
À Hoerdt et alentours, des pesticides au-dessus des seuils réglementaires dans l’eau du robinet
L’eau consommée par les habitants de la communauté de communes de la Basse-Zorn est contaminée par des produits liés aux pesticides agricoles. Un arrêté autorise la collectivité à poursuivre la distribution de l’eau en attendant un retour à la normale.
De l’eau avec plus de pesticides qu’autorisé coule des robinets des 14 584 habitants de Hoerdt, Bietlenheim, Geudertheim, Gries, Kurtzenhouse et Weyersheim. Cette eau provient de quatre forages situés à Bietlenheim, exploités par le Syndicat des eaux et de l’assainissement d’Alsace Moselle (SDEA).
Tous ces forages présentent des taux de concentration en pesticides et métabolites – des composants nés de la dégradation des pesticides dans l’environnement – supérieurs à la réglementation. La communauté de communes de la Basse-Zorn (CCBZ), qui regroupe ces villages situés au nord de Strasbourg, a ainsi obtenu de la préfecture du Bas-Rhin et de l’Agence régionale de santé (ARS) Grand-Est, un arrêté dérogatoire, jeudi 21 juillet (voir ci-dessous), afin de continuer à distribuer cette eau non-conforme, et ce pour une durée de trois ans, en l’absence « d’autres moyens raisonnables immédiats ».
Entre mars 2020 et mars 2022, l’ARS Grand Est a réalisé une série de prélèvements et d’analyses dans les quatre forages qui alimentent les foyers de la CCBZ, visant à déterminer la présence et la quantité de certains pesticides et métabolites. Les résultats sont joints en annexe de l’arrêté dérogatoire du 21 juillet, en page 9 du document : les métabolites métolachlore ESA, le métolachlore NOA, et le chloridazone desphényl, sont retrouvés dans des proportions qui dépassent la limite règlementaire en vigueur, soit 0,1 microgrammes par litre (µg/l).
C’est un arrêté daté du 11 janvier 2007, qui fixe les limites de qualité de l’eau à destination de la consommation humaine en France. Ces trois produits pourraient « engendrer un risque sanitaire inacceptable pour le consommateur » selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses).
Des taux jusqu’à neuf fois le seuil règlementaire
Selon les analyses de l’ARS Grand Est, sur la base des données collectées à différents moments et endroits entre mars 2020 et mars 2022, les eaux souterraines de Bietlenheim, distribuées sur le territoire de la CCBZ, comprennent en moyenne 0,39 µg/l de métolachlore ESA, et 0,27 µg/l de métolachlore NOA, soit des taux entre trois et quatre fois supérieurs à la norme de 0,1 µg/l. Des pics à près de neuf fois la valeur du seuil règlementaire de qualité sont détectés en février 2021 pour le premier et mars 2021 pour le second.
En ce qui concerne le chloridazone desphényl, sa concentration reste inférieure à la limite, à l’exception d’un prélèvement, entre juin et novembre 2021 (la date précise est illisible sur l’arrêté), où il est mesuré à 0,11 µg/l. Les scientifiques de l’ARS ont aussi additionné la concentration de ces métabolites. Selon la réglementation, elle ne doit pas dépasser 0,5 µg/l. La moyenne de concentration s’établit à 0,66 µg/l et atteint un sommet en mars 2021, avec une mesure à 1,69 µg/l !
La préfecture et l’ARS estiment que cette eau peut néanmoins être consommée sans risque pour la santé. De nouveaux seuils ont été fixés : 1 µg/l pour le metolachlore ESA et NOA, dix fois le seuil règlementaire initial. Pour le chloridazone desphényl, le nouveau seuil est fixé à 0,5 µg/l, cinq fois plus que la limite. La concentration totale ne doit pas excéder 2 µg/l, la limite est d’ordinaire à 0,5 µg/l. L’État enjoint la collectivité à remédier à cette situation dans un délai de trois ans. Si cette dernière n’y arrive pas, elle peut bénéficier d’un délai supplémentaire de trois ans, en déposant à nouveau un dossier motivé.

Des substances aux conséquences méconnues
Sur son site, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), compétente pour rendre des avis de référence sur ces sujets de contamination des eaux potables, rappelle :
« La valeur réglementaire de 0,1 µg/L n’étant pas basée sur une analyse toxicologique ni sur des études épidémiologiques, celle-ci ne permet pas d’évaluer le risque pour la santé en cas de dépassement. »
La limite à partir de laquelle la consommation devient dangereuse pour la santé est appelée « valeur maximale sanitaire », ou Vmax. Ces Vmax sont établies par l’Anses. Selon l’arrêté du 21 juillet, la valeur maximale sanitaire en vigueur pour le métolachlore ESA est de 510 µg/l, soit plus de 500 fois la valeur du nouveau seuil déterminé par la préfecture. C’est une substance connue et qui a fait l’objet d’études solides.
En mai 2018, Rue89 Strasbourg a publié une enquête sur les incertitudes quant à l’impact des produits phytosanitaires sur la santé, notamment à cause de leurs effets inconnus lorsqu’ils sont combinés.
Le métolachlore NOA et le chloridazone desphényl n’ont pas été suffisamment étudiés pour définir une Vmax. C’est le préfet, sous recommandation de l’ARS qui fixe une « valeur sanitaire provisoire ». Dans le Bas-Rhin, elle est de 3 µg/l pour le métolachlore NOA et le chloridazone desphényl. Un avis de l’Anses du 23 avril 2020 explique qu’il n’y a jamais eu d’étude solide sur ces molécules qui permette d’établir une Vmax.
Un plan d’actions à mettre en œuvre
L’arrêté préfectoral ne pointe pas comme cause de cette pollution l’épandage de pesticides dans les champs alentours. Pourtant, les trois composants problématiques sont des composés dérivés de pesticides. Par ailleurs, un quart de la zone de captage, étendue sur 2 041 hectares, est occupée en surface par des terres agricoles (521 hectares), toujours selon l’arrêté préfectoral.
Dans les annexes de l’arrêté, le SDEA fixe un plan d’actions à la CCBZ pour que l’eau retrouve des concentrations en pesticides en dessous des seuils réglementaires. Une partie des mesures portent sur l’agriculture et visent à effectuer une transition vers des pratiques agricoles utilisant moins de pesticides.
Des mesures d’urgence seront mises en place, comme poser des filtres à charbon actif qui fixent les pesticides sur les puits de captage d’eau, et créer « une connexion d’urgence » avec le réseau de l’Eurométropole de Strasbourg. Un budget prévisionnel pour financer de nouvelles études et installations est estimé de deux à trois millions d’euros.
« On assume l’histoire »
Contacté, le président de la communauté de communes de la Basse Zorn (CCBZ) et vice-président du SDEA Alsace Moselle, Denis Riedinger, explique :
« C’est un travail collectif qu’on doit mener. Le SDEA est très vigilant sur ces sujets. Ces produits ont été utilisés pendant des décennies et maintenant on doit mettre en place des solutions qui permettent de revenir en dessous du seuil. Je ne jette pas la pierre aux agriculteurs. Ces produits ont longtemps été autorisés et encouragés. On assume l’histoire. »
La CCBZ n’est pas le seul établissement public à avoir bénéficié de cet arrêté dérogatoire. Deux autres arrêtés concernant l’eau distribué par le Syndicat d’eau et d’assainissement (SDEA) d’Alsace Moselle, sur les secteurs de Sélestat et Benfeld / Erstein, ont également été pris. Dans ces deux cas, la dérogation ne concerne que le métolachlore ESA.
En vérifiant les rapports d'essai détaillés publiés sur le site OROBNAT du "Ministère de la santé et de la prévention", je constate que la molécule "Anthraquinone", considérée ici comme un pesticide, dépasse le critère de 0.1 µg/l (0.22 µg/l) dans un prélèvement d'eau de robinet effectué le 23/06/2022 à 9h44 à Bietlenheim.
Voici un extrait des "conclusions sanitaires" repris du rapport d'essai officiel publié sur le site OROBNAT :
"L'anthraquinone a été mesurée à une teneur supérieure à la limite de qualité (0,1 µg/l) De nouvelles analyses de contrôle sont commandées afin de vérifier le retour à une situation normale."
Extrait du site WIKIPEDIA :
"L'anthraquinone peut être impliquée dans la pollution de l'eau du robinet aux hydrocarbures.
Le phénomène est décrit dans le rapport ANSES n°2010-SA-0184 (Juillet 2011)7 :
Jusque dans les années 80, on utilisait des conduites en fonte ou en acier, avec un revêtement interne d’étanchéité en matière « hydrocarbonées » (c-à-d du goudron, ou du brai de houille), ce produit était aussi utilisé pour les joints des conduites, mais aussi pour les joints des réservoirs d’eau (en acier ou en béton), sur le site de production. Ces matières hydrocarbonées, utilisées comme étanchéifiant, contienne un composé : l’anthracène, qui, en réagissant avec le chlore contenu dans l’eau, forme de l’anthraquinone (Hydrocarbure Aromatique polycyclique). Il faut savoir que environ 20% des canalisations de France sont concernées, essentiellement en milieu urbain.
Il y a donc des hydrocarbures qui se forment (par réaction chimique) à l’intérieur des anciennes conduites d’eau, et ces hydrocarbures peuvent occasionnellement se détacher, et venir polluer l’eau du robinet. Cela se produit notamment lors d’opérations de maintenance effectuées par le distributeur : par exemple : nettoyage de cuves, manœuvre de vannes, cela provoque des fluctuations de débit dans les conduites (ce qu’on appelle des « coups de bélier »), les fluctuations de concentration en chlore dans l’eau, peut aussi favoriser le relargage de l’anthraquinone dans le réseau d’eau potable.
Le rapport scientifique de l'ANSES a débouché sur une instruction Ministérielle (Instruction du Ministère de la Santé n° DGS/EA4 2011-487 (du 27/12/2011)8 réglementant la manière de remédier à ce type de pollution."
-> vers le site WIKIPEDIA
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthraquinone
-> vers le site OROBNAT :
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R11461
https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/eaux/eau#Resultats-du-controle-sanitaire-de-la-qualite-de-l-eau-potable-en-ligne-nbsp
Un grand merci à Nicolas COSSIC, et à "Rue89 Strasbourg" pour cet article très intéressant que j'ai découvert grâce aux réseaux sociaux.
Dans mon Pays, la Belgique, cela fait plus de 4 ans que j'essaye d'obtenir des informations des autorités compétentes (le Fédéral + la Région wallonne + la Région flamande + la Région de Bruxelles-Capitale) sur (1) les "métabolites de pesticides organiques", (2) le pesticide inorganique "chlorate" et (3) le "perchlorate" qui sont potentiellement présents dans les eaux de consommation humaine.
Je me suis d'ailleurs permis d'ajouter la référence de votre article dans ma synthèse "Politique de l'autruche et Convention d'Aarhus" dont le lien est repris ci-après.
https://eausecours.home.blog/2021/03/14/politique-de-lautruche-convention-daarhus/
J'y mentionne des problèmes similaires constatés en France en Région Hauts-de-France, en Région Bourgogne-Franche-Comté et en Région Bretagne. Et ce en comparaison avec la situation en Belgique, dans d'autres pays membres de l'Union européenne et ailleurs dans le Monde.
Il est vrai que le critère de 0.1 µg/l par "pesticide" et le critère de 0.5 µg/l pour la somme des "pesticides" fixés dans la Directive européenne sur la qualité de l'eau de consommation humaine pour les "métabolites de pesticides organiques pertinents" sont des critères de "qualité" et non des critères de "toxicité". Mais il est important sur le fond, et légalement obligatoire, de respecter ces critères pour des molécules dont l'évaluation de la toxicité "individuelle" et plus encore en "cocktail" est difficile et in fine peu maitrisée, en particulier quand il s'agit d'effets de type "perturbateur endocrinien".
En résumé, je constate que la France est plus transparente que la Belgique sur ces questions, et est devenue pour moi une source d'informations et d'inspiration.
Jean-Luc Fourré
« C’est un travail collectif qu’on doit mener. Le SDEA est très vigilant sur ces sujets. Ces produits ont été utilisés pendant des décennies et maintenant on doit mettre en place des solutions qui permettent de revenir en dessous du seuil. Je ne jette pas la pierre aux agriculteurs. Ces produits ont longtemps été autorisés et encouragés. On assume l’histoire. »"
Merci Monsanto-Bayer *
Et vive la logique du profit ...dévastateur ...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Monsanto
Dans les années 1940, Monsanto était un producteur majeur de plastiques comme le polystyrène et des fibres synthétiques. Monsanto est notamment la première entreprise à avoir produit des diodes électro-luminescentes visibles en masse. Elle a aussi produit des PCB et de l'agent orange, de l'aspartame et de l'hormone bovine de croissance recombinée.
Dans les années 1970 Monsanto développe et brevète un de ses produits le plus connu, l'herbicide au glyphosate RoundUp. Le dernier brevet américain concernant le RoundUp expire en 2000. Le glyphosate est l'herbicide le plus utilisé au monde.
Au début des années 1980, le potentiel des biotechnologies végétales provoque une forte réorganisation du marché des produits phytosanitaires et des semences, autrefois séparés. Monsanto se désengage alors de la chimie industrielle pour s’orienter vers la biotechnologie et les semences via une politique de rachat intensif. D'autres entreprises du secteur de la chimie agricole feront de même durant les années 1980 et 1990, ce qui aboutira à la fondation des grandes entreprises du secteurs : Syngenta, Dow AgroSciences et Pioneer Hi-Bred, toutes étant présentes sur les marchés des semences, des produits phytosanitaires et des organismes génétiquement modifiés (OGM).
L'entreprise a été impliquée dans de nombreux scandales sanitaires et écocides. Elle est notamment soupçonnée de rémunérer, directement ou indirectement, des experts et scientifiques afin de discréditer les lanceurs d'alerte, donner une image positive des produits qu'elle vend et faciliter l'agrément des autorités sanitaires."
Vous annoncez "il faudrait boire des dizaines de mètres cubes d'eau par jour pendant des années pour pour avoir les mêmes risques sanitaires que si vous prenez une aspirine ou un cachet de paracétamol". Nous aimerions bien savoir quelle est la source de cette information, et de quels seuils ou valeurs toxicologiques vous parlez.
On évoque le cas des Vmax dans l'article, mais être en-dessous de ces Vmax ne signifie pas qu'il n'y a pas de risque, surtout à long terme.
Les effets sur la santé de l'exposition aux pesticides dans l'air et l'eau sont difficiles à prouver. Par exemple, l'effet cocktail des pesticides, lorsqu'ils agissent à plusieurs, est méconnu :
https://www.inrae.fr/actualites/effet-cocktail-pesticides-faible-dose-lalimentation-premiers-resultats-lanimal-montrent-perturbations-metaboliques
Les habitants des zones agricoles sont plus touchés que le reste de la population par certaines maladies comme Parkinson :
https://www.lafranceagricole.fr/actualites/cultures/maladie-de-parkinson-les-agriculteurs-et-la-population-des-zones-agricoles-davantage-exposes-1,0,537029882.html
Les plus exposés semblent être les agriculteurs :
https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/pesticides/article/effets-sur-la-sante-d-une-exposition-a-des-pesticides#:~:text=L'expertise%20de%20l'Inserm,non%20hodgkinien%2C%20my%C3%A9lome%20multiple).
Riedinger assume, eh ben qu'il soit aussi responsable et coupable s'il y a problème !