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« La zone scolaire, c’est le seul endroit de la prison où tu te sens pas comme un détenu »

« Parole aux taulards » – Épisode 5. Trois détenus ou anciens détenus témoignent des bienfaits de la zone scolaire de la maison d’arrêt de Strasbourg. Elle permet de rompre la monotonie de la détention, de reprendre confiance et de se former pour trouver un travail à la sortie.

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« La zone scolaire, c’est le seul endroit de la prison où tu te sens pas comme un détenu »

« Pour moi, c’était l’un des meilleurs lieux de la détention. » Valentin (le prénom a été modifié) ne tarit pas d’éloge à l’égard de la zone scolaire de la maison d’arrêt de Strasbourg. Après plusieurs incarcérations dans la prison située à l’Elsau, l’ancien prisonnier se félicite de ces cours « avec des vrais profs de l’Éducation nationale » dans des classes de quelques élèves, souvent deux ou trois. « Ça te donne l’impression d’être utile, se félicite Valentin, t’as un projet autour de ton cours, tu te réinsères déjà en faisant ça. »

« Les profs n’ont pas cette froideur, ce mépris »

La zone scolaire de la maison d’arrêt de Strasbourg est dirigée par le responsable local de l’enseignement Laurent Blanchard depuis septembre 2015. Elle compte six enseignants permanents qui assurent les cours du lycée pénitentiaire de la prison. À cela s’ajoute une trentaine de professeurs de collège, de lycée, de lycée professionnel ou d’université qui donnent quelques heures de cours par semaine en détention. Il y a enfin une quinzaine de professeurs bénévoles, souvent retraités, qui interviennent une demi-journée par semaine.

Une salle de classe de la zone scolaire de la maison d’arrêt de Strasbourg. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Adepte de sport de combat, l’ancien détenu se souvient tout particulièrement des cours de physique et de ses échanges avec un professeur sur la nutrition : « On a pu parler des glucides, ça m’a beaucoup aidé pour mes connaissances en sport. » Et Valentin d’ajouter : « En zone scolaire, tu te sens pas comme un détenu. Les profs n’ont pas cette distance, cette froideur et ce mépris qu’on trouve chez le personnel pénitentiaire. »

« À chaque fois j’étais sur liste d’attente »

Kader (le prénom a été modifié) s’estime chanceux. Il a pu intégrer la zone scolaire quatre mois après son incarcération. Mais il évoque rapidement d’autres codétenus, dont certains attendent un an avant de pouvoir assister à un cours. Pour Valentin, l’offre d’enseignement et de formation est insuffisante :

« J’ai fait quatre peines à l’Elsau. À chaque fois j’ai demandé une formation, n’importe laquelle. À chaque fois on m’a dit que j’étais sur liste d’attente. J’ai fait une année pleine entre 2020 et 2021, j’ai rien pu faire de l’année, pas un cours, pas un travail en atelier… »

En moyenne, entre 200 et 240 détenus (soit un tiers de la population carcérale) assistent à des cours ou suivent une formation au sein de la maison d’arrêt de Strasbourg. « Effectivement, il peut y avoir une liste d’attente pour certains groupes, admet le responsable local de l’enseignement, mais entre les libérations et les transferts, avec une moyenne d’incarcération de cinq mois, il y a de nouvelles places qui se libèrent chaque semaine. » Laurent Blanchard ajoute l’impact de la crise sanitaire depuis mars 2020 : « Jusqu’en mai 2022, covid oblige, on était contraints de composer avec des demi-groupes, pour éviter les contaminations qui forcent chaque détenu positif à rester à l’isolement pendant sept jours. »

« Une fois par semaine, on descend pour rien en zone scolaire »

Au-delà des places parfois insuffisantes en zone scolaire, Kader se plaint d’annulations récurrentes des cours, et ce à la dernière minute. Or, les détenus qui assistent aux cours le font souvent au détriment de leur temps de promenade. D’où la lassitude du prisonnier :

« Depuis trois mois, une fois par semaine, on arrive pour le cours et on nous dit que l’activité est annulée. Il y a toujours une raison : travaux dans une salle, manque de personnel pénitentiaire ou absence du professeur. Du coup on descend pour rien en zone scolaire. »

Le couloir qui mène à la zone scolaire de la maison d’arrêt de Strasbourg. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Une autre contrainte peut peser sur les détenus qui souhaitent se rendre en cours. Comme l’a raconté Jacques (le prénom a été modifié) dans le premier épisode de cette série, il souhaitait se rendre en zone scolaire lorsqu’un surveillant l’a insulté et lui a bloqué la porte avant de rappeler qu’il est le seul à décider si le prisonnier peut aller en classe ou non. C’est finalement l’intervention d’un collègue qui permettra à Jacques d’étudier. Ce dernier a porté plainte pour cet abus de pouvoir. La direction de l’administration pénitentiaire a répondu à Jacques en promettant un « examen attentif de la situation évoquée ».

« Je pensais que j’étais vraiment nul »

Incarcéré au quartier pour mineurs de la maison d’arrêt de Strasbourg, Mael a passé six mois en détention entre octobre 2021 et mars 2022. Au départ, il s’est rendu en zone scolaire « parce que sinon il me confisquait la télé ». Puis au fil des dix heures de cours hebdomadaire (anglais, français, mathématiques), le jeune a repris confiance en lui :

« De base, j’étais un très mauvais élève. Je savais juste compter. J’écrivais tout en abrégé. Avant de faire mon premier cours en prison, je pensais que j’étais vraiment nul, que j’avais un petit cerveau. Ensuite j’ai été choqué, parce que j’ai revu plein de choses que je connaissais déjà. C’est là que je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire ici. »

Une fois sortie de détention, Mael a bénéficié de cours bénévoles de la part d’un professeur dans l’unité éducative de jour située dans la plaine des bouchers. Il a pu ainsi obtenir la partie théorique de son diplôme de CAP avant l’été 2022. Mael est actuellement à la recherche de stages qui doivent lui permettre de valider la partie pratique d’un CAP mécanique l’année prochaine.

« Notre mission : rendre utile le temps de l’incarcération »

Tous les détenus qui assistent aux cours de la maison d’arrêt n’obtiennent pas de diplôme. Mais chaque diplômé est une victoire pour Laurent Blanchard qui donne les statistiques de diplomation au sein de la maison d’arrêt de Strasbourg :

« Pour l’année scolaire 2021/2022, 29 personnes ont obtenu un diplôme sur leur niveau de langue française. Pour le certificat de formation générale, ce sont 26 détenus qui l’ont obtenu avec 100% de réussite. Il y a aussi des CAP, j’avais huit élèves inscrits en CAP Production Service et Restauration. Six l’ont obtenu grâce à une formation de 25 heures par semaine. Niveau diplôme, on a une élève qui a passé son diplôme d’accès aux études universitaires. Elle est maintenant en première année de licence droit en détention. On a aussi un élève qui est en troisième année de licence de droit après avoir validé son bac ES chez nous en 2020. »

Fier de son équipe enseignante et de leur engagement, le responsable de l’enseignement Laurent Blanchard résume la mission de la zone scolaire :

« Nos missions, c’est d’abord la prise en charge des mineurs pour leur redonner le goût d’apprendre et les aider à construire un projet professionnel. Il y a ensuite l’aide aux personnes en situation d’illettrisme et aux personnes étrangères pour qu’elles puissent acquérir les savoirs de base en langue française. Enfin, il s’agit de rendre utile le temps d’incarcération. Pour ce faire, on valide des compétences et on prépare la sortie. Cette préparation, c’est une lutte contre la récidive. Si une personne a validé des compétences, si elle a obtenu son permis ou une formation, si elle s’est sentie valorisée en classe et qu’elle a pu retisser un lien de confiance avec un enseignant, alors on maximise les chances de réinsertion. »


#conditions de détention

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