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Le handisport encore balbutiant en Alsace

Les handisports manquent toujours de reconnaissance en Alsace et l’éclosion de clubs tient souvent à la motivation de quelques passionnés. Mais quelques gros clubs commencent à proposer des activités adaptées aux handicaps…

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Le handisport encore balbutiant en Alsace

« Il y a 20 ans, lors de mon accident, il n’y avait pas d’endroit dans la région pour me permettre de poursuivre ma pratique à haut niveau. Depuis, j’ai participé à la création de mon club et d’un championnat. Il y a un net développement du handisport mais il reste beaucoup à faire », expose Benjamin Brun, 39 ans, assis dans son fauteuil près d’une cage de handball, une casquette vissée sur la tête. 

Début septembre, en pleine période de rentrée des clubs et de reprise des entraînements, il est venu à la Foire européenne de Strasbourg pour proposer une démonstration de handfauteuil et présenter le club de Sélestat, dans lequel il est à la fois coach et joueur. « On manque toujours de moyens et de visibilité. On est là pour se faire connaître et pourquoi pas recruter », sourit-il en jetant un œil aux ballons et aux fauteuils réglables apportés pour l’occasion. 

Après un accident il y a 20 ans, Benjamin Brun, handballeur de 39 ans, a dû créer son propre parcours pour pouvoir poursuivre sa pratique en fauteuil. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

« Après mon accident, je voulais prouver que j’étais encore capable »

Fervent sportif, Benjamin Brun a été témoin de l’évolution du handisport. Son sport de prédilection est le handball, qui a toujours eu une place importante dans sa famille : 

« Mon père a fait beaucoup de hand’ et a voulu transmettre sa passion à toute la famille. Finalement je m’y suis mis plus tard, parce que j’avais d’abord bien accroché avec le judo et je voulais absolument avoir ma ceinture noire. Mais à force d’accompagner mon grand frère ou ma petite sœur à leurs matchs, j’ai eu envie de tâter du ballon aussi. Puis je suis tombé amoureux de ce sport et j’ai évolué jusqu’en Nationale 2 avec le Colmar HC, juste avant mon accident. »

En 2004, le passionné de sport chute en snowboard. Sa colonne vertébrale est touchée et Benjamin Brun devient paraplégique. « Dès le centre de rééducation, j’ai voulu reprendre le sport. J’en avais fait toute ma vie et je voulais prouver que j’étais encore capable de faire de belles choses. »

Handibasket, cécifoot, handfauteuil… vers la professionnalisation

Lors de son passage au centre de rééducation de Colmar, il commence à jouer avec des joueurs de handibasket qui viennent alors faire connaître et partager leur sport :

« J’ai découvert que l’équipe de France avait déjà été championne du monde et plusieurs fois championne d’Europe. Je me suis rendu compte que je pouvais à nouveau rêver de porter un maillot bleu. »

Benjamin Brun est ensuite recruté par le club de Strasbourg en septembre 2005. Une proposition qu’il accepte, le handibasket lui semble être le sport le plus accessible à l’époque.

Benjamin Brun est aujourd’hui coach et joueur dans le club de handfauteuil de Sélestat. Il a participé à sa création et à son processus de professionnalisation. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Si la cage du handball lui manque, il n’existe à cette époque aucun club professionnel dans le Grand Est et pas de championnat français. Jusqu’à ce qu’un de ses anciens coéquipiers lui propose de développer le handfauteuil dans la région. « Nous avons découvert qu’il y avait une demande car nous avons tout de suite eu des joueurs motivés, qui avaient un bon niveau. »

La section se structure en s’appuyant sur le club de handball local et participe aux rencontres qui ont lieu une fois par an avec les autres clubs. Avant de participer à la création d’un championnat. « Ça a pris doucement, avec environ six équipes au départ, puis ça a grossi pour devenir le challenge Handi’Amo Tour avec seize équipes et des tournois dans chacun des clubs participants », détaille le sportif. 

Le handfauteuil en toute mixité

« Tout le monde peut faire du handfauteuil », annonce fièrement Benjamin Brun. « Les équipes sont mixtes au niveau du genre et de l’âge. Elles sont constituées de personnes handicapées et valides. Du moment que tout le monde est dans un fauteuil », explique le coach. Aujourd’hui, le club de Sélestat comporte dix joueurs, dont quatre handicapés. Un mélange qui enrichit le jeu et permet de partager de beaux moments entre « valides et handis’ », selon Benjamin Brun.

Une remarque que soutient Julie Colin, sa compagne. Valide, elle décide de tester le handfauteuil après sept ans de handball, jusqu’à rejoindre l’équipe et en faire sa pratique principale :

« Entre la mobilité et la maîtrise du fauteuil, les compétences se complètent et donnent une dimension très intéressante à ce sport. C’est vraiment super pour l’ouverture d’esprit de partager ces moments en mixité. Cela permet aux valides de se mettre dans les conditions de personnes ayant un handicap et de prendre conscience de ce que cela peut être au quotidien, dans une société qui a tendance à ne pas être adaptée pour tous. »

Certains handisports, comme le handfauteuil, se pratiquent en mixité de genre, d’âge, et en mélangeant les personnes valides et en situation de handicap. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Manque de visibilité et de moyens

Du 28 août au 8 septembre 2024, Paris accueillera les Jeux paralympiques pour la première fois. Pour l’occasion, 4 400 athlètes seront présents pour s’affronter dans 549 épreuves de 23 disciplines. Si le handifauteuil a été reconnu trop tard pour faire partie des Jeux paralympiques de 2024, l’équipe de Sélestat espère que toutes les formes de parasports (terme générique pour désigner l’ensemble des sports pratiqués par les personnes en situation de handicap, physique ou mental) bénéficieront d’une meilleure visibilité.

Car malgré ce bilan constructif des dernières années, Benjamin Brun soutient qu’il y a encore beaucoup d’éléments à améliorer dans la pratique du handfauteuil et du handisport en général :

« On a fait du chemin, mais le manque de visibilité et de moyens persiste. Nous avons des difficultés à nous faire connaître auprès des personnes handicapées, comme des valides. Il y a encore des zones encore très mal équipées. Or, la distance peut être un frein très grand pour des personnes ayant déjà une mobilité réduite. »

Les parasports demandent nécessitent souvent plus de moyens, en raison d’équipements coûteux, comme des fauteuils roulants de sport. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg / cc

Des ouvertures de section handifauteuil sont actuellement en discussion dans les clubs d’Achenheim ou de Metz. En Alsace, on trouve par exemple une équipe de cécifoot qui a accueilli cet été à Schiltigheim un tournoi international de préparation aux Jeux paralympiques.

Tito Timpano est entraîneur et responsable de cette section du SUC. Au Village des Sports, place Kléber à Strasbourg samedi 26 août, il reconnaît que les parasports ne sont pas vraiment mis en valeur pendant cet événement. Il explique être lui-même en train d’ouvrir sa section de canne de combat aux participants en fauteuil :

« J’ai déjà accompagné deux sportifs dans cette situation et on a remporté les championnats du monde ! Pour les entraîner, je me mets aussi dans un fauteuil et, en dehors de ça, il n’y a pas de grande différence. La même envie de compétition est présente. »

Tito Timpano travaille au SUC et a déjà accompagné deux sportifs en fauteuil en coupe du monde de canne de combat. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Le sport adapté, « l’enfant pauvre des parasports »

Le sport adapté, qui concerne des personnes avec une déficience intellectuelle ou un trouble psychique (trouble autistique, trisomie…) est encore plus confidentiel. À Strasbourg, seuls deux clubs en proposent : Nouvel envol et l’ASPTT. François Brua est responsable de la section sport adapté de l’ASPTT. Ancien éducateur et professeur d’EPS dans le médico-social public, il a toujours travaillé auprès d’un public de personnes ayant un handicap mental. Il défend l’importance du sport pour eux :

« L’accès au sport devrait être un droit pour tous. Mais souvent, en grandissant, les jeunes quittent les établissements médico-sociaux pour travailler la journée et n’ont plus accès à une activité sportive. Le but est de pérenniser ce qu’ils ont appris et de leur donner la possibilité de poursuivre. C’est un apport physique et cela les aide beaucoup à sociabiliser, même plus qu’au travail. »

L’ASPTT propose aujourd’hui du badminton et du ski en sport adapté, et bientôt du handball. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Ancien joueur de badminton, il pense que ce sport pourrait facilement être adapté à un large public et propose à l’ASPTT d’ouvrir une section en sport adapté. Créée entre 2010 et 2012, elle commence avec une dizaine de licenciés. Aujourd’hui, elle en compte 80, de 13 à 65 ans, et a diversifié les sports proposés, avec du ski, des séjours à la montagne… 

Fière de cette section, François Brua estime tout de même que « le sport adapté est l’enfant pauvre des parasports ». Peu visible, les moyens plus importants que demande cette pratique sont souvent un frein :  

« Comme chaque joueur a une pathologie spécifique, il faut un accompagnement plus important et donc plus de personnel. Nous avons dû arrêter de proposer du judo adapté, car nous n’avions plus assez d’encadrants. Mais nous allons proposer du handball en sport adapté dès cette rentrée. »

La Fédération française des sports adaptés compte plus de 65 000 licenciés. Les sportifs de l’ASPTT le sont également et participent régulièrement à des compétitions, locales ou nationales. Du 24 au 26 novembre 2024, ils se rendront au championnat de France de badminton adapté qui a lieu cette année à Altkirch. 


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