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Le festival des Giboulées s’installe comme le rendez-vous européen de la marionnette

L’édition 2018 des Giboulées – Biennale Corps, Objet, Image – approche à grands pas. Du 16 au 24 mars, les marionnettes dans toute leur diversité investiront les salles de spectacle de Strasbourg. Voici un éclairage pour composer votre programme, avec notre sélection de pépites.

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Le festival des Giboulées s’installe comme le rendez-vous européen de la marionnette

Plus qu’une petite quinzaine de jours avant le retour des Giboulées, le festival emblématique du TJP qui a soufflé ses 40 bougies en 2016. Depuis sa création par André Pomarat – alors directeur du TJP – en 1977, ce temps fort offre au public strasbourgeois un panorama de la scène contemporaine autour des arts de la marionnette. Aujourd’hui, il s’affirme comme l’un des plus grands festivals dans ce domaine en Europe, et sa programmation ne cesse de s’enrichir de nouvelles formes. Qu’en est-il de l’édition 2018 ? En chiffres : 27 compagnies, 14 pays représentés, 73 représentations, 13 lieux. Mais surtout de belles découvertes en perspective.

Renaud Herbin présente ce festival comme un « concentré du projet artistique du TJP ». En effet, les problématiques qui tissent la programmation 2017/2018 (la sensibilité à la matière, à l’objet et à la marionnette ; la relation entre vivant et inerte ; la question des représentations de l’humain sur cette planète) s’y retrouvent dans des spectacles qui viennent solliciter nos imaginaires autrement.

À l’instar d’Anne Aycoberry, qui y présentera deux spectacles, c’est aussi un temps de partage pour les nombreux artistes qui s’y retrouvent :

« Les Giboulées représentent une belle opportunité de montrer notre travail, une joie de découvrir des spectacles divers et le plaisir de partager des moments de convivialité et d’échanges avec au coeur le spectacle vivant. »

Comédien, Tim Spooner, de son côté, ajoute :

« C’est une grande révélation de voir ces différentes expérimentations sur la façon dont le non-humain peut jouer. »

Les cartes géographiques s’exposent dans A de Catherine Poher et Paolo Cardona (Photo: Christophe Loiseau)

« Le souffle et la vie »

Première mondiale, Solace d’Uta Gebert traite de nos propres solitudes à travers le regard d’un enfant, en mêlant marionnette, modelée par elle-même, et danse. Dans ce spectacle sans parole, la metteure en scène travaille sur les frontières entre la marionnette et l’humain, l’objet et le vivant. Ali Moini viendra à son tour brouiller les seuils dans un jeu de miroir entre son corps et un squelette métallique. Grâce à un réseau de fils, de poulies et de contre-poids, le danseur et sa marionnette s’animent de concert, à tel point qu’on finit par se demander qui est sujet : l’artiste ou son avatar ? Le titre Man anam ke Rostam bovad pahlavan (« C’est par Rostam que j’hérite ma gloire ») vient d’ailleurs souligner cette relation et la lier à la question de l’usurpation.

Uta Gebert donne vie aux marionnettes dans Solace (Photo: Uta Gebert).

« La machine et le vivant »

Autre limite à expérimenter, celle du vivant et de la machine – robots ou corps mécanisés – également à l’honneur de cette édition. Ainsi, avec Monkeys, Amit Drori et son équipe poursuivent leur travail de robotique en concevant et en fabriquant des singes robotisés. Entre l’animal et la machine, ces « Electro-Monsters » viennent interroger l’essence même de notre humanité.

Avec Novo, Paulo Duarte fait suite à l’installation qu’il avait présentée lors de l’édition 2016 : un voyage visuel et sonore à travers des maquettes urbaines. Au centre, une femme endormie qui se révèle être un automate. Son ombre apparaît en toile de fond, elle semble veiller sur la ville. Enfin, le théâtre de Joris Mathieu se passe des hommes. Artefact est un spectacle de machines où une intelligence artificielle rêve de faire du théâtre ; il questionne notre rapport au vivant et à la technologie.

Artefact, le théâtre joué par des machines (Photo: Nicolas Boudier).

« La notion de déplacement »

Tout aussi actuelle que celle de la machine, la problématique du déplacement occupera deux spectacles : Terres invisibles, de la Cie Livsmedelt Theater et A de la Cie Skappa ! Terres invisibles met en regard le voyage de Marco Polo, et son récit, avec le traitement médiatique actuel des migrants. L’exil y est raconté à travers un mélange entre le micro- et le macroscopique, où les corps se font paysages pour narrer les déplacements qui concernent aujourd’hui des milliers d’individus. Dans A, nous partons à la recherche du paradis terrestre dans un théâtre d’ombre et de peinture : une visite troublée par un intrus qui viendra détruire petit à petit l’exposition.

Les Terres Invisibles de la Cie Livsmedelt (Photo: Jalkajono Iso).

Des spectacles jeune public

Accessible dès 6 ans, A fait par ailleurs partie des spectacles jeune public proposés par le TJP pour la Biennale Corps-Objet-Image. Parmi eux, notons également La Fascination des pommes (à partir de 2 ans) de la marionnettiste et metteure en scène Catherine Sombsthay qui, en explorant matières, sons et couleurs, repousse les limites du possible.

Le théâtre de projections, d’ombres et de marionnettes à tiges de Fabrizio Montecchi promet au public dès 5 ans une histoire d’amitié curieuse et poétique entre un canard et la mort. Adapté de l’album de Wolf Erlbruch, le décor ne dénote pas avec l’univers visuel de l’illustrateur et tout se conte et se fabrique à vue, près du public.

Réactualiser les contes

La Valse des Hommelettes (dès 6 ans), fait lui aussi partie des spectacles destinés aux plus jeunes spectateurs. Des personnages des frères Grimm prennent place dans une horloge au mécanisme ingénieux, qui réserve et révèle surprises.

Autre manière d’actualiser les contes, la Cie Pseudonymo propose un parcours onirique autour du conte de Blanche-Neige. A partir du texte Noirs comme l’ébène de Claudine Galea, d’où la pièce tire son nom, nous sommes amenés à plonger dans une série de tableaux où les figures féminines se superposent et se confondent.

Au programme de cette édition, notons la présence de la pièce Eldorado Terezin de la metteure en scène et chercheuse strasbourgeoise Claire Audhuy. Conçu en deux partie, ce spectacle traite dans un premier temps du rapport fait par la Croix Rouge du ghetto de Terezin. Dans un spectacle entre marionnettes, jeu, maquettes et caméras, ressortent le mensonge et la manipulation orchestrés par le commissaire nazi Karl Rahm.

Le second temps est une mise en scène d’un texte écrit par un jeune garçon du ghetto de Terezin, Hanuš Hachenburg (dont Rue89 a déjà parlé). Au cours de ses recherches, Claire Audhuy a trouvé cette pièce – On a besoin d’un fantôme – qu’il avait écrite pour marionnettes et où lui et ses camarades se moquent de leurs bourreaux. Marie Hatterman, comédienne et marionnettiste, commente : « C’est Ubu, c’est incroyable de lucidité ! ».

Claire Audhuy a pu se baser sur des témoignages d’autres jeunes de ce ghetto pour redonner à entendre ce texte et documenter sur ce genre de théâtre extrême. Eldorado Terezin fait ressortir d’autres problématiques propres à la marionnette ; certains manipulateurs sont en noirs, tandis que d’autres, à vue, engagent un va-et-vient entre jeu d’acteur et de marionnettiste.

Les marionnettes d’Eldorado Terezin, la dernière création de Claire Audhuy (Photo Baptiste Cogitore).

Dans cette programmation, remarquons par ailleurs la présence d’Inside, du duo Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe des sciences et Frédérique Aït-Touati, chercheuse, auteure et metteure en scène. Il s’agit d’une conférence, que Bruno Latour donne assez peu, qui questionne le rapport de l’humain à la planète. Cette collaboration permet une immersion dans l’espace nommé « zone critique », où l’eau, le sol, le sous-sol et le monde du vivant interagissent.

Rare à Strasbourg, Sylvie Baillon n’en est pas moins une figure importante des arts de la marionnette. Elle sera présente aux Giboulées pour présenter Une tâche sur l’aile du papillon, un huis-clos où le réel se tord et sème le doute dans l’esprit du spectateur.

Inside, une conférence-spectacle sur les dernières découvertes scientifiques (Photo: DR).

Une création de Renaud Herbin avec des figurines

Renaud Herbin présentera Open the Owl, sa  dernière création, avec le théâtre de marionnettes de Ljubljana. Véritable machine à illusions, la réalité des êtres se dévoile à mesure que le castelet s’ouvre. Les marionnettes de ce spectacle sont des miniatures de 10 cm de hauteur conçues pour une pièce de répertoire créée en 1936 par Milan Klemencic. Basé sur un texte de Célia Houdart, le spectateur y est invité à se déplacer pour voir ce qui se passe derrière l’image.

Les marionnettes slovènes du théâtre de Ljubljiana (Photo: Benoit Schupp).

Cette année encore, le festival s’étendra hors les murs avec Floe de Jean-Baptiste André et Maibaum de Jordi Gali, respectivement sur le parvis du théâtre de Hautepierre et sur le campus de l’Esplanade. Ainsi, les Giboulées sortiront du TJP à la conquête de l’espace public.

Strasbourg, capitale de la marionnette

Renaud Herbin tient particulièrement à ce que le TJP accompagne les nouvelles créations, aussi accorde-t-il une importance non-négligeable aux temps de résidence ainsi qu’aux co-productions. Le directeur du TJP explique :

« Les artistes nous interrogent sur le monde et sur nos façons de le représenter. Le TJP est là pour accompagner leurs projets – co-productions et premières – et les rendre tangibles et hospitaliers pour tous. Portées par le seul centre dramatique national dirigé par un marionnettiste, Les Giboulées placent Strasbourg au carrefour d’histoires et de pratiques des arts de la marionnette d’aujourd’hui, au coeur de la profession et au service du public. »

Dans The Pulverized Palace, Tim Spooner et Anne Aycoberry se lancent dans la construction d’un mémorial (Photo: Tim Spooner).

En résidence au TJP, Tim Spooner et Anne Aycoberry travaillent sur une nouvelle création : The Pulverized Palace, basé sur le récit de la « maison de la poussière » dans l’Epopée de Gilgamesh. Ce texte intéresse particulièrement Tim Spooner car d’une part il s’agit d’un des textes les plus anciens que nous ayons, mais aussi car il véhicule une vision de la vie après la mort totalement différente de celle qu’on retrouve dans le Christianisme :

« Il n’y a aucune dimension morale de récompense ou de punition mais au lieu de cela un lieu de neutralité et une dispersion de la signification. »

Ce temps de résidence au TJP est important pour les deux artistes. Tim Spooner explique:

« Nous entretenons des liens de longue durée avec le TJP et je pense qu’il y a quelque chose de très précieux dans le fait de pouvoir suivre une longue ligne de recherche (à travers les années et les projets) avec le soutien de la même organisation et du même groupe de personnes. Ainsi à cette étape nous sommes capable d’expérimenter davantage car notre compréhension est profonde. »

Pour Anne Aycoberry :

« C’est extrêmement précieux de pouvoir travailler dans d’excellentes conditions, d’être soutenu et encouragé. »

Un espace de rencontres, de réflexions et d’expérimentations

Les Giboulées sont un espace qui favorise les rencontres entre artistes, notamment lors des « Chantiers de pratique artistique » ou des « Journées professionnelles ». Il met également en valeur les jeunes générations en présentant les travaux des étudiants de la HEAR de Strasbourg et de l’école de Marionnette de Stuttgart: de cette collaboration est née une série de formes courtes qu’ils présenteront par duos au TJP Grande scène.

Le 22 mars aura par ailleurs lieu le lancement du troisième numéro de la revue Corps-Objet-Image consacré à la Ré-Animation. Une publication dans laquelle artistes et chercheurs pensent ensemble et autrement les arts de la marionnettes.


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