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L’identité française est secouée par les Gens du pays, au TAPS

Un jeune homme au poste de police, incapable de prouver son identité. Le même jeune homme dans sa salle de classe, mutique lorsque le professeur lui demande d’où il vient. Entre ces espaces, Martin Martin cherche à recomposer son identité fragmentée. La compagnie Les Méridiens présente Gens du Pays du 22 au 26 février au Théâtre Actuel et Public de Strasbourg.

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L’identité française est secouée par les Gens du pays, au TAPS

C’est la nuit. Dans un poste de police, un jeune homme attend, assis. Casque sur le cou, sweatshirt surmonté de grandes boucles noires, il peine à répondre aux questions que l’officier de police judiciaire (OPJ) lui adresse. Il s’appelle Martin Martin, et il est français. Encore faudrait-il le prouver. Pas de papier sur lui, il est incapable de justifier son identité. Lorie Lory, fonctionnaire de police, doute de ce que raconte le jeune homme. Sans les papiers, c’est l’histoire qu’elle lit sur son physique qui prévaudra.

La nuit et la ville, deux manières de s’identifier

Si Martin s’est fait arrêter, c’est pour s’être aventuré au-delà des limites de la ville. Dans l’obscurité tournent les loups, masse informe et insaisissable qui ne rentre dans aucun registre, sous aucun recensement. Le cadre de la fable pose la ville comme le lieu de l‘ordre, du commerce légal et de la lumière électrique. Tout y est règlementé, ordonné, comptabilisé. La policière qui retient Martin n’est pas un individu aux intentions et à la violence propres. C’est le prolongement humain d’un système implacable, conçu pour tourner avec une mécanique parfaite, quitte à broyer les grains de sables qui s’y glisseraient.

La confrontation du jeune homme à l’autorité ne se fait pas dans le calme. Photo : de Still

La pièce va et vient entre ce poste et la journée passée au collège. Dans l’établissement scolaire, le professeur Kevin Kevin s’est lancé dans un grand projet pour sa classe, pour célébrer les diversités. Il veut faire parler les élèves sur leur identité, leurs origines, leur famille. Tout en appuyant son ascendance française « depuis des générations » il se réjouit de la « multitude de couleurs » de sa classe, avec un enthousiasme qui frise la fétichisation orientalise. Martin se dit lui-même qu’il n’est pas un vrai français, qu’il n’en a que l’apparence. Privé de la certitude béate et monolithique des mots « souche » et « nation », il se sent apatride permanent. L’identité est fugace. Les documents officiels en sont l’incarnation la plus tangible. Ce qu’est un individu, son visage, sa peau, son histoire, tout cela pèse peu sous le regard inquisiteur et méfiant de l’autre.

Le professeur passe pour sympathique avant que la violence naïve de ses mots ne commence à frapper. Photo : de Still

La matière puisée dans la parole de la jeunesse

Le spectacle trouve son origine avec un parcours pédagogique datant de quelques années, dans des lycées d’enseignement général et professionnel : Utopies 1.2. En mélangeant des classes et en discutant avec des élèves d’origines et d’établissements variés, le metteur en scène Laurent Crovella voulait collecter leurs réflexions. C’était un projet d’échange. Un espace d’expression où les participants parlaient de leurs aspirations, et de leur façon d’appréhender le futur.

L’équipe artistique a découvert dans ce processus des notions récurrentes. Les jeunes interrogés parlaient souvent de la famille comme d’un socle concret dans le tourbillon d’angoisse du monde. Les jeunes issus de l’immigration, de deuxième et troisième génération, ont évoqué le racisme insidieux auquel il fallait être habitué. Il ont détaillé la sensation perturbante de sentir sur eux des regards qui les classent comme étrangers, au point de les faire douter de leur identité.

Pour ne pas répondre aux questions, Martin Martin va jusqu’à se désigner comme « d’origine loup ». Photo : de Still

L’identité troublée par la pression

Le spectacle vient ensuite de la rencontre avec le texte de Marc-Antoine Cyr, Gens du pays. Cet auteur d’origine québécoise possède la double nationalité, canadienne et française à la fois. L’auteur raconte l’obtention de la nationalité française, et comment l’administration lui a fait sentir qu’être français se mérite. Mais l’écrivain le dit : il parle français, il est blanc. Il se coule aisément dans le moule des attentes préfectorales, à l’inverse d’une femme africaine qui, passant la procédure à ses côtés, n’est pas reçue. Il écrit Gens du pays pour parler de cet écart.

Dans les deux espaces principaux de la pièce, Martin est dans une position similaire. Au poste de police et dans la salle de classe, il est confronté aux questions de l’adulte (policière ou professeur) qui lui intime de se définir. L’identité est troublée, secouée par la pression. Au-delà des lampadaires, le monde des loups semble presque plus attirant, tout libéré qu’il est de ces injonctions identitaires. Martin s’accroche à son nom, à tout ce qu’il sait : il vient d’ici, il est français. Mais cela ne suffit jamais. Alors il se terre dans un mutisme qui devient sa dernière résistance.


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