Dans l’entre-soi journalistique, le projet de loi de refonte de l’audiovisuel public porté par la ministre de la Culture Rachida Dati crispe depuis des mois. Il arrive, pour la quatrième fois depuis 2023, devant l’Assemblée nationale lundi 30 juin. Et suscite un mouvement de grève illimité, depuis jeudi pour la radio et à partir du 30 juin pour la télé. En mai 2024 déjà, les employés se mobilisaient contre ce projet.
« Pour les auditeurs et auditrices, ce projet menace la diversité des programmes locaux au profit des nationaux », explique Olivier Vogel, élu représentant de proximité SNJ-CGT chez Ici Alsace. Le cœur de la réforme voulue par la ministre de la Culture est projet de « holding » rassemblant Radio France, France Télévisions et l’INA, voir peut-être France média monde (France 24 et RFI). Les chaines de radio et de télévision locales fonctionneraient comme une seule rédaction, sous forme de « filiales » de la holding, et toutes ces filiales auraient une direction de l’information commune. L’initiative inquiète, d’autant plus qu’à l’échelle internationale, des journalistes luttent activement contre la concentration des médias.
« Ici » partout
Un glissement déjà initié, depuis que les chaines de radio et de télé s’appellent toutes « Ici ». « Nous ne sommes plus des chaînes, nous sommes devenus des marques », souligne Cécile Poure, déléguée syndicale centrale pour la Cfdt France Télévisions et journaliste à France 3 Alsace. La syndicaliste évoque des journalistes de la télé qui écrivent déjà des articles pour le site web de la radio.
Autre risque identifié par les responsables syndicaux, la perte du pluralisme de l’information. « Pour l’instant, on fait des articles sur des sujets similaires mais avec des angles différents », explique Cécile Poure :
« Si nous sommes rassemblés en une seule rédaction, j’imagine qu’on n’enverra pas trois personnes sur le même sujet, une pour la radio et deux pour la télé. Donc des angles vont disparaître et l’information sera plus pauvre. »
Sur le terrain, Olivier Vogel constate déjà la perte de contenus éditoriaux locaux au profit de nationaux sur Ici Alsace. Les antennes locales de la radio publique ont lancé une alerte début juin en ce sens. « Ce qui nous inquiète avec ce projet de média global, c’est qu’on finira tous par faire la même chose, un peu de radio, un peu de télé, beaucoup de petites vidéos », déplore-t-il.
Face à ce « média global », les syndicalistes craignent également la perte d’emplois – faire plus sans embaucher plus. « Demandera-t-on aux journalistes radio de faire de la télé ? Faudra-t-il récupérer le son des vidéos pour faire de la radio ? Les rédactions web seront-elles fusionnées ? On ne sait pas », admet Cécile Poure. Elle dénonce le désir de la directrice de France Télévisions de mettre en avant la « polycompétence » des journalistes.
Potentielles pressions ministérielles
La syndicaliste alerte également sur le risque d’une direction unique à la tête de la holding, qui pourrait plus facilement être soumise aux pressions de la ministre de tutelle. « Dans ce cas, l’indépendance de l’information ne serait plus garantie, la liberté et l’esprit critique non plus, l’audiovisuel public deviendrait vertical et monolithique », assène-t-elle. Et si un gouvernement d’extrême-droite venait à être élu, tout l’audiovisuel public pourrait ainsi se retrouver sous son influence. « Et même avant, lorsqu’on voit la considération de Rachida Dati pour les journalistes, l’hypothèse d’être dans cette position nous fait peur », conclut-elle, faisant référence à l’attaque personnelle de la ministre à l’encontre du journaliste Patrick Cohen, sur le plateau de C à vous, le 18 juin.
Depuis le démantèlement de l’ORTF en 1974 et la création de sociétés distinctes pour la production de l’audiovisuel français, chaque structure dispose d’une gestion propre. En proposant de les réunir en une seule entreprise, la ministre de la Culture avance la nécessaire « relance » du secteur qui aurait « raté le virage du numérique ».
Lundi 30 juin, une assemblée générale réunissant les grévistes de France 3 Alsace et de France Bleu Alsace (Ici) se tiendra place de Bordeaux dès 9h30. Au niveau national, les syndicats SNJ-CGT, Cfdt, FO et SNJ sont mobilisés. C’est le chemin du projet de loi devant l’Assemblée nationale qui déterminera la longueur de la mobilisation.



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