Six mois avant la fin de sa détention, Valentin (les prénom des détenus ont été modifiés) commence à préparer sa sortie de la maison d’arrêt de Strasbourg. Son principal souci : trouver un toit. Le prisonnier s’adresse donc au Service de probation et d’insertion professionnel (Spip) pour obtenir de l’aide. Mais la réponse se fait attendre. « En fait, le Spip c’est un sketch. Pendant six mois j’ai attendu et à la fin de la détention, ils m’ont écrit pour me dire d’aller au 115 (numéro d’appel pour l’hébergement d’urgence, NDLR). » Pour éviter de dormir dehors, Valentin sera contraint de revenir vivre chez sa mère.
Le personnel d’insertion toujours moins disponible
Valentin en veut au Spip, qu’il juge de moins en moins efficace. « Lors de mes précédentes détentions, j’arrivais à voir mon conseiller toutes les deux semaines ou tous les mois. Maintenant, celui qui t’aide à préparer la sortie, tu le vois à peine tous les trois mois… » Même sentiment du côté d’Achraf :
« Quand j’étais à l’Elsau en 2017, le Spip me convoquait pour savoir ce que je voulais faire. Cette année, ça fait 19 mois que je suis là. J’ai dû écrire à ma conseillère pour la voir en mars. J’attends toujours le rendez-vous Pôle emploi que la conseillère m’a promis… »
Sorti de prison en octobre 2022, Mohamed s’estime chanceux : « Je fais clairement partie de l’exception », indique-t-il avant de préciser sa pensée : contrairement à beaucoup de détenus, sa famille l’a toujours soutenu et il a bénéficié d’un accompagnement précieux avant sa libération. L’ancien prisonnier de 50 ans évoque tout d’abord son addiction à la méthadone : « Toutes les semaines, j’allais voir la psychiatre. Ça m’a d’abord permis de passer à une dose quotidienne inférieure à 10 milligrammes. Aujourd’hui, je suis très fier de ne plus toucher aucun traitement de substitution depuis un an. »
Un permis cariste et de l’aide de sa fille
Père de trois enfants et grand-père depuis peu, Mohamed voulait s’en sortir. Après avoir travaillé trente ans dans la livraison, son dos ne supportait plus le port de charges lourdes. Il était aussi fatigué du stress lié à des tournées toujours plus chargées. Alors le détenu envoie une requête à la direction d’établissement pour suivre une formation de magasinier-cariste. La première demande est refusée, une sanction pour avoir tenté de faire passer un téléphone au parloir. La seconde requête est la bonne. Du 6 au 9 septembre, Mohamed apprend à conduire l’engin utilisé pour charger et décharger les poids lourds :
« C’était vraiment quatre jours agréables. Le responsable formation nous accompagnait à Illkirch. Là-bas, on était vus comme des gens normaux. »
Fin septembre, Mohamed obtient son permis cariste. Il le transmet rapidement à sa fille. « Elle m’a créé des comptes dans plusieurs agences d’intérim », raconte le Strasbourgeois, le sourire aux lèvres :
« Quand je suis sorti de prison, je croulais sous les propositions de travail. J’ai fait encore deux semaines de livraison mais j’ai pas tenu. J’ai terminé la livraison le vendredi et le lundi je commençais un nouveau travail. »
« Ils sont tous obligés de faire avec les moyens du bord »
« Je n’ai aucun regret quant à ma peine à la maison d’arrêt de Strasbourg », assure l’ancien détenu avant de raconter la zone scolaire, ses cours d’anglais et d’information, un séminaire de 15 jours sur les religions et une visite de la cathédrale. Mais Mohamed est conscient de la chance qu’il a eue :
« La zone scolaire et le Spip n’ont pas les moyens d’accueillir tout le monde. C’est comme la psychiatre qui me disait qu’elle aimerait voir plus de monde, mais qu’elle n’a pas le temps. Ils sont tous obligés de faire avec les moyens du bord. Il faut être patient. Personnellement, j’ai envoyé une trentaine de requêtes pour travailler à l’atelier. Je n’ai jamais obtenu de réponse. »
De son bâtiment à la maison d’arrêt, Mohamed a vu les difficultés de nombreux détenus :
« Il y en a qui sortent sans travail, sans appartement, avec 20 euros en poche. D’autres ont un problème d’addiction et vous le disent : en sortant la première chose qu’ils feront, c’est acheter un gramme de coke ou d’héro. »
Lors de sa détention, l’ancien prisonnier a vu ces codétenus sortir… puis revenir après un vol à l’arrachée. « Pour aller chercher de la drogue en sortant de la maison d’arrêt, il suffit de traverser la rue à l’Elsau… », dit-il.
« On recommence constamment le suivi des détenus »
Sous couvert d’anonymat, un salarié du Spip a accepté de répondre à Rue89 Strasbourg à propos du manque de moyens dénoncés par les détenus. Camille (le prénom a été modifié) commence par répondre sur la problématique de l’hébergement. « Beaucoup de détenus sortent sans logement. C’est un problème qu’on avait beaucoup moins avant », reconnaît-il. Et le travailleur social d’évoquer la pénurie de places en hébergement d’urgence :
« Avant, on était en contact avec le centre d’hébergement d’urgence et de réinsertion sociale. On appelait le chef de l’établissement et ça permettait à leurs travailleurs sociaux de reprendre le travail d’accompagnement engagé. Aujourd’hui, il y a une rupture systématique de l’accompagnement à cause du manque de logement. Donc on a de plus en plus recours au 115 et il faut sans cesse recommencer le suivi des détenus. »
Le salarié du Spip de Strasbourg ne s’étonne pas des critiques des détenus. Il explique la situation par « un sous-effectif constant notamment lié à des arrêts maladies pour surmenage ». Le résultat : « Normalement, un conseiller Spip doit suivre 60 détenus. Aujourd’hui, on doit plutôt suivre 100 à 115 personnes », regrette Camille :
« Puisqu’on ne répond pas à certaines de leurs demandes, les détenus sentent bien qu’on n’est pas assez disponible pour construire une relation de confiance et éviter la récidive. Et on ne parle pas de ceux qui n’ont aucun suivi parce qu’ils ne font aucune requête… »
Las face à une telle situation, Camille dénonce avec amertume l’inefficacité du système carcéral :
« On est tellement englué dans notre quotidien de pénurie qu’on ne règle rien. La prison ne devient qu’un coût pour la société. »
Contactée, la direction régionale de l’administration pénitentiaire a refusé de répondre à Rue89 Strasbourg.
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