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Installées au plan d’eau de Plobsheim, les cyanobactéries menacent la baignade dans l’Ill

Dans le plan d’eau de Plobsheim, des algues prolifèrent et favorisent l’apparition de cyanobactéries potentiellement toxiques pour les êtres vivants. À terme, celles-ci pourraient se déverser en aval, via l’Ill, à Strasbourg.

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Installées au plan d’eau de Plobsheim, les cyanobactéries menacent la baignade dans l’Ill

En ce matin d’octobre, le soleil brille intensément sur le bassin de compensation de Plobsheim. De nombreux voiliers, quelques pêcheurs et un restaurant peuplent cette étendue d’eau qui s’étale à perte de vue, sur onze kilomètres de long. Isabelle Combroux, experte en biologie des milieux aquatiques à l’Université de Strasbourg, se penche sur les vaguelettes.

Comme tous les quinze jours, la chercheuse embarque sur le bateau pneumatique de David Pierron, directeur adjoint de la Fédération de pêche du Bas-Rhin. Mais ce n’est pas de la navigation de plaisance. Sa mission : observer la végétation qui parsème le petit mètre de profondeur du sud du bassin.

Tous les quinze jours, David Pierron et Isabelle Combroux partent observer la végétation sous-marine au sud du plan d’eau de Plobsheim. (Photo Lola Collombat / Rue89 Strasbourg).

Isabelle Combroux lève la tête de son « aquascope », un gros cône orange qui lui permet de voir sous l’eau. À seulement 700 mètres du canal d’alimentation de l’Ill, le sol est pratiquement à nu, uniquement recouvert de quelques algues là où, auparavant, poussait une flore aquatique variée. Problème : ces algues favorisent l’apparition de cyanobactéries, des micro-organismes potentiellement toxiques pour l’homme et les animaux.

Une progression rapide, qui menace l’Ill, et toutes les activités humaines

Un travail de recherche de l’Université de Strasbourg, en partenariat avec la Fédération de pêche, débute à peine. En août 2018, la Fédération de pêche avait relevé la concentration en cyanobactéries dans le plan d’eau : 5 777 cellules par millilitre sur la station du Rhinland. Le seuil d’alerte pour la sécurité des eaux de baignade, défini par l’Organisation mondiale de la santé, est de 20 000 cellules par millilitres. Mais ce qui inquiète, c’est leur possible prolifération aux écosystèmes aquatiques en aval. Notamment dans l’Ill, qui passe à Strasbourg et qui est partiellement alimentée par le plan d’eau de Plobsheim.

Isabelle Combroux observe la flore sous-marine grâce à un aquascope. (Photo LC / Rue89 Strasbourg).

Les toxines des cyanobactéries provoquent des irritations, des attaques du foie et du système digestif et, dans le pire des cas, des attaques du système neurologique pouvant mener jusqu’à la paralysie. « Lorsqu’il y en a dans un point d’eau, toutes les activités nautiques et de baignade, on peut les oublier », affirme l’enseignante-chercheure. La Ville de Strasbourg avait pourtant réitéré en août sa volonté de mettre en place des lieux de baignade dans l’Ill, à l’été 2022.

Le réchauffement climatique accélérateur du phénomène

Le développement de ces algues fonctionne selon le principe suivant : le sol doit être à nu et riche en nutriments (azote, phosphore…), avec un fort ensoleillement et une température élevée. Or, le bassin de compensation est doté de deux canaux le reliant à l’Ill : un canal pour alimenter la rivière, et un canal pour la décharger pendant les crues.

Tous deux rejoignent le plan d’eau au sud du bassin. Lors d’épisodes climatiques extrêmes, le canal de décharge connaît de très forts courants. « L’eau charrie alors tout ce qu’elle rencontre sur le bassin versant », explique le Dr Combroux. « Et notamment, les rejets des exploitations agricoles », complète David Pierron. De la matière organique en masse, très riche en nutriments : le cocktail préféré des algues.

Pendant ces événements, les courants déracinent la végétation habituellement en place. Les apports en nutriments se déposent alors directement dans le sol décapé. Il suffit qu’une période de fortes chaleurs suive pour que les algues se développent, explique Isabelle Combroux :

« Tout peut basculer en très peu de temps, et là, plusieurs conditions sont réunies pour que leur population explose à nouveau ».

Un scénario qui risque de devenir de plus en plus fréquent avec le dérèglement climatique. Avec des conséquences mortelles pour certaines espèces animales. En 2016 déjà, à l’occasion de fortes chaleurs, la Fédération de pêche avait signalé qu’en quelques jours, des milliers de poissons avaient été asphyxiés par les cyanobactéries.

Les algues prolifèrent dans le plan d’eau de Plobsheim (Photo LC / Rue89 Strasbourg).

Des mesures de gestion demandées, mais peu de volontaires

Les étudiants d’Isabelle Combroux, au sein du laboratoire VégéLab de l’Université de Strasbourg, planchent sur une amorce de solution : planter des piquets au fond du plan d’eau pour que les macrophytes (végétaux d’eau douce, ndlr) prennent racine et ne soient pas arrachées lors des crues. Ce qui pourrait permettre d’empêcher aux algues de se développer.

Faisant suite aux fortes mortalités piscicoles relevées en 2016, l’étude menée par l’Université de Strasbourg a été cofinancée par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, par la Fédération nationale de pêche et par Électricité de France, qui dispose de barrages à proximité. Mais à terme, la chercheure et les pêcheurs estiment qu’il faudra investir dans des mesures complémentaires. Robert Erb, président de la Fédération de pêche du Bas-Rhin, explique :

« En tant qu’usagers directs du plan d’eau, nous sommes les premiers concernés. Mais au vu des résultats de l’étude, on espère désormais que d’autres structures vont prendre conscience du problème et se joindre à nous pour mettre en place des mesures de gestion. L’Eurométropole, notamment, s’était proposée pour être le futur maître d’ouvrage, lors d’un comité consultatif que nous avons tenu fin 2019. Depuis, on attend des actes. »

Contactée, l’Eurométropole ne confirme pas s’être engagée pour porter le projet. Elle renvoie plutôt vers la Collectivité européenne d’Alsace en indiquant que « la gestion du plan d’eau de Plobsheim [relève de sa] compétence. » La Collectivité européenne d’Alsace, elle, explique être uniquement responsable de l’aménagement des berges et des activités sportives et de loisirs sur le bassin. Et redirige à son tour vers la Région, en tant que propriétaire de l’Ill en amont. Celle-ci, qui ne gère sur le plan d’eau que les vannes permettant d’équilibrer le débit de l’Ill, estime également que ce n’est pas de son ressort.

Cette manière de se renvoyer la balle confirme l’impression de David Pierron, directeur adjoint de la Fédération de pêche :

« Après avoir exposé nos recherches, quand on a demandé qui allait être porteur du projet, c’était un peu comme lorsqu’il faut répondre à une question à l’école. D’un seul coup, tout le monde a baissé la tête… »

Au grand dam des pêcheurs et des chercheurs.


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