Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Les timides initiatives de la lutte contre les agressions de femmes dans l’espace public

Des associations strasbourgeoises œuvrent pour que les femmes se sentent plus en sécurité au bar, en boîte ou dans la rue. Après les agressions verbales et physiques, elles déplorent l’irruption de drogues, insérées dans les verres à l’insu des femmes. Mad’EMoiselle, Ru’elles ou encore la CTS tentent de combattre le sentiment d’insécurité dans l’espace public, en particulier lorsque la nuit tombe.

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Les timides initiatives de la lutte contre les agressions de femmes dans l’espace public

Agression physique, verbale, drogue et viol : Cécile, étudiante de 23 ans, garde bien en tête toutes ces menaces quand elle sort le soir avec ses amis. Depuis ses 17 ans, cette Strasbourgeoise a l’habitude d’aller dans des bars plusieurs fois par mois, et prolonge parfois sa sortie en boîte :

« Quand on sort et qu’on est une femme, il faut déjà penser à la manière dont on s’habille – pas trop voyant, pas trop court, et ne pas porter d’objets de valeur… Puis à l’aller et au retour, je pense à quel chemin je prends. Je reste sur les axes principaux, j’évite certains quartiers, comme celui de la gare où il y a souvent des hommes seuls qui essaient de m’aborder. Parfois, je dois faire de sacrés détours. Ensuite, vient le choix du bar. Avec mes amis, on retourne souvent dans les mêmes endroits, parce qu’on sait que c’est à peu près sûr. À l’intérieur, on surveille notre verre et celui de nos potes. J’ai des amies qui se retiennent de danser aussi. Moi, je danse, mais je me prends des réflexions d’hommes sur mon physique, sur le fait que ça les excite… »

Son pire souvenir de soirée, elle l’a vécu dans la file d’attente devant Le Café des Anges, en novembre 2020. Elle était accompagnée d’une amie quand un homme s’est approché d’elles : 

« Au début, on pensait que c’était encore un mec lourd, qui allait nous faire des avances. On voulait lui dire de partir et là, il a éjaculé sur ma pote. On était tellement choquées, qu’au début, on a rien dit. Puis on a essayé de prévenir le videur, mais il a refusé d’intervenir. On est parties. Ça nous a bousillé la soirée et on n’est jamais retournées dans cette boîte. Des gens pourraient dire qu’au final, ce n’est pas grand chose, mais ce sont des images qui restent dans la tête. On se sent salies. »

Verres drogués au GHB, la parole se libère grâce aux associations

Depuis la fin du mois de septembre 2021, des témoignages d’hommes et de femmes drogués en soirée sont de plus en plus visibles sur les réseaux sociaux. Une émergence rendue possible à Strasbourg après un appel à témoins lancé début octobre sur facebook et instagram, par l’association strasbourgeoise Mad’EMoiselle (créé en 2019 par des étudiants de l’École de Management de Strasbourg).

Les associations DBSP (du compte Instagram @disbonjoursalepute) et Ru’elles se sont rapidement associées à cet appel. Faustine a rejoint Mad’EMoiselle peu de temps après sa création :

« En septembre, nous avons reçu plusieurs messages de personnes qui racontaient avoir été droguées. En parallèle, nous en avons vu d’autres sur les réseaux sociaux, donc nous avons lancé un appel à témoins. Pour l’instant, nous avons plus d’une trentaine de témoignages et nous en recevons encore chaque jour. Les boîtes de nuit de la Salamandre et du Gold ont été citées plusieurs fois, mais globalement, cela arrive partout. Les victimes nous racontent ce qu’elles ont ressenti, vécu sur le moment, puis après. Parfois, ce sont des témoignages de leurs amis, parce que les personnes droguées ne se souviennent de rien. »

825 personnes ont répondu qu’elles avaient été victimes de drogues dans un bar ou club lors d’une enquête menée par DBSP début novembre 2021 en France (Photo A.C-C / Rue89 Strasbourg).

DBSP a publié samedi 6 novembre une enquête qui enregistre 825 victimes de drogues dans des clubs et bars en France. 94% d’entre elles sont des femmes. En réunissant les témoignages reçus, les trois associations souhaitent ensuite mettre en commun leurs informations pour monter un dossier de plaintes qui doit être prochainement transmis à la justice.

Mathilde est membre du bureau de Ru’elles depuis septembre 2021, et veut rester prudente sur ce que l’on peut en conclure :

« C’est difficile de dire s’il y a une véritable augmentation du phénomène. Des affaires de drogue, il y en a tout le temps eu. Ce qui est sûr, c’est que la parole se libère, comme ça a été le cas pour le harcèlement de rue. Et une fois qu’on a conscience d’un problème, on peut essayer de trouver des solutions. »

Le cocktail Mad’EMoiselle pour demander de l’aide

L’une de ces solutions : un cocktail fictif. Depuis la rentrée 2020, des affiches de l’association Mad’EMoiselle indiquent dans les toilettes d’une trentaine de bars strasbourgeois qu’il est possible de commander un « cocktail Mademoiselle » si un rendez-vous se passe mal ou si une personne se sent en danger.

Ce nom est en réalité un « code » pour prévenir discrètement le personnel du bar : « Ils sauront que tu as besoin d’aide et ils t’aideront en te mettant en sécurité le temps d’appeler un taxi ou en faisant intervenir un agent de sécurité, » proclame l’affiche.

L’idée vient d’un cocktail imaginaire, déjà utilisé à Rennes et au Canada. Malheureusement, l’épidémie de Covid et surtout le confinement qui a eu lieu cinq jours après la soirée de lancement du nouveau cocktail, ont freiné son développement, raconte Faustine de l’association Mad’EMoiselle :

« Les gens étaient vraiment contents de l’initiative, on avait déjà plus d’une dizaine de bars partenaires, puis tous les établissements ont fermé. Mais le projet est resté d’actualité à la réouverture. On ne demande pas de comptes-rendus aux bars, donc nous n’avons pas de données sur le nombre d’utilisations, mais on voit que cela plaît : nous avons des personnes qui nous envoient des photos des affiches, et qui nous disent merci. Il y a aussi de plus en plus de bars et de boîtes qui nous contactent pour l’installer. »

Les affiches du cocktail Mademoiselle sont affichées uniquement dans les toilettes des femmes pour plus de discrétion (Photo A.C-C. / Rue89 Strasbourg).

« C’est bien d’avoir un dispositif si quelque chose nous échappe »

Si l’association reçoit des demandes d’autres villes, comme Metz, la plupart des établissements partenaires sont à Strasbourg. Selon le gérant de l’un des bars de la place Gayot, qui préfère rester anonyme, « au moins quatre personnes ont déjà utilisé le Mademoiselle depuis l’été 2020 ».

Nicolas Vogel, lui, a repris le bar Les Savons d’Hélène en mai 2021. L’affiche avait déjà été installée par ses prédécesseurs dans les toilettes des filles, et il a décidé de continuer à utiliser le faux cocktail, conscient de son utilité :

« Personne n’a eu à l’utiliser depuis que je suis là, mais on reste vigilant. Il est déjà arrivé plusieurs fois que des femmes se fassent emmerder au resto et qu’on doive intervenir. Des hommes les sifflent, les abordent et peuvent parfois se montrer menaçants. Dans ce cas-là, on les sort, mais c’est bien d’avoir un dispositif en place si jamais quelque chose nous échappe. Plusieurs clientes sont venues me voir pour me dire que ça les rassurait. » 

Apprendre le self-défense avec Ru’elles

Une autre solution, proposée par l’association Ru’elles : apprendre aux femmes les premiers gestes à réaliser en cas d’agression. Créée à l’été 2020, alors que les témoignages de harcèlement de rue se faisaient de plus en plus nombreux, l’association organise, entre autres, des actions de prévention.

Actions en milieu scolaire, micro-trottoirs informatifs dans les rues de Strasbourg et, depuis octobre 2021, des cours de self-défense pour les femmes. Deux cours ont déjà été donnés dans les locaux de La Kulture, réunissant 20 puis 30 personnes. 

Pendant trois heures, deux instructeurs bénévoles s’y sont relayés pour apprendre aux participantes les premiers réflexes à avoir si elles sont plaquées contre un mur, saisies à la gorge ou attrapées par les cheveux. Josselin, bénévole dans l’association depuis octobre 2020, s’inspire du KravMaga, un art martial israélien, et de son expérience de 13 ans dans les arts martiaux : 

« Les personnes qui viennent nous voir veulent être plus sereines lorsqu’elles sont dans l’espace public. Elles ont parfois subi ou été témoins d’agressions, et ne se sentent pas en sécurité. On leur montre une dizaine de situations et les gestes à appliquer dans ces cas-là, puis elles doivent le répéter deux par deux… À la fin du cours, les participantes ont souvent des questions. Cela permet de faire le point sur des situations concrètes. Certaines disent qu’elles sont de plus en plus harcelées dans la rue. L’une d’entre elle m’a dit qu’elle n’avait pas pu simuler l’étranglement, car cela lui était réellement arrivé et elle était encore traumatisée. »

Une séance ne suffit pas à savoir se battre

Mais Josselin est catégorique, une séance ne suffit pas à savoir se battre. Il aimerait idéalement pouvoir proposer un cours par mois, d’autant plus qu’il y a une réelle demande des participantes, mais l’association n’a pas encore trouvé de local pour les accueillir aussi fréquemment. Pour l’instant, il oriente donc les participantes vers différents clubs dans lesquelles les personnes intéressées peuvent poursuivre leur apprentissage :

« On ne va pas former la nouvelle génération d’Avengers, mais grâce à cette initiation, des participantes vont pousser la porte de clubs de combat, alors qu’elles ne l’auraient jamais fait avant. »

Les participantes au cours de self-défense apprennent à réagir face à une dizaine de situations, de la saisie de cheveux à l’étranglement. (Photo Tiphany Hue / doc remis).

Rentrer plus facilement grâce à la CTS : toujours un dispositif expérimental sur une seule ligne

Savoir réagir lors d’une agression, oui. Mais mieux vaut les éviter autant que possible. Pour permettre aux femmes de passer moins de temps seules dans les rues, la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) propose, depuis juin 2019, aux femmes seules ou accompagnées d’enfants en bas-âge de demander aux bus de s’arrêter quand elles le souhaitent, pour pouvoir descendre au plus près de leur lieu d’habitation. 

Cependant, deux ans après, ce dispositif est encore en phase expérimentale et n’est actif que sur la ligne de bus 24, de 22h à la fin du service. Le bus 24 a été choisi, car il « relie le centre de Strasbourg à un quartier périphérique dense (Neudorf, Neuhof), en traversant une succession de tissus urbains différents, propice à l’expérimentation. Son point de départ (Ancienne Douane) est également proche des lieux de vie nocturne alentours », explique Clémentine Colin, responsable communication à la CTS. 

Deux ans après : sept femmes seulement ont eu recours au dispositif

Pour analyser cette première application, la CTS utilise un suivi hebdomadaire, et les conducteurs sont invités à faire des retours sur leur expérience. À ce jour, seules sept femmes ont eu recours au dispositif depuis le début de l’expérimentation.

L’extension à d’autres lignes est freinée par le travail de cartographie, qui vise à répertorier les endroits où les arrêts sont effectivement possibles. Plusieurs obstacles ont été soulevés, qui dépendent notamment du respect du cadre réglementaire, des arrêtés municipaux, du respect du Code de la route et de la Sécurité routière. Si des rencontres entre la CTS et l’Eurométropole sur le sujet ont encore régulièrement lieu, aucun agenda d’extension du dispositif n’a été annoncé pour le moment. 


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