résident temporairement au CAPR, originaires de différents pays d’Europe de l’Est.

Une alternative aux centres de rétention

En 2015, une instruction ministérielle depuis abrogée crée le dispositif d’aide pour le retour. Ce dispositif, s’adressant particulièrement aux familles déboutées de leur demande d’asile, vise à « développer des alternatives à la rétention pour l’éloignement des ressortissants de pays tiers d’une part, [et] fluidifier le parcours des demandeurs d’asile d’autre part ». Selon un rapport de novembre 2021 de la Cimade, le dispositif d’aide au retour du Bas-Rhin serait le second plus grand de France, avec 90 places.

Le CAPR de Bouxwiller est donc un hébergement temporaire pour les personnes déboutées de leurs demandes d’asile, travaillant avec l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) et placé sous la responsabilité de la Préfecture. Son but : organiser les retours des familles volontaires vers leurs pays d’origine.

Pour l’avocate strasbourgeoise Maître Claude Berry, l’aide au retour est un moyen de faire exécuter les mesures d’éloignement, qui sont peu exécutées :

« Si la personne est d’accord c’est beaucoup plus simple. Une aide financière est proposée pour que les personnes ne soient pas totalement démunies à leur retour dans leur pays d’origine. C’est une incitation au départ volontaire. »

L’aide au retour peut être proposée en même temps qu’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), de l’ordre de quelques centaines d’euros selon les situations. « Les familles sont invitées à prendre rendez-vous avec l’OFII pour organiser leur retour », poursuit Me Berry. En outre, une famille qui attendrait une décision peut également abandonner sa demande, pour bénéficier de cette aide. « Mais souvent, les gens partent par eux-mêmes de la structure » estime l’avocate.

La façade du centre d’aide pour le retour de Bouxwiller ressemble à un immeuble traditionnel, sur une des artères principales de la ville. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Libres par principe, isolés dans les faits

Un CAPR n’est pas un centre de rétention, ni un hébergement d’urgence. Le règlement de fonctionnement fourni par Accueil Sans Frontière 67 prévoit que les personnes résidant dans l’établissement peuvent recevoir des visites entre 8 heures et 22 heures, et découcher 8 jours par an. Les occupants sont libres de s’absenter en journée pour faire des courses ou aller à des rendez vous administratifs et médicaux, sans avoir à en informer la structure.

Si le dispositif d’aide pour le retour s’accompagne normalement d’une assignation à résidence, décidée par le préfet du département, les familles rencontrées sur place ne semblent pas concernées. Cette restriction est supposée être valable pendant 45 à 90 jours, « pour permettre l’organisation du départ ».

À l’arrière du bâtiment, des jouets pour enfants et des poussettes garées dans le couloir. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Mais même en l’absence d’assignation à résidence, l’éloignement jusqu’à Bouxwiller, située entre Saverne et Haguenau, est déjà une complication du quotidien. En bus et train, le trajet dure souvent plus d’une heure et coûte entre 10 et 13 euros pour un adulte. Se rendre à Strasbourg est donc long et onéreux pour les personnes résidant au CAPR.

Sur place, difficile de savoir si les familles ont accès à des travailleurs sociaux. Des agents de l’OFII viennent visiter les résidents (à raison d’une demi-journée par semaine en principe), mais personne sur place ne semble les aider dans leurs démarches médicales, sociales et juridiques. Pour cela, ils doivent se rendre à Strasbourg. Quant à l’aide financière, un montant de subsistance de 4 euros par personne et par jour est normalement prévu. Si elles ont reçu une somme d’argent à leur arrivée, entre 40 et 250 euros en fonction des situations, les familles ne savent pas si elles recevront d’autres aides, ni à quelle fréquence.

Aucun accès à l’éducation pour les enfants

Nous avons interrogé une demi-douzaine de familles, qui ont séjourné récemment ou résident en ce moment à Bouxwiller. Elles tiennent toutes le même propos : si elles acceptent de rester là-bas, leurs enfants ne pourront plus aller à l’école. C’est pour cela que deux familles ont choisi d’en partir. « Je veux que mes enfants poursuivent leur éducation, ça fait quatre ans que nous sommes là », assène une maman logée à la fin 2021 avant d’en partir. Celle-ci attend depuis plus de deux ans une décision de la CNDA quant à sa demande.

À l’entrée du centre d’aide pour le retour, l’affiche préconise de faire attention à ne pas laisser le portail ouvert. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Maître Julien Martin, avocat et membre de la commission droits de l’homme du barreau de Strasbourg, précise : « Le droit à l’instruction est prévu par l’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, donc la France doit le respecter ». Ce droit international s’applique à toute personne présente sur le territoire d’un État qui a ratifié le texte. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit également le droit à l’éducation, tout comme la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. « Pas besoin de se rendre devant une juridiction supranationale pour faire valoir ce droit : les juges nationaux sont les premiers garants du respect de ces conventions » précise l’avocat. L’éducation est aussi un droit garanti par la Constitution française.

La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, installée à Strasbourg, pour les traitements réservés aux mineurs en centre de rétention. Elle l’a également été en 2020 concernant des « conditions d’existence inhumaines et dégradantes de demandeurs d’asile vivant dans la rue ».

Me Claude Berry précise néanmoins que, si « la scolarité est obligatoire partout, ce n’est pas un fondement pour demander l’asile ». Ainsi, un parent ne peut pas invoquer la scolarisation de son enfant pour obtenir le statut de réfugié. « Dès lors que c’est un centre d’aide au retour, s’il est prévu que les personnes partent dans la semaine qui suit, les enfants ne vont pas intégrer une classe pour une semaine » nuance l’avocate. Mais à Bouxwiller des familles sont là depuis plus de trois semaines et le droit à la scolarité des enfants devrait alors être assuré.

Une longue attente de la suite

Pour les familles restées à Bouxwiller, l’avenir est incertain. L’une d’elle a accepté l’aide au retour vers son pays d’origine, mais ne sait pas quand le voyage aura lieu ni les modalités précises de ce retour. D’ici là, elle attend dans un appartement presque vide, sans autre distraction possible qu’une télé et quelques jeux pour enfants.

Dans le bâtiment, des couloirs vides et des incitations à porter le masque dans les espaces communs. Photo : CB / Rue89 Strasbourg

Pour celles qui ont quitté par elles-mêmes le centre, c’est le retour à la rue. « On m’a dit soit tu rentres dans ton pays, soit tu ne peux pas rester ici », témoigne une mère. Après deux semaines au CAPR, elle rentre en bus et en train à Strasbourg avec son conjoint et ses enfants, sans solution d’hébergement. « Le 115 n’a pas de place pour nous depuis, les enfants dorment très mal, mais ils doivent aller à l’école », explique-t-elle.

Le père d’une autre famille revenue à Strasbourg complète : « Depuis le 6 janvier, mes enfants ont même peur des contrôleurs de bus, et j’ai peur de la police ». Resté seulement quelques heures au CAPR avec ses proches, il fait part de son incompréhension. « On attend une décision de la CNDA, on n’aurait pas dû nous proposer de rentrer dans notre pays ». 

Contacté par téléphone, Vincent Jullien, directeur de l’association Accueil Sans Frontière 67, nous a réorienté vers la préfecture pour répondre à nos questions, « étant donné la sensibilité du sujet ». Cette dernière n’a pas donné suite à nos demandes d’information.


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