Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Le Soliguide, un outil « fantastique » pour les plus démunis… qui le connaissent mal

Depuis janvier 2020, les personnes précaires de Strasbourg peuvent retrouver toutes les adresses utiles sur un seul site actualisé en temps réel. Mais ce sont davantage les associations qui l’utilisent pour aider les gens dans le besoin que les bénéficiaires eux-mêmes.

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une affiche du soliguide (Photo DL/Rue 89 Strasbourg)

Le Soliguide fête bientôt sa première année d’existence à Strasbourg. Ce site internet rassemble toutes les adresses et contacts utiles pour les personnes dans le besoin : il permet de savoir où avoir accès à une douche, des paniers repas, un accompagnement à l’emploi ou un endroit pour se reposer au chaud.

L’interface vise à être intuitive. En cliquant sur la « goutte » en bas à droite, les personnes qui le souhaitent peuvent poser leurs questions (dans n’importe quelle langue) (capture d’écran du site soliguide.fr)

En lançant une recherche (sur ordinateur ou smartphone), la liste et la carte qui s’affichent montrent toutes les structures qui correspondent, avec des pictogrammes représentant les services disponibles : des toilettes, un café, des produits menstruels… Le concept a été développé par l’association Solinum dans huit villes de France avant d’atterrir dans la capitale alsacienne.

Des infos en temps réel pour ne plus trouver porte close 

Aimeric Prod’homme, le chargé de développement local, indique que « toute l’action sociale de Strasbourg y est répertoriée », avec « 200 lieux cartographiés, qui représentent 800 services ».

L’actualisation en temps réel permet aussi aux bénéficiaires de s’assurer que les endroits qu’ils ont l’habitude de fréquenter (les Restos du cœur, le Secours Populaire ou simplement les toilettes publiques) soient bien ouverts. Un vrai plus en temps de confinement, avance Aimeric :

« Il est hyper important pour les personnes à la rue de ne pas trouver porte close quand on leur a indiqué un endroit. Cela freine énormément leur motivation à aller toquer aux portes. Or, pendant le premier confinement, 83% des structures en France étaient fermées. A Strasbourg, on a remarqué que le site est beaucoup plus consulté en confinement. Habituellement, il y a environ 200 utilisateurs par mois, mais les visites ont plus que doublé au mois de novembre par exemple, on était plus autour de 400-500. »

De manière générale, il estime que le projet accroche bien à Strasbourg, où le « réseau associatif est très dense » :

« Le nombre de visites (17.000 pages vues depuis janvier) est similaire à Nantes, alors que là-bas, le Soliguide couvre tout le département. Je constate aussi que le taux d’ouverture de la newsletter est élevé (35% au mois de novembre). »

Selon lui, ce succès est dû au fait d’avoir associé les acteurs locaux dès le début et de travailler encore main dans la main. Des réunions ont lieu régulièrement avec les associations, et Aimeric s’y rend souvent pour « rappeler comment fonctionne le Soliguide, prendre des nouvelles, bien comprendre les spécificités du terrain. »

Toutes les informations nécessaires sont recensées pour chaque adresse. En cliquant sur « Plus d’infos », des propositions d’itinéraire en tram et en bus apparaissent. (Capture d’écran du site Soliguide.fr)

Un guide pour… aider à guider

Pour le moment, le Soliguide bénéficie aux personnes précaires à travers ces structures qui les accompagnent. Emmanuel Suzan, bénévole et coordinateur à Strasbourg Action Solidarité (une association d’aide alimentaire, matérielle et administrative), l’utilise quotidiennement pour « aider les gens « paumés » à trouver ce qu’il leur faut sur le moment » :

« C’est un outil fantastique. Nous, on est fan. On a mis des affiches dans le local, et quand on explique aux gens le concept, c’est bon. Ils ont tous un smartphone de toute façon. »

C’était le constat de Solinum qui s’était basé sur une étude montrant que plus de 70% des personnes sans domicile avaient un téléphone connecté à Internet.

Emmanuel trouve aussi que l’étendue nationale du site est très utile car « les personnes sans domicile sont des globe-trotters » :

« Nous avons croisé un couple tchèque à qui nous avons expliqué le fonctionnement. On leur a dit qu’ils pourraient ensuite l’utiliser dans d’autres villes comme Lyon ou Bordeaux. C’est top. »

« Des réponses toutes prêtes pour les bénéficiaires »

De l’autre côté de la ville, quartier Montagne verte, l’accueil de jour du Home protestant « Femmes de parole » a aussi mis des affichettes du Soliguide et une version imprimée de la carte du site dès la porte d’entrée. « Ça permet aux bénéficiaires d’avoir déjà quelques infos, même si on est fermé », indique Marie-Alice Bougon, coordinatrice du lieu qui accueille exclusivement des femmes (qui ont besoin d’un endroit chaud, d’une douche, de discuter ou d’être orientées). Elle salue la réactivité de la plateforme :

« Les femmes qui viennent ici ont des demandes précises et ont besoin de réponses immédiates. Avant on prenait Google Maps, on zoomait, on l’imprimait, c’était un peu la galère. Là, la cartographie est vraiment super, et la proposition d’itinéraire en transport en commun est un gain de temps énorme pour nous. On a des réponses toutes prêtes pour les bénéficiaires. »

Elle trouve la plateforme assez intuitive et en parle aux personnes accueillies, notamment quand elles viennent utiliser l’ordinateur. Marie-Alice Bougon va d’ailleurs mettre une petite affiche « tutoriel » à côté du poste. Au niveau national, Soliguide estime que les bénéficiaires constituent la moitié des utilisateurs, mais Aimeric Prod’homme ne peut pas confirmer ces données sur Strasbourg.

Odile découvre le Soliguide, mais sait qu’elle pourra maintenant y accéder sur son smartphone ou l’ordinateur de Femmes de parole (Photo DL/Rue 89 Strasbourg)

« Je ne connaissais pas, mais ça pourrait m’aider »

Au local de Femmes de parole, les femmes présentes ouvrent de grands yeux ronds à l’évocation du Soliguide… avant de se montrer très intéressées. Odile, jeune femme discrète, se met à explorer le site sur son smartphone. Elle avait entendu parler de Femmes de parole par l’intermédiaire d’autres professionnels, et s’y rend pour profiter de « l’ambiance conviviale ». Si elle avait connu le Soliguide, elle aurait trouvé l’accueil de jour en filtrant les recherches avec le critère « Femmes seulement ». D’autres filtres permettent de trouver des lieux où les animaux sont acceptés, les lieux gratuits, sans rendez-vous… Odile pense que l’outil « pourrait [l]’aider pour l’accompagnement social, pour trouver plus facilement les bonnes personnes. »

Non loin, Mélanie, jeune mère de famille, raconte qu’elle a besoin de trouver des ressources rapidement dans la vie de tous les jours :

« Je n’ai pas toujours mes enfants chez moi et donc quand ce n’est pas le cas, je ne touche pas les allocations. Là, c’est ric-rac. J’ai parfois besoin de savoir où je peux trouver de l’aide alimentaire, une douche ou des soins. »

Au local de Strasbourg Action Solidarité, à la cité Spach, les gens de passage découvrent aussi le site. En buvant son café non loin de son lévrier allongé sous des couvertures, Henri estime que Soliguide l’aurait aidé quand une connaissance demandait de l’aide pour manger. « J’aurais pu le renvoyer vers toutes ces structures », dit-il en déroulant la liste sur son smartphone. « Du coup, ce jour-là, c’est moi qui l’ai dépanné avec des petites courses », ajoute-t-il.

Jérôme, qui vient de passer la porte du local, le teint fatigué, souriant sous son masque, trouve aussi que c’est une bonne idée mais que, malheureusement, « il faut avoir un smartphone ! ». Ce qui n’est pas son cas.

« Il faudrait avoir une large diffusion papier »

L’occasion pour Emmanuel Suzan de souligner ce qu’il manque au Soliguide pour bien atteindre sa cible, à commencer par le format :

« Il faut une large diffusion papier, et que ce soit affiché dans tous les lieux d’accueil, peut-être un résumé sur une seule page. Nous, ce serait bien qu’on ait 350 fichiers à distribuer (à l’image du Guide de la débrouille à Mulhouse, dont nous parlions en 2016, ndlr). »

Selon lui, le format papier faciliterait le bouche-à-oreille car les bénévoles n’ont pas vraiment le temps de former à l’utilisation d’un site pendant leurs maraudes. Surtout, si le guide est bien disponible en anglais, arabe et espagnol, « il faut absolument le mettre en d’autres langues, comme le russe et le roumain », affirme-t-il.

des cartes du soliguide
Les associations affichent des éléments du Soliguide pour sensibiliser les personnes qu’elles accueillent (Photo DL/Rue 89 Strasbourg)

Marie-Alice Bougon confirme que Strasbourg accueille de nombreuses personnes d’Europe de l’Est, des femmes qui ne parlent que russe par exemple, ou des gens qui se débrouillent en allemand.

Des améliorations à venir pour toucher plus de monde

Toutes ces réflexions sont dans les tuyaux, explique Aimeric Prod’homme. Cet été, il a distribué lui-même de nombreuses cartes imprimées aux bénéficiaires et aux associations, notamment en version russe et roumaine. Il précise que le tchat disponible sur le site permet de dialoguer dans toutes les langues :

« Les gens peuvent s’adresser à moi, qui suis « à l’autre bout du tchat » en russe par exemple. Et comme le tchat passe par Google Traduction, nous pouvons échanger sans problème. »

« Le bouche-à-oreille prend du temps »

Et si le Soliguide n’est pas encore connu de tous ceux qui en auraient directement l’utilité, Aimeric Prod’homme le prend avec philosophie :

« Le bouche-à-oreille prend toujours du temps, et l’outil est là depuis moins d’un an. C’est normal qu’il soit davantage approprié par les professionnels au début. Il m’arrive tout de même souvent de me rendre dans des structures et de voir que les gens le connaissent déjà. »

Aussi, il assurait avant le confinement des permanences hebdomadaires au Centre Communal d’Action Sociale pour présenter le guide aux bénéficiaires qui venaient y chercher leur courrier. Elles reprendront en 2021. Cette année, son équipe (deux services civiques et lui-même) a aussi fait une quarantaine d’actions de diffusion où elle a pu sensibiliser 150 personnes.

Il répète que l’interface est en constante amélioration et qu’il se réjouit des retours de ceux qui l’utilisent. Les structures avaient suggéré d’avoir leur propre compte sur le site et de mettre à jour elles-mêmes les informations, ce qui sera bientôt chose faite et permettra une actualisation encore plus rapide. Jusqu’à maintenant, Aimeric contactait tous les acteurs par lui-même, au jour le jour.

En 2021, Solinum espère pouvoir développer un autre outil de solidarité sur Strasbourg : Merci pour l’invit’, déjà présent en région parisienne et à Bordeaux, qui met en relation des particuliers et des femmes sans domicile et/ou victime de violences qui ont besoin d’un toit.


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