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« Goutte d’or », un film noir et mystique de Clément Cogitore

Pour son deuxième long-métrage de fiction, le réalisateur alsacien Clément Cogitore filme le quartier de la Goutte d’or à Paris, à travers le chemin de croix du solitaire Ramsès, médium de haute voltige, en proie aux rivalités des autres marabouts et à ses propres angoisses. L’artiste, fasciné par l’irrationnel, tente l’expérience de l’au-delà, un pari risqué.

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« Goutte d’or », un film noir et mystique de Clément Cogitore

La bande annonce de Goutte d’or

Ramsès, interprété par Karim Leklou (Le monde est à toi, Bac Nord et Pour la France), fait commerce de la peine de ceux qui ont perdu un proche : médium moderne, il surfe vers l’au-delà via internet et s’attire les foudres vengeresses de ses nombreux concurrents du quartier de la Goutte d’Or à Paris.

Son petit trafic commence à dérailler quand une bande d’enfants sauvages débarquant des rues de Tanger s’immiscent dans son appartement et que, lui-même, est en proie à une vision. Comme dans son premier long métrage, Ni le ciel ni la terre en 2015, où des soldats français disparaissaient mystérieusement en Afghanistan, Clément Cogitore mêle une réalité crue et violente, documentée et magistralement mise en scène, à un élément mystique qui fait basculer son personnage. Rencontre avec le jeune cinéaste alsacien et son principal comédien.

Clément Cogitore et Karim Leklou à Strasbourg le 21 février Photo : Pascal Bastien / Divergence

Rue89 Strasbourg: Récurrent dans votre travail, l’irrationnel vient perturber la réalité de vos récits. D’où vient votre intérêt pour le mystique ?

Clément Cogitore: (Moue dubitative) Je ne sais pas ! (Silence)

Karim Leklou : (Rires) Il va mieux répondre à la deuxième question!

Clément Cogitore: La croyance fait partie intégrante de l’expérience humaine. J’en ai besoin. Je trouve que l’irrationnel est trop vite évacué de nos vies mais il résiste : certaines énigmes demeurent. Mais d’où vient mon intérêt, vraiment je ne sais pas…

Karim Leklou: Tu veux rester mystérieux en fait…

Comment est arrivée cette idée que Ramsès, qui dit rentrer en contact avec les morts, ait une vision qui le mène jusqu’à retrouver un corps, ce qui va faire basculer l’histoire ?

Clément Cogitore: Le marabout joué par Karim joue avec l’irrationnel mais lui est plein de certitudes, c’est un bloc de maîtrise et de contrôle, notamment parce que le mysticisme de son père l’effraie. Il veut s’en éloigner. Je voulais qu’il soit secoué par un phénomène irrationnel et que cela endommage son système. Je voulais voir ce que cela dérègle chez lui, quel nouveau rythme cela donne à sa vie et donc au film. C’est un miracle et une malédiction. Pour moi, tout le monde est à la fois rationnel et mystique.

Clément Cogitore : « Tout le monde est à la fois rationnel et mystique. » Photo : Pascal Bastien / Divergence

Dans quel état voulez-vous mettre le spectateur?

Clément Cogitore: J’aime bien que les films en général nous placent dans un état d’inconfort, qu’on ne sache pas sur quel pied danser. Comme Ramsès, à la fin du film, on se demande ce qu’il vient de se passer : est-ce que ça finit bien ou mal ? Comme lorsque nous traversons un choc dans la vie, nous ne savons pas s’il nous a construit ou abimé. Cet endroit instable me passionne. Ce n’est ni facile à faire, ni facile à vendre, mais c’est ce que j’ai ressenti à la fin du montage : j’étais dérangé. Je n’ai pas envie non plus d’essayer de convaincre de quoique ce soit, je voudrais que le spectateur vive une expérience. J’ai envie que le film continue de nous hanter, qu’il nous réveille un peu la nuit.

Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

Karim Leklou: Par la directrice de casting Tatiana Vialle, elle m’a demandé de faire une improvisation, chose que je n’avais jamais faite en casting, autour d’une photo et d’un être perdu. Puis j’ai passé des essais avec Clément et ensuite, j’ai accédé au scénario, qui m’a fortement marqué.

Est-ce qu’il vous a déstabilisé ?

J’étais absolument émerveillé d’avoir un tel objet scénaristique entre les mains : profond, puissant, avec une galerie de caractères dingues ! Ramsès était un personnage incroyable à défendre. Et puis, je connaissais le travail de Clément et sa façon de mettre en scène.

Karim Leklou : « Le personnage de Ramsès s’est construit pendant des mois  » Photo : Pascal Bastien / Divergence

Est-ce que vous avez « trouvé » Ramsès dès la lecture du scénario ? Comment avez-vous travaillé la cohérence de personnage qui tient tout le film ?

Karim Leklou : C’est un personnage qui s’est construit pendant un mois de répétition, avec l’ensemble des acteurs. On a travaillé sur cette idée de transmission avec le père (interprété par Ahmed Benaïssa), avec en même temps cette peur de tomber dans ses travers. Il fallait trouver la faille affective du personnage. C’était aussi un plaisir immense de travailler avec Cécile Rodolakis, qui est une des meilleures scriptes de France. Elle est aussi garante de cette cohérence.

Si je vous dis que j’ai trouvé votre interprétation christique ?

Karim Leklou : (Il se tourne vers Clément Cogitore) Pourquoi pas ? Je pense que Clément a voulu aller à l’universel, intégrer toutes les croyances et il fallait un personnage qui puisse incarner cela.


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