Laura Rederstorff vient d’avoir 20 ans, Lars Herbillon en aura bientôt 21. Ils sont en couple depuis six années déjà. Il faut dire que ces deux-là se sont rencontrés en primaire, à l’école Mathias Grünewald de Colmar. Ils se sont suivis avec leurs études au sein de cet établissement privé qui applique la pédagogie du philosophe Rudolf Steiner.
C’est là, il y a trois ans, que la Tiny House est entrée dans leur vie. Presque subrepticement. Tasse de thé à la main, Lars raconte :
« Comme tous les élèves de seconde, je devais faire un projet. Je ne sais plus où j’avais entendu parler des Tiny Houses, mais je me suis dit que ça pourrait être une bonne idée d’en construire une. Pour de bon. Parce que je ne vois pas l’intérêt de faire des plans et une maquette si ça ne va pas plus loin. »
L’idée d’y emménager avec Laura est déjà présente. Celle qui était alors lycéenne se prend au jeu :
« Je n’ai réalisé le travail que ça demanderait que lorsqu’on a eu la modélisation numérique. Là j’ai compris que Lars irait jusqu’au bout. Mais ça n’est devenu concret que lorsqu’on a commencé à monter les murs sur le châssis. »
D’amour et d’eau de pluie
C’est le principe de la Tiny House : une micromaison déplaçable, puisque construite sur une remorque.
« D’après la réglementation, la Tiny doit pouvoir être séparée du châssis. Mais en pratique, ça serait très compliqué de l’enlever sans la démonter. La nôtre est au poids maximal autorisé : 3,5 tonnes. Pour 6,5 mètres de long, sur 2,55 m de large et 4 m de haut. »
Lars ramasse les tasses et se met à la vaisselle. Sans détergent. Ils sont proscrits dans la micromaison, comme tous les produits nocifs à l’environnement.
« Nous n’avons pas de bac-filtre à eaux grises, nos eaux usées partent donc directement dans la nature. Mais nous sommes équipées de toilettes-sèches. Pour le reste, nous utilisons l’eau de pluie, recueillie sur le toit et collectée dans une citerne verticale de 300 litres. Il faudrait une longue période de sécheresse pour qu’on en manque. »
Sa compagne complète :
« On a appris à être vigilants et à se repérer au bruit de la pompe : elle se met en route tous les 24 litres. Pas besoin de plus pour une douche. »
Trois mois de tranquillité
Laura lave rapidement les courgettes qu’elle mettra sur la pizza de midi. L’eau, avant d’arriver au robinet, est passée dans une série de filtres au charbon actif qui retiennent les particules de plus de 10 microns. De quoi arrêter les métaux-lourds, mais pas suffisant pour obtenir une eau potable.
« Il faudrait installer un filtre à rayons ultraviolets pour tuer les micro-organismes, mais pour l’instant, nous n’en avons pas besoin puisque nous allons nous ravitailler à la fontaine municipale. Ici l’eau a un goût très particulier. Elle est excellente. »
De l’eau minérale gratuite : c’est l’avantage de s’être arrêté dans une station thermale. Autre avantage du village : ses toilettes publiques. « Nous poserons bientôt des toilettes sèches. »
Lars et Laura se sont installés à Soultzbach-les-Bains début juin. Auparavant, comme leur Tiny House était encore en construction, ils l’avaient déplacée au gré du chantier. Sans limite de temps. Mais maintenant qu’elle est terminée, elle est assujettie à la réglementation sur l’habitat léger :
« Mises à part les zones naturelles, on peut poser une Tiny sur n’importe quel terrain, qu’il soit constructible ou non. Au bout de trois mois, selon le Plan local d’urbanisme de sa commune, le maire peut exiger qu’elle quitte la parcelle. Bien sûr, pour s’installer on doit avoir l’accord du propriétaire. »
Un budget de 28 000 €
C’est un cabinet d’architectes qui est propriétaire du terrain de Soultzbach-les-Bains. Spécialisé dans les constructions passives, les Ateliers D-Form ont appuyé le projet pratiquement depuis le départ. Comme beaucoup d’autres partenaires que l’enthousiasme de Lars a séduits.
« J’avais chiffré la construction à 20 000 €. Une collecte Ulule m’en a procuré 5 500 €. J’ai aussi été lauréat de plusieurs “projet jeunes,” en particulier de la Région Grand Est qui m’a donné 2 000 €. Aujourd’hui, j’évalue le budget total à 28 000 €, dont la moitié m’a été fournie en nature. Plusieurs entreprises m’ont offert des matériaux, sans même demander de contrepartie. »
Et ce n’est pas rien, car les murs ne sont pas ceux d’un abri de jardin ou d’une caravane.
« Un bardage bois de 18 mm d’épaisseur sur une ossature sapin de 80 mm, avec entre les deux une lame d’air de 10 mm, un pare pluie, un frein vapeur et un isolant lin, chanvre, coton de 80 mm. Et du double vitrage standard. Dans la Tiny, on se sent en sécurité même sous l’orage. Et ce printemps, elle a tenu la chaleur malgré les nuits fraîches. »
Gaz et énergie solaire
Une inertie thermique d’autant plus appréciable que la micromaison n’a pas de chauffage, si on excepte le four dans lequel Lars vient de glisser la pizza.
« C’est un four à gaz, comme le chauffe-eau. Mais pour les autres équipements, on utilise l’électricité que produisent nos panneaux photovoltaïques. Il y en a quatre, de 250 Watts chacun, reliés à un onduleur, qui transforme le courant continu en alternatif, et à des batteries lithium-fer-phosphate de 24 Volts et 100 Ampères/heure qui le stockent. On a assez de puissance et d’autonomie pour installer une petite machine à laver… Avec le soleil qu’il y a en ce moment, les batteries sont rechargées dès 10h du matin. Je pense qu’on pourrait faire marcher une climatisation et même une voiture. »
Mais pour l’instant, Lars et Laura se contentent d’une trottinette électrique.
Et le courant, ils n’en utilisent que peu pour l’éclairage. Grâce aux nombreuses baies, fenêtres et fenêtre de toit ouvrante…
« Ce sont les parties vitrées qui donnent l’impression d’espace que l’on a à l’intérieur. Tous les visiteurs qui découvrent la Tiny n’arrivent pas à croire qu’elle ne fait que 20 m², 19,5 m² pour être précis : 15 m² au sol et 4,5 m² de mezzanine. »
Ergonomie et sobriété
Un espace largement suffisant pour les deux amoureux : jusqu’à début juin et l’emménagement dans leur micromaison, chacun habitait chez ses parents. Laura est ravie : « J’aime cuisiner, et dans la Tiny, j’ai toute la place qu’il me faut. »
Pour le rangement, ils mettent à profit le soubassement du canapé-lit d’ami fabriqué par Lars. Un mètre cube, même pas entièrement occupé :
« Quand on vit dans un appartement ou dans une maison, on stocke, on achète des objets sans être sûr d’en avoir besoin, en se disant qu’on a la place pour les garder en attendant qu’ils servent. Nous, nous avons la chance d’arriver avec peu de choses. Mais j’ai rencontré des gens plus vieux que nous qui veulent vivre en Tiny pour revenir à l’essentiel. Ce qui correspond à une nécessité écologique aujourd’hui. »
Indéniablement dans l’air du temps, le mouvement Tiny House a de plus en plus d’adeptes. Né aux États-Unis, il s’est largement répandu :
« Rien qu’en Alsace, il y en a une demi-douzaine installées, autant en construction, et de nombreuses personnes qui en sont au stade préparatoire. J’en ai rencontré beaucoup. Certaines sont même venues se former en donnant un coup de main sur notre chantier. »
Projets d’avenir
Ces coups de main ont permis de compenser le retard pris l’année dernière, préparation du bac S de Lars oblige. Aujourd’hui, alors que Laura a passé le sien, série ES en candidate libre, le jeune homme prépare à distance une licence de chef de projet digital. Parallèlement, il a créé une auto-entreprise, Inemotion design, spécialisée dans la création graphique et l’accompagnement de stratégie digitale. Des compétences qu’il a développées en présentant sa Tiny House sur internet.
En trois années, cette passion a pris au couple beaucoup de temps : « Au début j’avais commencé un relevé du temps passé, mais j’ai vite arrêté » explique le trésorier du Collectif Tiny House. Pour autant, Lars et Laura ne souhaitent pas qu’elle tourne à l’obsession.
« Small is beautiful » mais le monde est vaste. Alors ils commencent à réfléchir à leur nouveau projet : un grand voyage, sans doute en Amérique latine, qu’ils pourront préparer tranquillement cet hiver, bien au chaud dans leur toute petite maison, installée quelque part, ils ne savent pas encore pas encore où.
D’ailleurs, si vous êtes prêts à les accueillir, n’hésitez pas à leur faire signe sur Facebook.
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