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À l’hôpital, la crainte des effets secondaires du passe sanitaire

Le premier jour du passe sanitaire s’est déroulé sans accroc au Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg. Soignants et représentants syndicaux s’inquiètent des effets à plus long-terme du dispositif, entre engorgement accru des urgences, suspension des collègues réfractaires au vaccin et fermeture de lits…

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À l’hôpital, la crainte des effets secondaires du passe sanitaire

Un air de dernière répétition à l’entrée du Nouvel Hôpital Civil (NHC) à Strasbourg. Lundi 9 août, devant les portes coulissantes de l’établissement de santé, un homme en veste noire siglé Groupe Valliance Sécurité contrôle les passes sanitaires. Comme l’indique une communication interne des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) envoyée vendredi 6 août, « une tolérance sera appliquée en cas de passe invalide ou d’absence de passe pour les patients, en particulier au cours de la semaine prochaine. »

Ainsi, pour le vigile Nouar, la tâche reste facile cette première semaine. « Pour aujourd’hui c’est bon. Mais dès demain, venez au moins avec un test », répète le vigile à plusieurs reprises. La plupart des patients et autres accompagnants respectent déjà la nouvelle règle : il faut désormais présenter soit un certificat de vaccination, soit un test de moins de 72 heures ou une preuve de contamination datant d’il y a moins de six mois.

Un nouvel agent a fait son apparition ce lundi 9 août à l’entrée du Nouvel Hôpital Civil. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

« Il n’y a pas 50 solutions pour sortir de la crise sanitaire »

Une petite file d’attente se forme régulièrement sous le sombre préau du NHC. Clarisse, ambulancière de l’entreprise Jord’anne, approuve cette mesure qui « doit permettre de réduire la pandémie ». Avec 12 ans d’expérience au compteur, la conductrice d’ambulance ne voit pas le passe sanitaire comme un gros changement : « Pour l’instant, les contrôles vont vite. Et puis à l’hôpital de Haguenau, je n’ai pas encore été contrôlée. » Clarisse n’a pas attendu l’allocution présidentielle du 12 juillet pour se faire vacciner. Lundi 9 août, elle se demande plutôt ce que risquent les trois collègues non-vaccinés, sur les dix salariés de son secteur Haguenau-Reichshoffen : « Je pense qu’ils vont finir par le faire », lâche-t-elle sans grande conviction, tout en terminant une salade de carottes.

« Pour l’instant, les contrôles vont vite. Et puis à l’hôpital de Haguenau, je n’ai pas encore été contrôlée », indique Clarisse, ambulancière depuis 12 ans. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Sur un autre banc, une médecin en blouse blanche grille une cigarette Vogue. La chirurgienne approuve cette application du passe sanitaire : « Ca fait des mois qu’on demande aux Français d’être responsables et de se faire vacciner. Maintenant, nos dirigeants sont comme des parents face à des ados récalcitrants : pas de vaccin, pas de sortie. » Le week-end dernier, Cyrielle (le prénom a été modifié) a profité de quelques expositions à Paris. Elle grimace en évoquant les tracts syndicaux qui dénoncent une « restriction de liberté » à travers l’obligation vaccinale des employés : « Faut arrêter… Il n’y a pas 50 solutions pour sortir de cette crise sanitaire… » Début août, près de 80% des soignant des HUS avait reçu deux doses du vaccin contre le Covid-19.

Le coût du passe, sans soutien

Cette première étape de l’application du passe sanitaire suscite déjà des critiques du côté des syndicats du personnel hospitalier. Car les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) déboursent près de 75 000 euros par mois (hors taxes) pour qu’une société privée filtre les entrées principales sur 11 sites disséminés dans les quartiers de Hautepierre et de la Robertsau, ou à Schiltigheim pour le Centre médico-chirurgical et obstétrical (CMCO). « À ce prix-là, on pourrait embaucher quatre à cinq infirmières de plus », souffle Jean-Claude Matry, président du syndicat CFTC pour les HUS.

« À ce prix-là, on pourrait embaucher quatre à cinq infirmières de plus », souffle Jean-Claude Matry, président du syndicat CFTC pour les HUS.

« On dirait que le gouvernement a oublié que nous sommes l’hôpital le plus endetté de France », ajoute Pierre Wach, secrétaire général adjoint de la CGT des HUS. Pourtant, en mai 2021, l’Agence régionale de santé (ARS) écrivait aux HUS pour alerter sur « l’impasse financière » de l’établissement strasbourgeois et exiger des mesures d’économie. Le syndicaliste déplore l’absence de soutien financier de l’État pour appliquer le passe sanitaire. Dans un tract conjoint à la CGT et la CFTC, les deux organisations s’inquiètent : « Comment payer la facture dans un contexte de déficit ? Encore moins de personnels ? Toujours plus de fermetures de lits ? »

Les syndicalistes listent aussi les failles du dispositif mis en place. Le responsable CFTC Jean-Claude Matry a constaté que les agents de sécurité se contentent de biper le QR Code du passe sanitaire… mais sans contrôle d’identité. « Il suffit qu’on se passe tous le passe d’une personne vaccinée pour entrer », affirme-t-il. Du côté du syndicat Force Ouvrirère (FO), la secrétaire générale adjointe Véronique Barrière regrette une charge supplémentaire pour certains salariés de l’hôpital : « Devant plusieurs bâtiments, comme il n’y aura pas d’agent de sécurité, ce sont les agents d’accueil qui devront contrôler les patients et les soignants. »

La crainte d’un impact sur les effectifs

Autre inquiétude des responsables syndicaux : l’impact de la vaccination obligatoire des salariés de l’hôpital à partir du 15 septembre 2021. Lors d’une réunion extraordinaire du Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), le 6 août, les représentants du personnel ont découvert les données connues concernant la vaccination des agents des HUS, personnel administratif compris. Au début du mois d’août, les HUS ne connaissaient pas le statut vaccinal de 38% de son personnel non-médical, ainsi que de 26% de son personnel médical senior. Le tableau présenté ne donnait aucun chiffre pour les jeunes soignants.

Selon Véronique Barrière, les HUS étaient contraints de fermer plus de 300 lits au début du mois d’août. Il y a des lits fermés pour concentrer les efforts des soignants sur les unités Covid. Mais le manque de personnel explique la majorité de ces fermetures, selon la secrétaire générale adjointe FO. Or le 15 septembre, les soignants qui n’ont pas fait leur première dose ne pourront plus travailler à l’hôpital.

La syndicaliste craint l’impact d’une nouvelle baisse des effectifs sur l’offre de soins, déjà dégradée :

« Parmi les 3 900 agents au statut vaccinal inconnu à ce jour, il y a bien sûr des salariés qui ont été vaccinés en dehors de l’hôpital et qui ne l’ont pas déclaré parce qu’ils sont en ce moment en vacances. Mais il est sûr qu’à partir du 15 septembre il y aura moins de personnel, donc des lits en moins… »

Avec le passe, des urgences encore débordées

« Même si ce ne sont que quelques centaines de personnes qui manquent le 15 septembre, on est déjà à bout, on ne peut plus fonctionner comme ça. On met en place un passe sanitaire alors qu’on arrive pas à donner trois semaines de congés à un personnel épuisé par deux ans d’efforts ininterrompu contre la pandémie », complète Pierre Wach. Le syndicaliste CGT résume : « L’hôpital est malade dans son ensemble, et le passe sanitaire nous désorganise encore un peu plus. »

Pierre Wach (CGT) résume : « L’hôpital est malade dans son ensemble, et le passe sanitaire nous désorganise encore un peu plus. »

Les patients non-vaccinés et sans test risquent de recourir au seul service qui les accepte : les urgences. Or plus ce service est débordé, plus des opérations sont déprogrammées pour offrir des places supplémentaires aux personnes secourues. Antoine Wach craint ainsi un engorgement : « Certains médecins estiment qu’on a déjà franchi le point de non-retour avec des patients déprogrammés depuis plus d’un an. On ne peut pas continuer de décaler des opérations importantes parce que les urgences manquent de lits en sortie d’opération… » Côté FO, Véronique Barrière évoque « un chirurgien qui a fait remonter l’impossibilité de déprogrammer plus pour soulager les urgences : il a une liste de 180 patients en attente d’opération. »

L’afflux redouté du nombre de patients aux urgences est d’ailleurs la seule crainte liée au passe sanitaire pour Anne. Cette infirmière aux urgences strasbourgeoises estime que la quasi-totalité de ses collègues sont vaccinés. « Les services les plus touchés par le Covid sont ceux où le taux de vaccination est le plus élevé », explique-t-elle. La soignante se dit plutôt exaspérée par la fronde antivaccin et les rassemblements contre le passe sanitaire : « Quand je vois les antivaccins et les manifestations sans masque place Kléber, c’est plus la population qui m’exaspère. On est pas sorti de l’auberge… »

Avec le passe, le plus dur est à venir

Dans le parking au sous-sol de l’hôpital, un autre agent de sécurité filtre les entrées au NHC. C’est son premier jour de travail à l’hôpital, indique-t-il en souriant. Dans un français balbutiant, l’homme explique avoir contrôlé une centaine de personnes. Une vingtaine d’entre elles n’avaient pas de passe sanitaire et ne semblaient pas très réceptives à ses indications : « Un vieil homme est venu sans test ni vaccin, je lui ai dit, s’il vous plaît, demain venez avec un test. Il n’a pas répondu… » Que fera-t-il la semaine prochaine face aux personnes sans passe sanitaire ? L’homme barbu et musclé se met en travers de la porte du couloir : « Je bloque comme ça, j’appelle d’abord mon collègue puis j’appelle la police. On n’a pas le droit de toucher aux visiteurs. »

Les premiers jours du passe sanitaire se passeront donc sans grande difficulté. Les effets secondaires du passe sanitaire sont à venir. Pour les vigiles, qui devront bientôt refuser l’entrée à des personnes soit malades, soit aux accompagnants. Pour les soignants, qui verront bientôt l’un ou l’autre collègue suspendu, alors que l’équipe souffrait déjà du sous-effectif. Pour les cadres de santé, qui devront sans doute contrôler le statut vaccinal de leurs collègues, alors qu’ils luttent tous les jours avec le manque de moyen pour trouver un lit supplémentaire en renfort des urgences. Et pour certains patients, qui verront leur opération une nouvelle fois déprogrammée du fait du manque de moyen de l’hôpital public.

Comme le résume Pierre Wach, secrétaire général adjoint de la CGT des HUS :

« On ne peut pas faire une dichotomie entre passe sanitaire et offre de soins. Si demain tout le monde est vacciné, ça ne résout pas les problèmes que nous dénonçons depuis des années : où sont les ouvertures de postes de soignants ? Où sont les lits de réanimation supplémentaire ? Emmanuel Macron veut appliquer le passe sanitaire un mois après l’avoir annoncé… mais qu’il applique d’abord le Ségur de la Santé ! »

Contactée, la direction des HUS n’a pas donné suite à notre demande d’interview arguant d’un manque d’information précise sur l’application du passe sanitaire.


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