Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« On a l’impression d’être un peu délaissés », ces jeunes qui voteront sans illusion à la présidentielle

Alors que le premier tour de l’élection présidentielle se tiendra le 10 avril 2022, les jeunes, dont certains voteront pour la première fois, se sentent parfois dépassés par une offre qui a du mal à les convaincre.

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« On a l’impression d’être un peu délaissés », ces jeunes qui voteront sans illusion à la présidentielle

Lors des élections régionales de juin 2021, 87% des 18-24 ans n’ont pas voté. Rue89 Strasbourg est allé à la rencontre de jeunes dont la vie est éloignée des partis politiques traditionnels. Les personnes abordées pensent bien voter les 10 et 24 avril 2022. L’élection présidentielle reste une d’intérêt source d’intérêt marquée, contrairement aux autres élections. Mais les futurs votants et votantes peinent à se retrouver dans les propositions des candidats et candidates.

Turkan et Leslie, 18 ans, « L’impression que les politiques compliquent les choses pour qu’on ne comprenne pas et qu’on se désintéresse »

Sur un banc du campus de l’Esplanade, deux amies discutent… « Je trouve ça très important de voter, mais je sens que je ne suis pas assez informée pour faire le bon choix », explique Leslie, rapidement approuvée par Turkan. Elles sont toutes deux étudiantes en première année de psychologie à l’université de Strasbourg et habitent à Haguenau. C’est un sujet qu’elles évoquent rarement entre elles ou avec leurs amis : « On ne sait pas vraiment vers qui se tourner pour en savoir plus. S’il y avait des ateliers sur le sujet à la fac ou des débats organisés, ce serait bien », imagine Turkan. 

« Sous le terme de « politique », je mets tout ce qui est institutions d’Etat, mais aussi le contre pouvoir, comme celui des manifestations », Leslie, 18 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

« On n’arrive pas vraiment à se positionner à gauche ou à droite. Parfois, j’ai l’impression que les politiques compliquent les choses pour qu’on ne comprenne pas et qu’on se désintéresse. C’est vraiment dommage, parce que dans les faits, la manière de gouverner un pays, ça nous concerne tous. »

Leslie, 18 ans, étudiante

Pour Turkan, il y a aussi un problème au niveau du débat public, trop éloigné de ses propres préoccupations et de celles de ses proches : « Certains hommes politiques, comme Zemmour, essaient juste de faire le buzz et créent des stéréotypes. Ils parlent des religions, particulièrement de l’Islam, alors que cela doit rester personnel. Nous sommes dans un pays laïc. »

« La politique, c’est ce qui détermine nos libertés, nos droits et nos devoirs », Turkan, 18 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

Lesli et ses amis aimeraient voir d’autres sujets de fond abordés, comme la précarité étudiante, le chômage, la place des femmes dans la société… « Forcément, on s’intéresserait plus s’ils parlaient de sujets dans lesquels on se reconnaît. »

Maxime, 24 ans, « Mon engagement est pluriel: je milite et je me projette dans une vie alternative »

« Pour moi, la politique doit se traduire dans sa façon de vivre. J’aime me dire que je mets ma vie au service d’une idée, de quelque chose qui me dépasse », définit Maxime, 24 ans, étudiant du master Ville, environnement et société de l’université de Strasbourg. Il a grandi à Puttelange-aux-lacs, un village de Moselle, dans une famille peu politisée. Son premier souvenir politique remonte à son adolescence et à sa découverte du compte Mr.Mondialisation sur les réseaux sociaux. En le suivant, il commence à découvrir des revues qui parlent d’écologie, comme Usbek&Rica. 

« Il faut prendre conscience que la plupart de nos gestes sont politiques », Maxime, 24 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

Il vote une première fois en 2017 pour Jean-Luc Mélenchon, puis continue de se politiser à travers un service civique dans une association d’éducation populaire de la transition écologique. Grâce à ce nouvel « engagement citoyen », il peut échanger avec des personnes qui ont les mêmes préoccupations que lui :

« J’ai vraiment pris conscience qu’une autre manière de vivre était possible. L’été dernier, je suis allé aider une famille qui construit sa propre maison, de A à Z, dans la campagne. Ce projet de vie non-conventionnel me plaît beaucoup et je réfléchis de plus en plus à un projet de ferme autogéré et écologique. Incarner un autre idéal et montrer qu’une autre façon de vivre est possible, pour moi, c’est un acte politique. »

Après avoir tracté au début pour la « Primaire populaire », il ne pense pas suivre le résultat de l’initiative qui a échoué à créer l’union de la gauche. Il pourrait voter comme cinq ans plus tôt.

Laura, 22 ans : « Je me suis politisée sur les réseaux sociaux »

« Je me suis intéressée à la politique assez tard, à mes 18 ans. Avant, je voyais un peu ça comme un sujet de parents, assez chiant… Une source de désaccord et de disputes stériles », commence Laura, 22 ans, en alternance en master d’éco-gestion à Strasbourg. Que ce soit avec sa famille ou ses amis, elle ne parle que peu de sujets de société, jusqu’à ce qu’elle se crée un compte Twitter :

« Au début, j’y suis allée pour me divertir, mais au fur et à mesure, mon fil d’actu a commencé à se politiser, car je suivais des personnes qui disaient des choses que je trouvais justes, proposaient des analyses intéressantes. Puis j’ai commencé à faire des recherches de mon côté sur des sujets de société. Par contre, je ne m’exprime pas sur Twitter, je reste une observatrice et m’en sers comme d’un média. »

« La politique, c’est ce qui définit le monde, le pays dans lequel on vit. Ca se reflète partout, tout le temps », Laura, 22 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

Pour ses premières élections, en parallèle au réseau social, elle se sert de quizz en ligne pour mieux se positionner sur l’échiquier politique. « Je savais que je n’étais pas de droite, car mes parents le sont et que je ne partageais déjà pas leurs opinions. Mais cela m’a quand même aidée à y voir plus clair. » Consciente que Twitter peut créer un certain entre-soi, elle commence également à suivre d’autres personnalités politiques pour ouvrir son spectre.

Aujourd’hui, la politique a pris une grande place dans sa vie et elle en parle davantage avec ses proches. Partager certaines valeurs est même devenu un « critère de sélection » dans le choix de ses amis. Elle appréhende cependant les élections : « Je suis perdue, parce que je ne sais pas si je vais voter pour quelqu’un qui me plaît vraiment, ou quelqu’un qui aura le plus de chance de faire barrage à l’extrême-droite… »

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Gontran, 23 ans, « Je suis militant au NPA depuis 5 ans »

« La politique fait partie de mon quotidien. J’en parle tout le temps – parfois trop. En arrivant en soirée, on me dit parfois « Gontran (prénom modifié), pas de politique ce soir ! », sourit le jeune homme de 23 ans. Il est assistant d’éducation dans un collège et membre du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) depuis 2015. 

Chez lui, il entend parler politique depuis tout petit. Son oncle et sa tante sont des écologistes radicaux, ses parents ont un temps voté Olivier Besancenot et sont aujourd’hui du côté de la France Insoumise. « Il y a clairement de la reproduction sociale derrière mon intérêt pour la politique. À force d’en entendre parler à la maison, j’ai commencé à vouloir m’informer moi-même, à mon adolescence. » Il découvre alors les vidéos du Youtubeur Usul, qui travaille aujourd’hui pour Médiapart, et rencontre le NPA dans le cadre du mouvement contre la guerre en Syrie.

« Aujourd’hui, je suis très investi dans la candidature de Philippe Poutou à la présidentielle. Je participe à la recherche de parrainage, je tracte… En décembre, j’ai participé à son meeting à Strasbourg. C’était un moment très fort, il y avait plus de 500 participants. Pour moi, il représente une bonne alternative à un système politique déconnecté des préoccupations de beaucoup de Français qui se demandent comment ils vont remplir leur frigo, alors qu’on veut leur imposer des débats qui tournent en rond sur l’accueil des migrants par exemple… »

« La politique est le fait de décider collectivement pour le reste de l’humanité. Pour moi, c’est un mot qui a été confisqué aux classes laborieuses en disant que ce serait l’affaire de professionnels » Gontran, 23 ans. (Photo Gontran)

Cette année, certains de ses amis ne veulent pas aller voter, parce qu’ils n’y croient plus. Considérant que cela fait partie de son « boulot militant », Gontran essaie de les convaincre: « Ils pensent que la politique se résume au résultat des élections et en ont assez d’être déçus par ceux-ci. Je leur explique que c’est plus large que ça, la politique se fait au quotidien. Même si on ne gagne pas, nous avons des choses à exprimer et notre présence permet d’intégrer nos idées dans le débat public. »

Solène, 20 ans, « Mes parents m’ont transmis leur vision de la vie, c’est normal que je vote comme eux»

« Pour moi, le bord politique dépend grandement de sa situation sociale », tranche Solène, 20 ans, étudiante à l’école de Management de Strasbourg et s’apparentant elle-même à la classe supérieure. Elle vote pour la première fois à des présidentielles cette année, ce qu’elle considère comme un geste important et citoyen : « J’ai toujours pas mal parlé politique avec ma famille…Ma mère travaille d’ailleurs à l’Eurométropole. »

« Les choix politiques des personnes montrent quelle vision elles ont de la vie et de leur pays », Solène, 20 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

Si la politique a une place non-négligeable dans sa vie, surtout quand les élections approchent, elle n’est inscrite à aucun parti ou association : « Je suis de droite, mais je trouve que je suis un peu obligée de voter par défaut, parce que je ne m’identifie totalement à aucun des candidats. Pour l’instant, je pense voter Emmanuel Macron », projette-t-elle, en déplorant le manque d’offre politique.

Elle critique notamment la mise en scène des débats qui ont un côté « surfait » et qui tournent autour des mêmes politiques –l’immigration, l’Islam,…- sans laisser la possibilité aux candidats de développer leurs autres idées :

« J’ai des amis de gauche et d’extrême droite, donc il y a des sujets qu’on évite. Parfois, on donne notre opinion sur une actualité, on se rend compte qu’on n’est pas d’accord, mais on s’arrête là. Ça ne sert à rien de s’embrouiller pour ce genre de chose. »

Yaquine, 17 ans, « j’ai vraiment hâte de pouvoir aller voter »

« Je suis jeune, je ne comprends pas encore tous les enjeux, mais je m’intéresse vraiment à la politique », s’exclame Yaquine, 17 ans, élève en première ST2I, au lycée Marcel-Rudloff de Hautepierre. Depuis quelques années, il pose de plus en plus de questions à ses parents et suit certains débats à la télévision. Trop jeune, il ne pourra pas voter en avril. Et pourtant, il aimerait bien. « J’ai vraiment hâte de pouvoir aller voter. »

Avec des amis, il a également participé à des manifestations de Gilets jaunes et à des marches pour la liberté de certains pays. « Il y avait une bonne ambiance et j’ai été touché par certaines personnes que j’y ai rencontrées et qui me racontaient leur quotidien, se souvient-il. Dans ces événements, il y a une vraie liberté d’expression, les gens se parlent. »

« Quand on me parle de politique, je pense d’abord aux présidentielles et aux débats qu’il y a sur les sujets de société », Yaquine, 17 ans. (Photo ACC / Rue89 Strasbourg / cc)

S’il estime avoir encore du mal à saisir les différences entre la gauche et la droite, il s’est déjà trouvé des affinités avec certains programmes :

« Pour moi, ce qui est important, c’est la liberté et l’égalité. C’est ça, la définition de la France ! Je suis plutôt d’accord avec les opinions de Jean-Luc Mélenchon, parce que pour lui, un Français, c’est un Français et on a tous les mêmes droits. Moi, j’ai des origines algériennes, marocaines et tunisiennes, mais je suis né ici, et je suis très heureux d’être Français. »


#élection présidentielle 2022

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