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Grâce à Airbnb, des propriétaires s’improvisent hôteliers

À Strasbourg, quelques multi-propriétaires décident de passer par les plateformes de tourisme comme Airbnb ou Booking pour louer leurs meublés. L’activité s’est largement ralentie avec le Covid mais reste rentable. Particulièrement pour les restaurateurs, qui bénéficient de dérogations.

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De nombreuses annonces Airbnb proposent un logement à la Petite France (Photo Anne Arnould/visualhunt/cc)

L’immeuble de Anne Bazille, au coin de la rue Kuhn, est animé. Entre le laboratoire d’analyses médicales au rez-de-chaussée et les deux cabinets de médecins, la retraitée voit passer du monde. Loin de la déranger, puisqu’elle habite au dernier étage, elle se pose tout de même la question pour l’un des co-propriétaires « discrets » de son immeuble, qui possède un appartement de 175 m² au premier ainsi que la buanderie du sous-sol.

Son activité est annoncée dès la porte d’entrée : une plaque gravée renseigne sur le logement loué via Airbnb. « Le Gabriel » est présenté comme un complexe de cinq « hébergements indépendants » notés trois étoiles sur la plateforme. Allant de 100 à 120 euros la nuit, les chambres de l’appartement sont réservables à la manière de chambres d’hôtel. Son propriétaire, Bacel Sarrouge, a racheté cet appartement il y a huit ans et dit continuer de le rembourser, à hauteur de « 30 000 euros par an ».

Des meublés vides de touristes pendant le Covid

Lui qui enregistrait un chiffre d’affaires de 100 000 euros avant la pandémie, s’est retrouvé avec un gros déficit en 2020 :

« Nous avons eu une aide du fonds de solidarité pour compenser le manque à gagner, cela nous faisait 40 000 à 50 000 euros au total, comme pour les bonnes années. Mais c’est un pseudo chiffre d’affaires, puisqu’en réalité, les réservations m’ont rapporté environ 3 000 euros. De toute façon ma femme travaille, je considère que c’est pour la retraite que je loue cet appartement. »

« Le Gabriel » est un appartement de 175 m² loué en plusieurs parties sur Airbnb. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg / cc

Comme nous l’expliquions dans le premier volet sur les Airbnb à Strasbourg, le nombre de meublés touristiques était passé de 3 192 à 1 785 entre janvier 2019 et décembre 2021, avec une baisse de 22% en 2020 par rapport à l’année précédente. Selon les données du site AirDNA, leur prix moyen était de 107,9 euros en novembre 2021.

Moins d’activité en 2020

D’après notre estimation calculée à partir des taux d’occupations (soit le nombre de jours loués dans le mois par logements proposés sur les plateformes Airbnb et Vrbo, NDLR) sur l’année 2020 à Strasbourg, les logements ont été réservés en moyenne 13,6 jours par mois entre janvier et novembre cette année-là. Soit quatre jours de moins qu’en 2019. En novembre 2021, ces taux repassent à 16,9 jours réservés.

Puis retour à la normale

Une tendance qui correspond bien à l'expérience de Dominique Klein. Ce propriétaire a monté une société pour gérer en famille ses huit logements situés Grand'Rue à Strasbourg. Pendant le confinement, faute de réservations, il a décidé de prêter ses Airbnb à l'hôpital pour héberger des médecins. Ses réservations sont depuis reparties à la hausse :

"Mes logements sont quasiment tous pleins depuis la rentrée de septembre. Mon réseau se situe surtout dans le monde de la culture. J'ai été régisseur de spectacle, donc j'héberge beaucoup les comédiens."

Ses logements se louent de 85 à 200 euros la nuit (voire 250 en période de marché de Noël), avec un minimum de trois nuits par réservation. En calculant la moyenne des prix à la nuit des huit appartements proposés, un petit logement peut rapporter 1 037,5 euros le mois, selon nos estimations.

Des loyers "20 à 25%" plus rentables qu'en location classique

Sur les plateformes de location de tourisme, ils sont quelques propriétaires à louer plusieurs logements simultanément à travers une société de location. Certains passent par des conciergeries spécialisées qui se chargent de la logistique. Simon Ehrenreich est président de l'agence spécialisée Cotoon à Colmar. Il explique :

"Nous nous occupons de la promotion du logement, de l'accueil et du ménage, contre une commission de 21% toutes taxes comprises. Ce genre de location rapporte en moyenne 20 à 25% de plus que pour de la location classique dans notre agence. Mais les propriétaires ne sont pas seulement intéressés par cela : c'est aussi plus flexible et il n'y a pas le risque d'impayés."

Le chef d'agence nuance la profitabilité de ces recettes :

"Il faut aussi prendre en compte les charges comme l'eau, l'électricité ou le wifi qui sont payés par le propriétaire et pas par le locataire. L'année passée, avec le Covid, certains propriétaires n'ont pas eu de location avant juillet. Avec les charges, les revenus de l'un de mes propriétaires tournent autour d'un tiers du chiffre d'affaires global".

Une concurrence déloyale, selon les hôteliers

Il reste que, dans le quartier du centre où Dominique Klein loue ses huit meublés de tourisme, le prix au mètre carré d'un logement est estimé à 18 euros sur le site de location Seloger.com. Pour le meublé de tourisme le moins cher de son bâtiment, la location mensuelle d'un mètre carré est à 98 euros, selon notre estimation.

Pour Christophe Weber, directeur du l'Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie (UMIH) du Bas-Rhin, louer ses meublés de tourisme permet aussi de s'affranchir de certaines charges et réglementations propres à l'hôtellerie :

"La législation dit qu'au-dessus de cinq chambres, je suis un hôtel. Donc il faut un système d'évacuation de fumée, un SCI (Système Central Incendie), une conciergerie de nuit et il y a tout un tas de critères et contrôles qui alourdissent les charges. En louant par tiroirs (donc plusieurs chambres sur un appartement), on n'est pas censé avoir plusieurs chambres louées à la fois. C'est de la concurrence déloyale quand cela fonctionne comme un hôtel."

Un propriétaire, sept logements en Airbnb

Dominique n'est pas le seul à posséder l'équivalent d'une résidence remplie de logements de tourisme. Franck Meunier, multi-restaurateur connu à Strasbourg pour ses 15 bars et restaurants, propose ainsi sur la seule plateforme Airbnb un catalogue de sept logements dont il est hôte, tous situés à différents endroits du centre-ville. Quatre d'entre eux sont dans deux bâtiments de la Grand'Rue, près de son bar Le Troquet des Kneckes. Il possède aussi deux logements rue du Faisan, et un autre à côté de son Bar des Aviateurs. Ces logements sont gérés directement par sa SARL de location immobilière, Les apparts des Kneckes.

Le restaurateur est aussi co-hôte de 15 logements. Selon Airbnb, ce statut permet d’aider les titulaires à gérer les logements et voyageurs, contre rémunération. Interrogé, le multi-restaurateur affirme "ne pas gagner d’argent" sur cette activité "d’aide", sans cependant préciser cette affirmation.

Parmi les appartements dont il est co-hôte, il y a deux appartements au-dessus de la galerie Aedaen, un centre artistique de la rue des Aveugles de Strasbourg. Son propriétaire, Patrick Adler, dit aussi ignorer comment se passent les locations : ce sont les employés de sa société de location 45 A Main Street qui gèrent.

L'Aedaen Place, géré par Patrick Adler, propose deux appartements sur Airbnb au-dessus du bar-restaurant. Photo : Danae Corte / Rue89 Strasbourg / cc

Des loyers plus rentables

À partir des données d'AirDNA, la moyenne de prix d'une nuit est de 92,6 euros et les appartements étaient réservés en moyenne 16,8 jours dans le mois, sur les 11 premiers mois de 2021 à Strasbourg. Ces chiffres nous permettent d'estimer qu'un appartement pouvait générer 1 555,68 euros par mois en moyenne aux propriétaires de meublés de tourisme.

Pour l'exemple de Franck Meunier, avec 95,71 euros de prix journalier moyen et des logements en plein centre-ville, ce montant peut s'élever à 1 607,9 euros par mois, toujours selon notre estimation. Tandis qu'à Strasbourg, le loyer moyen mensuel pour la location d'un meublé deux pièces est de 744 euros, selon le site de location Seloger.com. Cette marge conséquente n'est pas la motivation principale d'après le restaurateur :

"Ce n'est pas avec cette activité que nous faisons des bénéfices, ce n'est pas notre cœur de métier. Les locations touristiques sont aussi un moyen d'éviter de déranger les locataires. La population qui loue en Airbnb n'est pas la même que celle en location classique, le bruit les dérange moins."

Sans limite pour les restaurateurs 

Pour les multi-propriétaires qui louent leurs meublés à Strasbourg au-dessus de leur bar-restaurant, aucune restriction ne s'applique sur le nombre de logements possédés. En fait, la réglementation veut que dans un même bâtiment, la surface disponible pour l'habitation classique ne soit pas inférieure à 60%. Cette règle ne s'applique pas dans le cas "d’installation de locaux d’activités au-dessus d’un bar-restaurant ou de toute activité générant des nuisances sonores durant les horaires nocturnes".

Autrement dit, les locations touristiques installées au-dessus d'un bar-restaurant (comme c'est le cas de Franck Meunier ou de Patrick Adler) ne sont soumises à aucune limitation réelle de taille ou de nombre. Il en va d'ailleurs de même pour le système de compensation (pour chaque autorisation de changement de statuts, un logement de dimensions et de qualité équivalentes doit être pourvu dans le même quartier pour de la location classique, à partir du deuxième logement par personne physique, NDLR).

Suzanne Brolly, vice-présidente en charge de l’habitat à l'Eurométropole, justifie :

"L’objectif de la règle concernant les locaux au-dessus d’un bar-restaurant ou d’une activité générant une gêne sonore est de privilégier des locaux d’activités plutôt que des logements. L'objectif est de permettre une activité compatible avec les nuisances, pas de faire du meublé de tourisme."


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