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Humour en politique : les grands moments de l’année 2023

Parce que la politique n’est pas condamnée à être assommante, petit florilège des situations politico-comiques de l’année 2023.

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Humour en politique : les grands moments de l’année 2023

« Bof bof ». L’année politique qui vient de s’écouler pourrait sobrement se résumer ainsi, après des revers cinglants comme l’échec de la mobilisation contre la réforme des retraites ou l’adoption d’une loi immigration bien plus dure que prévue. Vous êtes déprimé·e par le suivi de l’actualité politique ? Reste l’humour : pour la fin d’année, nous revenons sur les moments drôles ayant jalonné l’année politique strasbourgeoise. En espérant vous arracher un sourire.

Elsässer loveur

Certains moments nous marquent par leur absurdité soudaine. Comme durant la séance plénière extraordinaire de la Collectivité européenne d’Alsace, convoquée le 13 avril. D’un coup, nous avons été émus par la dose d’amour que nous a livré le conseiller du canton de Reichshoffen, Victor Vogt (Les Républicains). Saluant d’emblée ses « sœurs et frères d’Alsace » et « tous ceux qui aiment l’Alsace à distance », l’élu a tenté de draguer toute une région. Dans son intervention, il a mêlé analyse politico-historique et logorrhée de loveur :

« C’est un moment qui n’est pas celui du cri du cœur, ou celui du désir d’Alsace qui est dépassé. Je vous le dis mes chers collègues, l’Alsace, c’est désormais un cri d’amour. L’Alsace a besoin d’amour, l’Alsace a rendez-vous avec son cri d’amour. Ce cri d’amour, nous l’avons déjà eu à travers le temps. Il a parfois été ignoré, comme en 2013, parfois piétiné, comme en 2015. (…) Il est venu le temps du cri d’amour d’Alsace qui doit être entendu. »

Victor Vogt, élu de la CeA et maire de Gundershoffen

Plus loin dans le débat, l’élu de la CeA et maire de Roeschwoog, Michel Lorentz (Divers centre) s’est senti suffisamment en confiance pour faire carrément toute son allocution en alsacien. Sans sous-titre pour les journalistes. Si d’autres élus suivent la tendance en 2024, nous pourrions nous mettre sérieusement à l’alsacien, à Rue89 Strossburi.

Une semaine plus tard, le 19 avril, Emmanuel Macron est venu en Alsace pour doucher les espoirs de Victor Vogt et d’une bonne partie de l’assemblée. Sans la moindre once de sentimentalisme.

Hannah Arendt et le stationnement payant

Pendant le conseil municipal du 26 juin à Strasbourg, lors d’un débat houleux sur le stationnement – c’est un pléonasme – les répliques fusent dans l’opposition pour dézinguer la hausse des tarifs du stationnement. Ce jour-là, la socialiste Anne Pernelle Richardot (PS) supplante tous les autres conseillers. En réaction aux réponses du premier adjoint Syamak Agha Babaei (sans étiquette) et celle de l’adjoint Pierre Ozenne (EE-LV), elle dégaine une citation de la philosophe Hannah Arendt :

« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire, ne peut plus prendre de décision, il est privé non seulement de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et juger, et d’un tel peuple vous pouvez faire ce que vous voulez. En fait madame la maire, c’est bien cela que vous voulez. »

Rapidement, Jeanne Barseghian (EE-LV) s’impatiente : « Je suis pas sûre qu’Hannah Arendt se soit déjà exprimée sur le stationnement… » Au bout de quelques secondes, le ton devient plus pressant, en répétant une série de « Et donc ? » ou « Et votre vote ? ».

Mais la conseillère d’opposition ne se laisse pas couper la parole – pas son genre. Elle va au bout de son propos et vote contre. « La référence m’est venue sur le coup », se remémore Anne Pernelle Richardot, six mois après le débat. « Je n’ai pas le souvenir qu’ils aient beaucoup ri en face, Syamak Agha Babaei était même plutôt énervé. Ça restait un coup de canif à une majorité qui s’autocongratule. » À l’autre bout du fil, on devine le sourire.

Droit à l’image des poissons

Un mois plus tôt, lors du conseil municipal du 10 mai, s’est tenu un débat d’un autre registre sur la politique animale de la Ville. Moins féroce, mais plus bariolé. Après la présentation de la délibération par la conseillère déléguée (et ancienne candidate du Parti animaliste aux législatives) Marie-Françoise Hamard, deux heures de débats suivent. D’une intervention à l’autre, les élus passent du coq à l’âne en évoquant la ferme de la Ganzau, la peur des chiens ou la surpopulation de rats. In fine, toutes les prises de parole restent dans le sujet, au vu du cadre assez large de l’échange… Jusqu’à l’intervention déroutante d’Alain Fontanel.

Avec son ethos d’énarque, l’élu d’opposition Renaissance paraît plus à sa place dans un colloque d’expert-comptables que dans un Comedy club. D’un ton très sérieux, il partage « son inquiétude » et évoque la prévention pour les personnes âgées vulnérables pendant les périodes de canicule. Il cite ensuite une campagne de prévention avec un visuel de communication montrant des poissons rouges passant d’un bocal à l’autre. Regards interloqués dans l’hémicycle. L’élu poursuit :

« J’ai cru comprendre que cette campagne était mise au rebut, que vous avez demandé à ce que la collectivité n’utilise plus cette campagne, puisque finalement les poissons rouges n’avaient pas donné leur accord à l’utilisation de leur image et qu’il y avait là une instrumentalisation et une mise en scène du poisson rouge. (…) Je voulais m’assurer que la défense du droit à l’image du poisson ne se ferait pas cet été au détriment des seniors de notre ville. Je vous remercie. »

Alain Fontanel, ancien président du groupe d’opposition de la majorité présidentielle.

« Bon », commente sobrement la maire avant de rassurer ce dernier, alors qu’une voix plus grave à ses côtés lâche hors micro un « n’importe quoi ! » plus sincère. La manœuvre prend tout le monde de court. Personne n’aura vu le stand-upper caché en Alain Fontanel, avant son départ du conseil municipal à là séance suivante. Personne, sauf nous.

Papier cailloux manif’

Au pic de la mobilisation contre la réforme des retraites, alors que Strasbourg connaissait des manifestations d’une rare intensité, la préfecture du Bas-Rhin a tenu à montrer qu’elle ne laisserait rien passer. Pas même trois cailloux. En procédant à une fouille minutieuse de la place de la République, la police nationale a débusqué quelques caillasses hors des bosquets. Fière de sa trouvaille, bombant le torse comme jamais, la préfecture du Bas-Rhin a partagé sa prise de guerre dans ce tweet légendaire :

S’ensuit une cascade de commentaires sarcastiques des internautes, taillant la stratégie de communication de la préfecture. Parmi les manifestants, l’histoire circule et circulera encore pour de nombreuses années, comme une vieille légende du folklore militant strasbourgeois. On exagère à peine.

Après une fouille intense de la place de la République, on remarque très vite que de nouveaux cailloux ont été sciemment dissimulés dans les buissons. Nous attendons une réaction de la préfecture.

Pour la prochaine manifestation, des pavés ont été dissimulés directement dans le sol par les blackblocs.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg

Jeanne Barseghian évoque nos « pensées iconoclastes et désoxydées par nos désirs excommuniés »

Autre moment surréaliste, la passion soudaine pour Les Inconnus qui prend les élus strasbourgeois. Lors d’un débat sur le tram Nord, pendant le conseil municipal du 12 décembre, l’adjoint chargé de l’équité territoriale, Benjamin Soulet a ressorti une référence bien connue au sketch des chasseurs :

« Si je résume : il y a le bon tram d’un côté, c’est un tram qui roule sur des rails, il dessert des stations et apporte d’excellents services à la population et à l’environnement. C’est le tram des mandatures précédentes. Et il y a le mauvais tram, il roule sur des rails, il dessert des stations et apporte d’excellents services à la population et à l’environnement. Mais c’est le mauvais tram. »

La référence plaît tellement à la majorité écologiste qu’elle est reprise plus tard par l’adjointe chargée de la démocratie Carole Zielinski, puis par le premier adjoint Syamak Agha Babaei et enfin la conseillère municipale déléguée, Sophie Dupressoir, qui évoque le sketch des « Innocents » avant d’être reprise par ses collègues.

La joie indescriptible de Nicolas Matt quand on lui souhaite un bon anniversaire.

Plus loin dans la séance, Jeanne Barseghian reste dans le registre. Pour répondre à Nicolas Matt qui évoque les frères Rapetou (« Faut que tu craches, faut que tu payes, pas possible que t’en réchappe, nous sommes les frères qui rappent tout »), elle lui souhaite un bon anniversaire et lui livre sa propre citation :

« Il ne faut pas cautionner, l’irréalité sous des aspérités absentes et désenchantées de nos pensées iconoclastes et désoxydées par nos désirs excommuniés de la fatalité destituée et vice et versa et… vice et versa. »

Nous avons hâte de suivre les futurs péripéties de nos chers élus pour l’année 2024. En espérant d’autres moments grandioses.


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