
Semaine de l’investigation locale (4/5) – Chaque jour, la trésorerie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg doit rembourser des usagers après des erreurs de paiement. Mais des mesures d’économie ont fait croître le nombre de dossiers en souffrance. Pire : les usagers ne sont plus informés pour les remboursements de moins de 8 euros.
« Si encore nous étions un cas isolé… Mais notre voisine a eu les mêmes problèmes », explique Fabienne B., infirmière à la retraite. Le 8 avril, elle conduit Jean-Marc, son mari, aux urgences ophtalmologiques du Nouvel Hôpital Civil à Strasbourg. A la fin de la consultation, la secrétaire leur dit qu’ils n’ont rien à régler :
« Nous devions recevoir un avis avec une somme à payer… qui n’est jamais arrivé. En juillet, nous avons eu directement une relance ! Je paie aussitôt les 38,73 euros. Deux semaines plus tard, nous recevons un autre avis pour la même consultation, mais de 32,73 €. La première facture, erronée, a été annulée. Pourtant nous devons payer la seconde… sans avoir été remboursés ! »
« Il aura fallu six mois… »
Pas d’accord, Fabienne appelle plusieurs fois le numéro indiqué sur l’avis : « Personne ne décroche. » Alors elle envoie des courriers. « Pas de réaction de la trésorerie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et le service « Relation avec les usagers » me répond que ça n’est pas de sa compétence. » En plein déménagement, le couple met le dossier en attente. D’autant que début août Jean-Marc retourne deux fois aux urgences. Mais Fabienne ne désarme pas :
« Le 5 septembre, j’envoie un courriel à la trésorerie. Qui me répond enfin ! Plus besoin de payer le second avis : ils remboursent les 6 € d’écart entre les deux factures, si je règle la première d’août. Ce que je fais.
Mais quelques jours après, je reçois un avis de somme à payer pour les deux consultations d’août ! Finalement, ça ne sera vraiment réglé que le 4 octobre. Il aura fallu 6 mois… Une erreur, ça peut arriver. Mais il est anormal que ce soit si difficile d’avoir des explications, et qu’il faille autant de temps pour la corriger… »
Une facture sur 22 erronée
Le cas de Jean-Marc et Fabienne n’est pas isolé. Chaque semaine, les HUS commettent un millier d’erreurs de facturation : mauvaise cotation d’un acte, erreur sur la personne, confusion entre régimes d’assurance maladie, etc.
En 2018, d’après leurs propres chiffres, les HUS ont dû revoir 57 766 des 1 291 398 titres qu’ils avaient émis. C’est à dire qu’une facture sur 22 a été corrigée, voire annulée. Un taux important (4,47 %) mais dont la direction assure qu’il est « stable depuis 2014 » et « comparable à celui observé dans les hôpitaux de même catégorie ».
Ces erreurs génèrent des facturations erronées et, par conséquent, des « excédents de versement ». En clair : l’hôpital doit de l’argent à un usager.

Erreur de l’usager en sa défaveur
Autre cause de ces excédents, certains patients ont payé un acte deux fois. Cela arrive le plus souvent quand un malade a bénéficié des mêmes soins à plusieurs reprises. Ou quand un usager a reçu l’avis initial de paiement puis une relance. Comme ces deux documents portent des numéros de référence différents, il arrive qu’il règle les deux. Une trentaine de doublons de chèques sont ainsi constatés chaque jour ouvrable à la trésorerie.
Le long, long, long parcours du remboursement
Quelle que soit l’origine des excédents, c’est la trésorerie des HUS qui doit restituer les trop perçus. Mais avant qu’un agent puisse demander les éléments nécessaires au remboursement d’un usager, les délais sont longs. Entre le passage des chèques par le Centre National de Traitement de Lille, et l’édition de l’avis par le Centre Editique National de Meyzieu, en banlieue de Lyon, ou par celui de Strasbourg, il faut parfois deux mois pour que le document parvienne à la trésorerie, et prenne sa place dans la pile.

Une pile épaisse… Lundi 4 novembre, elle comptait 2 119 dossiers de remboursement en souffrance. Un chiffre cependant en baisse depuis juillet (2 500). Le nombre de dossiers « traités » mais en attente de remboursement faute de références bancaires de l’usager a, lui, augmenté de 4 300 à 5 731. Conclusion : les dossiers sont traités plus vite, mais moins efficacement. Pourquoi ?
La trésorerie demande moins d’efforts pour rembourser
Début août, de nouvelles « modalités de fonctionnement » ont été instituées par le trésorier principal des HUS. Elle sont exposées dans une note de service que nous nous sommes procurée. Deux décisions ont une incidence directe sur les usagers.

D’abord pour tous ceux dont le remboursement est compris entre 30 € et 8 €. Pour eux, l’agent n’a plus le droit de rechercher des coordonnées bancaires dans les dossiers archivés afin de les rembourser directement. Dorénavant, il doit obligatoirement attendre pour les rembourser qu’ils renvoient leur RIB en réponse à l’avis d’excédent qu’il leur a adressé. Ce qui entraîne un délai supplémentaire et des courriers dont tous n’arrivent pas à leur destinataire…
Des usagers jamais avertis
Pire, pour les règlements inférieurs à 8 € : pas davantage de recherche de RIB dans les archives, et l’agent ne leur envoie même plus d’avis d’excédent. Ainsi, un usager peut tout à fait être créditeur des HUS sans jamais le savoir. Délai de prescription oblige, il perdra son remboursement au bout de 3 mois… L’argent reste alors au Trésor public et le dossier est classé !
Les sommes en jeu peuvent sembler minimes, mais un avis d’excédent sur 6 concerne de tels montants, le plus souvent de 6,90 € ou 7,80 €. Des sommes qui correspondent à des erreurs classiques sur le régime de l’assuré (général ou local).
Interrogés sur cette mesure, les HUS renvoient la balle à leur partenaire :
« L’envoi d’un courrier ou son absence sont assurés par la Direction Générale des Finances Publiques, et non pas par les HUS. »
Priorité aux rentrées d’argent
De son côté, le trésorier principal a catégoriquement refusé de répondre à nos questions. On peut cependant examiner sa gestion du service. Dès son arrivée aux commandes de la trésorerie, en mai, Gérard Le Douce a demandé à ses agents de privilégier les recettes aux dépenses. Conformément à cette priorité, il a affecté au service « Recouvrement » des agents des services « Dépenses » et « Comptabilité ».
À ce jour, il n’y a plus qu’un seul fonctionnaire en charge des excédents de versements. Et il travaille à mi-temps ! En septembre, le collègue qui l’assistait depuis le mois de mars a été affecté à d’autres tâches, en remplacement d’un agent parti à la retraite.

Ces changements ont provoqué des mécontentements au sein de la trésorerie, en particulier la fin des remboursements de moins de 8€, que plusieurs fonctionnaires jugent iniques. Ils la replacent dans un contexte de dégradation du service au public : depuis février l’accueil de la trésorerie, déjà fermée le mercredi après-midi, l’est également tous les vendredis. Et il est prévu qu’à partir du printemps 2020, les transactions en liquide soient impossibles. Les usagers ne pourront donc plus y venir se faire rembourser instantanément en liquide. Même pour moins de 8€.
De plus j'ai reçu plusieurs fois des rappels sans premier avis.
Sa hiérarchie le soutiendra peut-être mais le triptyque dirigeant les H.U.S., préfet, maire et directeur du site, pourront le faire rétropédaler.
Vous aviez visiblement des contacts au sein de cette trésorerie. Si ils ne sont pas totalement incompétents ils auraient pu vous indiquer les références de cette réglementation qui est nationale et pas du tout propre à cette trésorerie.
Ce qui me gène c'est que manifestement des fonctionnaires d'un service public n'aimant pas les changements d'organisation au sein de leur centre des finances ont décidé de vous utiliser pour régler leurs comptes avec leur supérieur. Et vous foncer sans trop creuser...
Pour ma part je regrette tout autant les errements de certaines administrations en général que l'absence de déontologie de certains journalistes qui pensent avoir trouver le nouveau watergate alors qu'ils sont face à une procédure assez banale qui consiste à ne pas multiplier les couts de manière irresponsable. En tant que contribuable vous serez peut être le premier à protester lorsque vous saurez ce que vous coute ces procédures (gestion, affranchissement, personnel dédié...) de très faible montant.
Christian
Votre message est très critique. Je vais néanmoins m’efforcer d’y répondre.
Vous m’accusez d’être instrumentalisé, par des fonctionnaires “n'aimant pas les changements d'organisation au sein de leur centre des finances” et souhaitant “régler leurs comptes avec leurs supérieurs”.
C’est le reproche récurrent qui est fait aux journalistes d’investigation dès lors qu’ils sont renseignés par des sources. Je vais donc vous faire la réponse classique : nous n’avons pas à juger les motivations de nos informateurs. Ce qui compte pour nous, c’est la qualité et la véracité de leurs informations. Quand ils nous fournissent des documents prouvant leurs dires, nous sommes satisfaits. C’est le cas ici. Je vois d’ailleurs que vous ne remettez pas en cause ces pièces.
Cependant, puisque vous voulez parler des motivations de mes informateurs, je me demande ce qui vous conduit à retenir la thèse de la jalousie et de la rancœur, au détriment de celle de l’indignation d’agents face à des “réformes” qu’ils jugent iniques et discriminatoires. Vous semblez avoir une bien mauvaise opinion de vos contemporains. Mais cela vous regarde.
Vous affirmez que la réglementation en question est “nationale et pas du tout propre à cette trésorerie”.
Vous semblez un fin connaisseur du sujet. Gérard Le Douce, le responsable de la trésorerie, n’a pas répondu à ma question sur ce point (pas plus qu’il n’a daigné le faire sur les autres). De même que, selon mes informateurs, il n’aurait pas pu indiquer à ses agents qui la lui demandaient la référence d’une supposée réglementation en la matière. Laquelle n’est d’ailleurs pas précisée dans la note de service que j’ai reproduite. La Direction Régionale des Finances Publiques, questionnée et relancée, n’a pas répondu davantage. Ce qui en dit long sur la considération qu’elle porte à nos lecteurs, lesquels sont pourtant des citoyens auxquels elle doit des comptes.
Quoi qu’il en soit, “Christian”, si vous pouvez pallier le manque de transparence de ces interlocuteurs, ne vous gênez pas : je suis preneur de vos lumières.
Vous supposez que je “serai peut-être le premier à protester quand je saurai ce que me coûte” les procédures en question.
Mais je ne demande pas mieux que de le savoir ! Comme là encore vous semblez parfaitement au courant, je vous sollicite à nouveau, “Christian” : dressez-nous en le détail, que nous puissions nous faire une opinion. On sait que le Trésor Public ne cherche pas à recouvrer les créances inférieures à 8 €, le jeu n’en valant pas la chandelle, mais il s’agit là de son choix à lui, qui n’engage nullement les contribuables, lesquels n’ont pas les mêmes moyens que l’Etat.
Vous estimez, comme lui, que les montants des créances inférieurs à 8 € sont “très faibles”.
Tant mieux pour vous, c’est que vous en avez les moyens. Mais, peut-être l’ignorerez-vous, il y a parmi les patients des HUS des personnes pour qui 6,90 € ou 7,80 € représentent une somme non négligeable. D'autant que, parfois, l’hôpital leur en doit plusieurs. Si vous êtes prêt faire cadeau de telles sommes au Trésor Public, grand bien vous fasse, mais je ne pense pas que tous les contribuables en aient ni les moyens ni l’envie, et en tous cas pas sans leur consentement.
Toutes vos remarques j’y ai répondu. En revanche, je n’accepte pas que vous mettiez en cause ma déontologie - sans d’ailleurs préciser sur quel point de mon enquête elle serait défaillante - courageusement dissimulé que vous êtes derrière votre anonymat.
Si vous voulez vous faire le porte-parole d’interlocuteurs qui n’ont même pas eu l'élémentaire correction de me répondre qu'ils ne répondraient pas à mes questions, vous êtes prié de le faire à visage découvert, “Christian”. Mais je suis prêt à parier que vous n’oserez pas.
Défendre aujourd'hui le Service public est donc bien une position dogmatique pour les blogs complaisants...
Au passage, une petite grève surprise SNCF (encore des privilégiés qui ont des problèmes d'horaire d'hiver sur le TGV Est -sic) m'ont fait perdre 1.500 € de contrats et coûté 250 € en direct (hôtel et frais).
En tant que travailleur indépendant, par rapport à un fonctionnaire, je vis au 19ème siècle, mais ça ne m'empêche pas de penser que l'on est tous perdants face au dépeçage actuel du service public.
J'ai choisi mon métier et je ne m'en plains pas, mais mon modèle représente ce que la startup nation rêve de mettre en place à grande échelle, les services publiques sont le seul filet de sécurité auquel me raccrocher.