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Ils hébergent des sans-abris : « Si chacun fait quelque chose, on va y arriver »

Face au manque de places d’hébergement, des citoyens se mobilisent pour héberger chez eux des personnes en recherche d’un toit. Des associations leur proposent un cadre légal et un accompagnement, pour faire de cet engagement une rencontre sereine.

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Ils hébergent des sans-abris : « Si chacun fait quelque chose, on va y arriver »

Avec la FEP, offrir son appart’ au bout d’un « couloir humanitaire »

Ces mots font écho à ceux de Roselyne, bénévole retraitée au sein de l’ARDAH (Accueil des Réfugiés et Demandeurs d’Asile à Haguenau), qui fait partie du dispositif de la Fédération Protestante. Roselyne et son mari ont mis à disposition dès 2016 un appartement du centre-ville de Haguenau dont ils sont propriétaires. Avec d’autres habitants, ils souhaitaient réagir face à la vague de réfugiés en 2015, marqués par l’image du petit Aylan, décédé sur une plage turque. L’appartement a permis de loger une mère et ses deux enfants, rejoints ensuite par le père. Depuis avril 2019, il accueille Yasser, sa femme Hayat et ses enfants Amar et Hanane.

La famille syrienne est arrivée par les « couloirs humanitaires » du Moyen-Orient : « un protocole auquel participe la Fédération Protestante (FEP), signé par le ministère de l’Intérieur et les autorités libanaises », explique Cécile Clément, assistante sociale à l’Etage, détachée à la FEP pour la coordination du dispositif d’accueil. « Il consiste à faire entrer en France des réfugiés syriens et irakiens actuellement dans des camps au Liban. Et ce, de manière légale ».

La plupart des familles qui bénéficient de l’hospitalité du réseau de la FEP sont arrivées dans ce cadre. Elles sont six dans le Bas-Rhin et une dans le Haut-Rhin. « Puis, pour chaque famille qui a besoin d’un logement, on cherche à monter un collectif de volontaires qui pourra accompagner les personnes dans la vie de tous les jours », ajoute Cécile Clément. C’est pour cela qu’à Haguenau, la FEP s’est appuyée sur l’ARDAH (l’association soutient aussi des réfugiés qui n’ont pas besoin d’hébergement).

Toute une équipée pour un hébergement

Mais Roselyne ne met pas seulement à disposition son logement. Avec Cathy Heller, la présidente de l’ARDAH, et la centaine de bénévoles qu’elle compte, elle aide à l’inscription à la mairie et à l’école, accompagne à des rendez-vous médicaux ou administratifs, fait la paperasse… et propose de partager des moments communs, un repas, une fête locale, ou un des « cafés rencontre » organisé par l’association. « On a dû s’arrêter à cause des confinements, mais ça commence à reprendre, et c’est très sympa, on rencontre des gens d’autres pays aussi », s’enthousiasme Yasser.

Cécile Clément (à gauche) est la référente de la FEP qui organise les installations et assure la médiation. Roselyne a mis gracieusement son appartement à disposition de Yasser, Hayat et leurs enfants. Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Alors qu’il était arrivé en France « inquiet de savoir s’[ils] allaient réussir à s’intégrer », il se sent remis d’aplomb depuis un an et demi, grâce au soutien des bénévoles, notamment financier :

« Elles nous ont aidés pour les courses, pour le lait des enfants, les couches… et aussi pour que je passe mon permis de conduire ! »

« Les gens ont été très généreux », se rappelle Cathy. Cécile Clément explique que, généralement, les collectifs organisent des cagnottes pour anticiper les dépenses des familles. Mais l’enthousiasme ne s’arrête pas à un don. Elle constate n’avoir aucune difficulté à créer des cellules de bénévoles autour des réfugiés :

« Quand je lance un appel, j’ai généralement 30 personnes qui se portent volontaires (une dizaine de personnes peut suffire par cellule, NDLR). Ce qui est plus compliqué, c’est vraiment de trouver le logement. »

Cécile Clément, coordinatrice du dispositif d’accueil de la FEP

Pas facile de trouver un logement entier et gratuit

Dans ce dispositif, la FEP demande que soit mis à disposition un logement entier ou l’étage d’une maison par exemple, car ce sont toujours des familles qui sont accueillies. Lors des appels annuels à logement, la FEP n’obtient généralement qu’une ou deux réponses. Cécile se l’explique par la lourdeur de l’engagement :

« C’est vrai qu’on demande une mise à disposition pour au moins six mois, le temps que les personnes obtiennent leur statut de réfugié et puissent trouver à se loger ailleurs. »

Mais elle précise qu’avec les couloirs humanitaires, les familles ont « quasiment la garantie » d’obtenir le droit d’asile, et qu’elle-même est présente pour accompagner et rassurer les accueillants. Si Roselyne s’en fiche de perdre une rentrée d’argent (« on voulait s’engager, ça en fait partie »), elle concède qu’accueillir des personnes totalement étrangères demande une certaine adaptation et de revoir « ce qu’on peut projeter sur eux » :

« Quand ils sont arrivés, on a compris qu’on pouvait ranger le Champagne parce qu’ils ne boivent pas d’alcool. C’était aussi la première fois qu’on accueillait une femme qui porte le voile, elle était très discrète et a souhaité qu’on mette très vite des rideaux opaques aux fenêtres. »

« C’est moi qui les ai cousus », sourit Cathy, qui ajoute qu’il faut « s’abstenir de juger » la manière de vivre des gens accueillis.

Cathy fait partie de la « task-force » autour de l’hébergement de Yasser. Avec l’ARDAH, elle apporte son soutien à d’autres personnes exilées à Haguenau. Photo : DL / Rue89 Strasbourg

Entre fatigue et malentendus

C’est dans son rôle de coordination et de médiation que Cécile Clément est là pour désamorcer les tensions et incompréhensions qui peuvent exister : 

« Il peut y avoir des attentes différentes des deux côtés. Par exemple, un accueilli en colère qu’un accueillant lui ait mal expliqué des démarches. Certains ne comprennent pas trop le concept de bénévole, pourquoi des personnes les aident autant, gratuitement… »

Cathy et Roselyne aiment rappeler qu’elles ne sont pas travailleuses sociales et que leur engagement est une rencontre d’humain à humain :

« Les gens qu’on aide, ce ne sont pas des bénéficiaires, on en parle plutôt comme d’amis. Eux-mêmes nous disent souvent : “l’ARDAH, c’est ma famille“. »

« Wir schaffen das »

Avec l’Ouvre-Porte et JRS, ce sont pour l’instant moins d’une dizaine de personnes qui sont hébergées dans ces dispositifs citoyens dans le Bas-Rhin. Mais pour les bénévoles, ça vaut toujours le coup : « On est des colibris, on fait notre part », estime Cathy. « Si chacun fait quelque chose, “wir schaffen das“ (“nous allons y arriver“) » , ajoute-t-elle en reprenant les mots de la chancelière allemande Angela Merkel au moment de la crise migratoire de 2015. « Il s’agit aussi et surtout de montrer que c’est possible », affirme Baptiste. « À l’antenne de Grenoble, ils ont 150 hébergeants, 19 boucles, et représentent 1% des hébergements d’urgence ». Julie ajoute :

« Si on grossit, on pourra aller voir l’État et leur dire : “Si on y est arrivés, pourquoi vous, vous n’organisez pas cette mise à l’abri ?“ »

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