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« Je ne veux pas Internet chez moi »

Le nombre de foyers français sans Internet diminue chaque année. Mais certains, comme Mona, font de la résistance. Une précarité numérique qui complique les démarches administratives et la recherche d’un emploi, comme l’explique cette mère de famille.

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« Je ne veux pas Internet chez moi »

Une à deux fois par semaine Mona, 41 ans se rend à la médiathèque de Sélestat. Elle s’y installe pour profiter des 20 minutes de connexion à Internet gratuites. Comme chez près de 15% des Français, chez Mona, il n’y a pas Internet.

Il y a les ondes d’abord, qu’elle ne supporte pas et qui lui donnent mal à la tête. Surtout, cette mère célibataire d’une petite fille de 9 ans se méfie de la toile :

« Je ne veux pas que ma fille soit trop sur Internet, sinon elle y passerait des heures. Je veux qu’elle avance dans ses études. En plus, il y a des choses qui ne sont pas adaptées pour les enfants : de la violence, de la vulgarité… Les enfants n’ont pas besoin de grandir trop vite. Et puis on ne sait jamais à qui on parle sur un ordinateur. Il y a des adolescents qui ont souffert, car des photos intimes avaient été diffusées à leur insu. Internet ça devrait être beaucoup plus contrôlé. »

Mona refuse d’avoir Internet chez elle, avant tout pour protéger sa fille de 9 ans. (Photo: MP/ Rue89 Strasbourg)

Des aides sociales uniquement par Internet

Pourtant, difficile de se passer du web en 2017. La dématérialisation de l’administration pousse les usagers à renoncer aux guichets pour se battre avec leurs claviers et leurs souris. Demander une aide au logement ou la prime d’activité n’est, par exemple, possible que sur Internet. Et pour toute demande de rendez-vous à la caisse d’allocations familiales (CAF), c’est également par le web que ça se passe. Pour ceux qui n’ont pas Internet chez eux, les administrations en installent des ordinateurs… dans les agences. Mais l’accès est limité aux heures d’ouverture.

Il en est de même à Pôle emploi qui dispose de bornes informatiques. C’est ainsi que Mona a pu s’y inscrire, étant donné qu’elle ne dispose d’aucune connexion à son domicile. Originaire de Strasbourg et sans emploi, elle est venue s’installer à Sélestat dans l’espoir de trouver du travail. En vain. Autrefois Mona était coiffeuse. La mode qui change et les formations à répétition l’ont poussées à se réorienter. Et si elle revendique son choix de ne pas avoir d’ordinateur, son manque de maîtrise informatique, elle le sait, la pénalise :

« À chaque fois que je postule quelque part, on me demande si je sais taper à la machine et je me sens mal, je dis que non. Par exemple en tant que caissière, il faut se servir de la machine. On a pas le droit à l’erreur, ça va trop vite. J’ai trouvé une annonce pour travailler au drive d’un supermarché. Mais il fallait maîtriser l’informatique. Je ne m’en sens pas capable, j’ai peur de tout bloquer. »

Pas complètement réticente

Pour pallier son manque de pratique, Mona s’est inscrite à un cours d’informatique proposée par Les Restos du Cœur à Sélestat. Elle y a appris les bases d’utilisation d’un ordinateur : l’allumer, l’éteindre, lancer un logiciel de traitement de texte ou encore effectuer une recherche sur le web… Malgré tout, la mère de famille ne semble pas avoir gagné en confiance. Elle ne postule à aucune offre d’emploi requérant la maîtrise, même basique, de l’informatique, par crainte de commettre une erreur.

L’informatique a envahi nos pratiques quotidiennes: rechercher un itinéraire, faire ses achats, consulter son compte en banque. Mais cette révolution numérique a laissé sur le bord de la route certains citoyens, un peu dépassés. La précarité numérique accentue les inégalités, notamment face à l’emploi. Pour cette raison, la souriante brune à la voix timide, regrette que sa fille, scolarisée à Sélestat, n’apprenne pas plus à se servir d’un ordinateur à l’école.

D’ailleurs si Mona est méfiante vis-à-vis du web, elle n’y est pas totalement réticente et y voit quelques avantages. Attachée à l’écologie, elle qui se déplace principalement à vélo, voit en Internet une solution pour réduire nos déchets. Elle s’offusque à l’occasion des journaux gratuits et autres prospectus trop largement diffusés, leur préférant leur version en ligne :

« Je vais sur Internet surtout pour trouver du travail. Je regarde aussi Le Bon Coin pour chercher un appartement. Parfois, je regarde des vidéos de chats ou d’autres animaux. Un jour ma fille m’a demandé pour regarder une vidéo d’un spectacle d’enfants sur YouTube, donc on est allées à la médiathèque pour la voir. »

Exclusion dans la cours de récréation

Peu à peu Mona et sa fille se connectent donc à la toile et y découvrent ce monde virtuel où les Français passent en moyenne 18 heures par semaine. Se connecter, c’est aussi une façon d’être en phase avec le reste de la société.

Damien Gleitz, créateur et responsable de l’association « Desclicks – l’Informatique Solidaire » à Schiltigheim, a l’habitude des publics méfiants et qui n’ont pas les moyens d’avoir Internet. Pour lui, les relations sociales peuvent en pâtir :

« Les personnes qui n’ont pas Internet peuvent se sentir exclues. Pour les enfants aussi, c’est parfois difficile. Nous, à notre époque, si on ne regardait pas un épisode à la télé, le lendemain on était largué dans la cours de récréation. Là c’est pareil, les conversations débutées la journée se poursuivent sur Internet. »

Alors que les réseaux sociaux ont déjà séduit de nombreux internautes (33 millions d’utilisateurs de Facebook en France), Mona, elle, garde ses distances:

« Facebook je crois que c’est bien pour faire des rencontres, mais moi je préfère rencontrer les gens pour de vrais, dans la rue. Sur Internet ils peuvent mentir. Et puis il y en a qui s’affichent trop, qui mettent leur liste d’amis, je trouve que c’est trop. »

Mona est aujourd’hui à la recherche d’un équilibre. Pas encore prête pour avoir Internet à la maison, mais consciente de ne pouvoir totalement y échapper.


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