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Génériques : la Sécu accentue la pression sur les pharmaciens

Vérifications minutieuses des ordonnances, paiements retardés, lettres, rappels : la Caisse primaire du Bas-Rhin met tout en oeuvre pour que 85% des médicaments distribués soient des génériques, au lieu de 78% actuellement. Mais cette pression commence à sérieusement agacer les pharmaciens, dont certains connaissent des situations financières délicates.

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Génériques : la Sécu accentue la pression sur les pharmaciens

Pharmacie à La Défense à Paris (Photo Marc Lagneau / FlickR / CC)
Pharmacie à La Défense à Paris (Photo Marc Lagneau / FlickR / CC)

Depuis le mois du juillet, les pharmaciens doivent proposer de substituer un médicament générique au médicament prescrit sur l’ordonnance, sauf s’il est stipulé « non substituable ». En cas de refus du patient, la pharmacie ne peut appliquer le tiers-payant. La Sécurité sociale, via la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) dans le Bas-Rhin, espère ainsi réaliser quelques économies car les médicaments ainsi délivrés sont bien moins chers. Chaque pourcentage de médicaments génériques en plus en France, et la Sécu économise 10 M€. Quand même.

Alors évidemment, la caisse nationale met la pression sur les caisses primaires avec une mission : arriver à un taux de substitution de 85%. Dans le Bas-Rhin, on en est encore loin, puisque la CPAM comptait seulement 78% de substitution en novembre. Une très mauvaise performance qui place le Bas-Rhin tout en bas du tableau, avec les Pyrénées orientales et la Corse. Du coup, la CPAM fait la chasse aux « mauvais élèves » : les ordonnances sont scrutées à la loupe et les médicaments délivrés peuvent ne pas être payés au pharmacien.

Martin Muller, secrétaire départemental de l’Union des pharmaciens de France (UNPF), se fait l’écho du ressentiment de ses collègues :

« On passe nos journées sur ces problèmes de médicaments génériques. Chaque mois, on se retrouve avec 10 à 25% de factures impayées, ce qui sur des petites entreprises comme les nôtres provoque des difficultés de trésorerie qui peuvent avoir de graves conséquences. Tout ça crée une tension permanente dans les officines, avec les patients, et avec les médecins, c’est usant. De juillet à octobre, le taux de substitution a bien progressé sans mesures coercitives, on ne comprend pas pourquoi la CPAM a soudainement durci les conditions de paiement. »

Plusieurs pharmaciens interrogés confirment que la pression de la CPAM se fait durement sentir. Jacky Appenzeller tient une officine au Neudorf, il détaille sa situation :

« J’ai la chance d’avoir un bon taux de substitution, 82%. Donc la caisse me laisse tranquille. Mais je suis au maximum, je ne peux pas faire plus… C’est déjà assez houleux comme ça avec les patients. Dans tous les cas, je n’arriverai jamais à substituer 85% des médicaments fin décembre. Tant pis pour la prime. »

Les pharmaciens intéressés aux génériques

Car la CPAM peut être généreuse, et redistribue aux pharmaciens 35% des économies qu’elle réalise grâce aux génériques. La prime peut aller jusqu’à 8 000€ pour une grosse officine. Autre avantage financier pour les pharmaciens : la marge qu’ils appliquent sur les génériques est bien supérieure aux médicaments princeps, autour de 17%. D’un point de vue comptable, le pharmacien est intéressé à la progression des médicaments génériques dans les soins des Français.

Mais si le pharmacien n’atteint pas les taux minimum, il peut subir de lourdes conséquences, allant jusqu’à un déconventionnement. Dès que le taux passe sous la barre des 80%, la CPAM scrute les ordonnances à la loupe, et retarde le paiement tant que ces ordonnances n’ont pas été manuellement validées. Selon Martin Muller, les délais de paiement peuvent atteindre plusieurs semaines, voire des mois. Selon la CPAM, pas plus d’une semaine.

Nathalie Filez, de la pharmacie des Deux-Rives, a une partie de son chiffre d’affaire à la CPAM :

« J’ai une forte part de ma clientèle composée de personnes toxico-dépendantes, qui refusent la substitution du Subutex. Résultat, je suis à 76% et on me bloque des paiements depuis début décembre… parfois toute une journée de travail. En plein mois de décembre, quand on doit payer les impôts, la TVA et d’autres charges, c’est vraiment dur. C’est une sanction a priori, car je sais qu’on a tout vérifié et que toutes les ordonnances seront validées… Mais je dois absorber le retard. Il serait plus logique que la CPAM opère des retenues sur des paiements futurs, en cas d’invalidation constatée. »

Des médecins pas toujours appliqués

Car l’autre problème des pharmaciens, ce sont les ordonnances mal rédigées. Les médecins doivent absolument écrire manuellement « non substituable » à côté de chaque médicament prescrit pour que la délivrance d’un médicament princeps soit valide. Or certains médecins impriment leurs ordonnances et refusent d’écrire manuellement, d’autres se contentent d’apposer « NS », d’autres encore remettent en cause l’utilisation des génériques.

Le Dr Claude Bronner, du syndicat Union généraliste, avoue que plusieurs de ses collègues sont mal à l’aise :

« Ce n’est pas aux médecins de faire des choix économiques. Nous soignons au meilleur tarif, comme l’exige notre déontologie, mais nous ne pouvons pas sans cesse expliquer aux patients les différences entre les médicaments princeps et génériques. C’est au payeur d’édicter des règles communes de remboursement, par exemple en décidant d’un même montant remboursé pour le princeps et le générique. Et si le patient exige le princeps, il paie la différence. Et puis on n’a pas que ça à faire d’écrire manuellement « non substituable » à chaque fois, la caisse pourrait au moins accepter la mention imprimée. »

Mais la complexité du système de l’assurance maladie en France rend difficile l’application d’une telle réforme. Et tant pis si les médecins et les pharmaciens doivent sans cesse affronter les desiderata des patients, exigeant parfois des médicaments princeps sans raison valable, comme l’explique Doc Arnica dans son récent article. Pour la CPAM, il n’est pas question de s’éloigner d’une application stricte de la loi, comme l’explique son sous-directeur dans le Bas-Rhin, Marie-Paule Glady :

« Il y a des régions qui sont déjà à 85% de substitution et nous serions condamnés à rester à 78% ? Pas question. L’assurance maladie, c’est 25 M€ de remboursements annuels en Alsace, il en va de l’équilibre des comptes publics. Et d’ailleurs, la vaste majorité des pharmaciens et des médecins jouent le jeu. Une dizaine de médecins sur 1200 sabotent délibérément les ordonnances, par idéologie on va dire, on les connaît et ce ne sont pas eux seuls qui font chuter notre taux. »

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg  : « Je prescris des génériques et je persiste » (blog de Doc Arnica)

Sur Rue89 : Comment les médecins torpillent les génériques

Sur Les Echos : Médicaments génériques, un nouveau souffle s’impose


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