
Pour son deuxième long-métrage de fiction, le réalisateur alsacien Clément Cogitore filme le quartier de la Goutte d’or à Paris, à travers le chemin de croix du solitaire Ramsès, médium de haute voltige, en proie aux rivalités des autres marabouts et à ses propres angoisses. L’artiste, fasciné par l’irrationnel, tente l’expérience de l’au-delà, un pari risqué.
Ramsès, interprété par Karim Leklou (Le monde est à toi, Bac Nord et Pour la France), fait commerce de la peine de ceux qui ont perdu un proche : médium moderne, il surfe vers l’au-delà via internet et s’attire les foudres vengeresses de ses nombreux concurrents du quartier de la Goutte d’Or à Paris.
Son petit trafic commence à dérailler quand une bande d’enfants sauvages débarquant des rues de Tanger s’immiscent dans son appartement et que, lui-même, est en proie à une vision. Comme dans son premier long métrage, Ni le ciel ni la terre en 2015, où des soldats français disparaissaient mystérieusement en Afghanistan, Clément Cogitore mêle une réalité crue et violente, documentée et magistralement mise en scène, à un élément mystique qui fait basculer son personnage. Rencontre avec le jeune cinéaste alsacien et son principal comédien.
Rue89 Strasbourg: Récurrent dans votre travail, l’irrationnel vient perturber la réalité de vos récits. D’où vient votre intérêt pour le mystique ?
Clément Cogitore: (Moue dubitative) Je ne sais pas ! (Silence)
Karim Leklou : (Rires) Il va mieux répondre à la deuxième question!
Clément Cogitore: La croyance fait partie intégrante de l’expérience humaine. J’en ai besoin. Je trouve que l’irrationnel est trop vite évacué de nos vies mais il résiste : certaines énigmes demeurent. Mais d’où vient mon intérêt, vraiment je ne sais pas…
Karim Leklou: Tu veux rester mystérieux en fait…
Comment est arrivée cette idée que Ramsès, qui dit rentrer en contact avec les morts, ait une vision qui le mène jusqu’à retrouver un corps, ce qui va faire basculer l’histoire ?
Clément Cogitore: Le marabout joué par Karim joue avec l’irrationnel mais lui est plein de certitudes, c’est un bloc de maîtrise et de contrôle, notamment parce que le mysticisme de son père l’effraie. Il veut s’en éloigner. Je voulais qu’il soit secoué par un phénomène irrationnel et que cela endommage son système. Je voulais voir ce que cela dérègle chez lui, quel nouveau rythme cela donne à sa vie et donc au film. C’est un miracle et une malédiction. Pour moi, tout le monde est à la fois rationnel et mystique.

Dans quel état voulez-vous mettre le spectateur?
Clément Cogitore: J’aime bien que les films en général nous placent dans un état d’inconfort, qu’on ne sache pas sur quel pied danser. Comme Ramsès, à la fin du film, on se demande ce qu’il vient de se passer : est-ce que ça finit bien ou mal ? Comme lorsque nous traversons un choc dans la vie, nous ne savons pas s’il nous a construit ou abimé. Cet endroit instable me passionne. Ce n’est ni facile à faire, ni facile à vendre, mais c’est ce que j’ai ressenti à la fin du montage : j’étais dérangé. Je n’ai pas envie non plus d’essayer de convaincre de quoique ce soit, je voudrais que le spectateur vive une expérience. J’ai envie que le film continue de nous hanter, qu’il nous réveille un peu la nuit.
Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?
Karim Leklou: Par la directrice de casting Tatiana Vialle, elle m’a demandé de faire une improvisation, chose que je n’avais jamais faite en casting, autour d’une photo et d’un être perdu. Puis j’ai passé des essais avec Clément et ensuite, j’ai accédé au scénario, qui m’a fortement marqué.
Est-ce qu’il vous a déstabilisé ?
J’étais absolument émerveillé d’avoir un tel objet scénaristique entre les mains : profond, puissant, avec une galerie de caractères dingues ! Ramsès était un personnage incroyable à défendre. Et puis, je connaissais le travail de Clément et sa façon de mettre en scène.

Est-ce que vous avez « trouvé » Ramsès dès la lecture du scénario ? Comment avez-vous travaillé la cohérence de personnage qui tient tout le film ?
Karim Leklou : C’est un personnage qui s’est construit pendant un mois de répétition, avec l’ensemble des acteurs. On a travaillé sur cette idée de transmission avec le père (interprété par Ahmed Benaïssa), avec en même temps cette peur de tomber dans ses travers. Il fallait trouver la faille affective du personnage. C’était aussi un plaisir immense de travailler avec Cécile Rodolakis, qui est une des meilleures scriptes de France. Elle est aussi garante de cette cohérence.
Si je vous dis que j’ai trouvé votre interprétation christique ?
Karim Leklou : (Il se tourne vers Clément Cogitore) Pourquoi pas ? Je pense que Clément a voulu aller à l’universel, intégrer toutes les croyances et il fallait un personnage qui puisse incarner cela.
Cogitore rend les vulnérables et les fragiles , beaux.
Toujours au programme du Star
Preuves en sont les expos successives du MAMS : "Au Pays des merveilles, les rencontres d’Alice et les surréalistes", actuellement et celle consacrée il y a 11 ans à " L' Europe des Esprits ou la fascination de l'occulte. 1750-1950.
avec une présentation magistrale de Daniel Payot ( page 53):" Il est surprenant de constater qu'au moment même où certains penseurs désignent les pouvoirs de la connaissance, de l'intellect et de l'analyse comme les moyens les mieux à même de restreindre l'emprise de l'obscur, du préjugé et de l'aveuglement, d'autres voient au contraire dans les facultés du coeur et de l'intime, sentiment et sensibilité, la disposition seule capable de surmonter le déchirement de l'humanité moderne et d' assurer le dépassement de sa condition finie".
Je suis très sensible au travail d'artisan- artiste inspiré , éclectique et fécond de Clément Cogitore.
J'avais été saisi par " Ni le ciel, ni la terre" et le mysticisme gagnant jusqu'aux militaires perdus en Afghanistan ( le film avec été tourné au Maroc après le passage du dernier Star Wars No 7, Le Réveil de la Force).
Sans parler du jubilatoire travail " Les Indes Galantes" qui alliait "une lecture décoloniale" de l'oeuvre de Rameau au Hip Hop et à la danse urbaine, en général , orchestrée par la chorégraphe Bintou Dembélé.
J' y ai retrouvé le rythme et la force du travail de la troupe local Mémoires Vives de Yann Gilg.
Tout cela donne à penser et à rêver à la recherche d'un " Grand Esprit" commun dans le lequel les Hommes et les Femmes se reconnaitraient en paix.