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Indemnités illégales des cadres de la CUS, le comptable condamné

La Communauté urbaine de Strasbourg avait pris l’habitude de s’arranger avec le droit pour fixer la rémunération de ses agents les mieux payés. Lors de l’examen des comptes de la CUS, la Chambre régionale des comptes s’en est aperçu et a condamné le comptable, fonctionnaire, lors d’une procédure incidente.

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Détail d'un billet de 100€ (Photo Anthony Langford / FlickR / cc)

Détail d'un billet de 100€ (Photo Anthony Langford / FlickR / cc)
Détail d’un billet de 100€ (Photo Anthony Langford / FlickR / cc)

L’affaire avait été discrètement évoquée dans le rapport de la Chambre régionale des comptes publié début 2013 et relatif aux dépenses de personnel de la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) de 2006 à 2010. Il était question des indemnités des cadres A et A+, dont la Chambre n’avait pas « acquis de manière évidente » la preuve de leur légalité, comme l’écrivent les magistrats financiers dans leur style inimitable.

En plus direct, cinq cadres de la CUS ont bénéficié en 2010, en plus de leur traitement indiciaire, d’indemnités « personnelles » annuelles de 3 180€ à 47 002€, seize autres cadres ont perçu des indemnités « complémentaires » de 10 200€ à 33 075€ (voir ci-dessous). Problème : ces montants n’avaient aucune justification légale. Ils ne sont pas prévus dans le contrat d’embauche des agents, ni fixés par une délibération de la CUS, ni prévus dans la rémunération des agents de la fonction publique territoriale.

Illégales donc, ces indemnités ont néanmoins été payées par le comptable de la CUS de l’époque, M. Bernard M. Pour le procureur financier, le comptable a « engagé sa responsabilité personnelle et pécuniaire ». Bernard M. a été condamné une première fois par la Chambre régionale des comptes à payer 374 305,60€… à la CUS, un jugement confirmé en appel par la Cour des comptes en décembre 2014.

La liste des indemnités non justifiées, supérieures à 10 000€ (Doc CRC)
La liste des indemnités non justifiées, supérieures à 10 000€ (Doc CRC Alsace)

Car c’est ainsi dans le droit des collectivités, c’est le comptable, fonctionnaire de l’État, qui doit vérifier la légalité de chaque dépense avant de procéder au paiement, faute de quoi c’est à lui de rembourser théoriquement sur ses deniers personnels. Cette disposition a été voulue par le législateur pour éviter que les élus locaux n’aient un accès direct aux dépenses. Dans la réalité malheureusement, il faut bien de la volonté à un fonctionnaire pour s’opposer aux ordres des maires et présidents d’agglomérations et en pratique, les dépenses en dehors des cadres légaux persistent.

Mais plus gênant, lorsqu’il y a une faute, puisque le verrou est censé être le fonctionnaire, c’est lui qui est condamné et non l’ordonnateur, c’est-à-dire le maire ou le président de collectivité. Pratique.

Le comptable avait alerté la CUS

Pourtant, Bernard M. a bien tenté d’alerter l’administration de la CUS que ces pratiques étaient illégales. Dans son rapport avant audience, le conseiller de la Cour des comptes précise :

« Le comptable indique qu’il a, à diverses reprises, à son arrivée, relancé les services de l’ordonnateur sur ce point ; que les conditions de travail et de fonctionnement du poste ont gêné la bonne marche du service. (…) Il produit à l’appui de ses déclarations trois lettres qu’il a adressé au président de la CUS (à l’époque Jacques Bigot, ndlr) les 30 mai, 26 juin et 3 juillet 2008, une lettre qu’il a adressé au trésorier-payeur de la région Alsace, le 2 juillet 2008. »

Mais Jacques Bigot devait avoir d’autres soucis en tête à ce moment là… ou considérer que ce dossier était réglé, puisque, toujours selon le rapport :

« Le comptable fait valoir que les indemnités payées l’ont été sur la base d’un accord-cadre de 2004 et qu’une délibération de régularisation a été demandée à la collectivité. »

Sauf que la délibération attendue ne viendra jamais. Il faudra attendre le passage des magistrats financiers à la CUS et la publication de leur rapport pour que la collectivité se mette en règle, et encore. Un observateur du dossier note :

« Les rémunérations des hauts responsables de collectivités sont toujours sensibles. Il est délicat de produire leurs rémunérations directement dans une délibération, ça générerait des questions. Les délibérations sont donc produites de manière masquée, en utilisant des termes génériques. »

Des délibérations bien discrètes

Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Une première délibération a été votée en octobre 2012 intitulée « prime de fonctions et de résultats », complétée par une autre, intitulée « extension de la prime de fonction et de résultats », votée durant la très pratique, puisque fermée au public et aux médias, « commission permanente » de mars 2015. Directeur général des services de l’ex-CUS, devenue Eurométropole, Pierre Laplane, précise :

« À l’époque, il y avait un régime indemnitaire dont les limites auraient pu faire obstacle au recrutement des talents dont nous avions besoin. Du coup, un système empirique s’est mis en place, qui manquait de transparence. Des habitudes ont été prises, des pratiques individuelles illégales se sont instituées pour les rémunérations des membres de la direction générale et de certains cadres. Suite aux recommandations de la Chambre régionale des comptes, nous avons régularisé les situations dès juin 2013, puis complété avec la délibération de mars 2015. Nous sommes désormais en totale conformité avec le droit et la réglementation. »

En attendant, Bernard M., lui, doit demander au ministre des Finances de bien vouloir lui accorder une remise de son débet. Elle lui sera très probablement accordée, il ne devrait au final payer que 10% de la somme, soit tout de même un peu plus de 37 000€. Mais fort heureusement, Bernard M. a quitté la comptabilité de l’Eurométropole et a été promu à Haguenau.


#chambre régionale des comptes

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