
Les salariés de Fast Despatch Logistics n’ont plus été payés depuis le 1er juillet par leur employeur, dont l’activité de livraison pour Amazon s’est brutalement arrêtée le 9 août. Ni payés, ni autorisés à travailler ailleurs ou à s’inscrire chez Pôle Emploi, les livreurs ont décidé jeudi de ralentir l’activité du géant américain de la distribution pour se faire entendre.
Certains colis Amazon devraient avoir un peu de retard à Strasbourg les prochains jours. Les camionnettes d’une demi-douzaine de sous-traitants de l’entrepôt rue Livio à la Meinau n’ont pu passer les grilles jeudi 18 août lors de leur arrivée prévue à 10h20 comme chaque matin. En cause, l’arrêt soudain du contrat de l’une de ces sociétés, Fast Despatch Logistics (FDL) en France.
À Strasbourg, une partie des 75 livreurs de FDL, tous des hommes et souvent d’origine étrangère, ont provoqué un « ralentissement » de l’activité du dépôt Amazon. Des actions de ce type s’organisent partout en France où des personnels de FDL travaillaient, soient environ 700 salariés qui ne sont plus payés depuis le 1er juillet et en grandes difficultés.

Une annonce subite, sans versement de salaires
Ismaïl Duran, livreur strasbourgeois et représentant du personnel au siège parisien de l’entreprise, revient sur l’annonce :
« Le 30 juin, il a été évoqué le recours au chômage partiel à Nantes, puis finalement à toute la France, mais pas de fermeture. Le mardi 9 août, nous avons été prévenus le jour-même d’une cessation d’activité, mais sans qu’une procédure de redressement soit enclenchée. Dans d’autres dépôts, certains salariés ont même travaillé ce jour-là car ils n’ont pas eu l’information. On a bien reçu nos fiches de paie, mais pas les virements des salaires de juillet ni pour les jours travaillés en août. L’entreprise invoque une baisse d’activité, mais on ne la constate pas ! On veut qu’Amazon hausse le ton avec FDL pour que la situation se règle. Certains salariés souhaiteraient travailler pour d’autres sous-traitants, d’autres passer à autre chose… »
Jusqu’à 200 colis par jour
Livreur à Strasbourg depuis trois ans, Hedayatullah a vu la situation empirer en 2022 :
« Tout s’est dégradé cette année, avec des heures supplémentaires pas payées, l’absence de certificat de travail, des plannings établis du jour au lendemain, du mauvais matériel et des salaires payés de plus en plus tard dans le mois. Depuis la fin d’activité, le manager n’est plus présent à Strasbourg et tous les jours on nous dit, “demain ça vient”. On est bloqués, j’ai demandé et on n’a même pas le droit de s’inscrire à Pole Emploi. »

Le salarié a livré jusqu’à « 200 colis par jour », parfois dans des zones où il est difficile d’accéder comme le centre-ville, les livreurs doivent parfois se rendre jusqu’à Wissembourg tout au nord de l’Alsace, ou réaliser des tournées de nuit. Un autre salarié montre des documents : alors qu’il a demandé des jours de congés du 7 au 10 juillet, sa fiche de paie lui décompte ses congés à partir du 1er juillet, soit quatre jours décomptés alors qu’il a travaillé.
Amazon rompt le contrat
Le 9 juin, les salariés de Fast Despatch avaient organisé une journée de grève (lire notre article) et obtenu le paiement de leur salaire le jour-même. Ils pensaient que la situation allaient revenir à la normale. Mais au siège à Villepinte, un ancien collaborateur aux ressources humaines, raconte que FDL était devenue une société fantôme : « Le responsable pour la France est une personne anglophone et d’origine bulgare qui ne vient que de temps en temps ».
Parti fin juillet, il confirme les difficultés croissantes, l’absence de paiements et finalement de tout contact : « Entre le salaire de juillet, les jours de congés, des panier-repas et primes, ils me doivent plus de 3 000€ pour mon solde de tout compte ! »
Fast Despatch Logistics est un groupe britannique de livraison actif dans de nombreux pays comme l’Inde, l’Allemagne ou la Bulgarie. « Nous n’appelons pas ça du travail, nous appelons ça notre dose quotidienne de plaisir » vante la page Facebook de la compagnie.

Contactée, Amazon, qui n’emploie pas de livreurs mais fait uniquement appels à des sous-traitants, confirme dans un message écrit avoir mis fin au contrat de FDL :
« Nous sommes intransigeants sur le fait que les sociétés de livraison se doivent de respecter les lois en vigueur, ainsi que le code de conduite des fournisseurs Amazon ».
Une enquête avait été diligentée après les premières alertes, les réponses de FDL n’ont pas convaincu. La firme de Jeff Bezos était le seul client de Fast Despatch en France, ce qui explique la fin d’activité. Amazon ne compte pas intervenir dans le paiement des salaires et rappelle que la responsabilité revient au transporteur. Seul engagement d’Amazon : « Nous ferons tout notre possible pour que leurs livreurs obtiennent les informations sur les postes disponibles chez d’autres partenaires de livraison. »
« Amazon est complice »
Rue Livio à la Meinau, la situation monte les livreurs des différentes sociétés les uns contre les autres. « On n’a rien à voir là-dedans », lance un livreur d’un transporteur concurrent aux salariés de FDL. « Je veux bosser. Tu nous niques ! », s’emporte un autre, qui propose d’en découdre devant les grilles. Le ton redescend lorsque les chauffeurs comprennent qu’ils seront payés, même s’ils sont empêchés de livrer. Des salariés d’Amazon se montrent plus compréhensifs, voire encouragent les salariés de FDL dans leur combat. La scène se passe sous le regard de deux policiers en civil.

Livreur à Strasbourg pour FDL, Mohammed comprend la colère des autres livreurs, mais relativise :
« Un jour, ils vont être comme nous. J’ai travaillé cinq ans ici, pour trois sous-traitants… C’est toujours la même chose : retards de paiement, maltraitance, pression, vol d’heures supplémentaires qui ne sont pas décomptées… Nous, on n’a même plus de responsable à qui s’adresser. On a été virés par un simple SMS. Amazon est complice de cette situation. »

Retour des fourgonnettes au ralenti
Sur les consignes d’une manageuse stressée, les livreurs repartent dans l’espoir de revenir plus tard. À midi, les fourgonnettes ont finalement pu rentrer dans l’entrepôt. Leur sortie devait à nouveau être retardée plus tard dans la journée. L’objectif des salariés de FDL est que les colis soient livrés moins vite, afin qu’Amazon soit vraiment impacté et s’implique.
Pour se défendre, les représentants du personnel au comité social et économique (CSE) de FDL ont pris attache avec un avocat, le strasbourgeois Luc Dörr. Ce dernier a saisi le parquet de Bobigny :
« Nous sommes dans une période de non-droit. La priorité, c’est que le parquet demande au tribunal d’engager une procédure collective, car pour le moment les salariés n’ont pas le droit de travailler pour des concurrents. Tout est fait pour les pousser à la démission. Or s’ils démissionnent, ils perdent tous leurs droits. »

Fast Despatch ne répond plus
Fast Despatch Delivery a organisé son injoignabilité. Le numéro de téléphone associé à la filiale française ne répond pas. L’adresse mail de contact a été désactivée. Même les autorités ont des difficultés à joindre un représentant. Quant au siège britannique, il prétend ne pas être capable de nous mettre en relation avec un responsable français.

Ces « ralentissements » ont vocation à se répéter tant que les salariés de FDL ne sont pas payés, ni officiellement licenciés. Une attitude qui entame néanmoins la patience de l’un des livreurs présent lors de l’action :
« Nous on reste dans le droit bien comme il faut, mais eux ils nous paient pas et ils n’ont pas de problèmes ».
C'est les dirigeants de FDL qu'il faut retrouver et mettre devant leurs responsabilités !
Alors je vais citer une phrase célèbre, difficilement applicable aujourd'hui, mais avec les réseaux mondialisés, elle pourrait se concrétiser, qui sait? : "travailleurs de tous les pays unissez-vous".
Et voilà, que gagne-t-on à cette immédiateté et demain à cette instantanéité!
Une génération d'esclaves-livreurs qui sert une génération d'esclaves-consommateurs.
Ca me fait penser au livre de GAUZ : " Debout, payé"
"Debout-Payé est le roman familial d'Ossiri, étudiant ivoirien sans papier atterri en France dans les années 1990 pour démarrer une carrière de vigile. C'est
l'histoire d'un immigré, de l'enfer qu'il vit pour se loger et pour travailler, et du regard qu'il pose sur notre pays. C'est aussi un chant en l'honneur d'une famille où, de père en fils, on devient vigile à Paris, et plus globalement en l'honneur de la communauté africaine, avec ses travers et sa générosité.
Gauz distingue trois époques mythiques du métier de vigile, et aussi des relations entre la France et l'Afrique : l'âge de bronze dans les années 1960 (la Françafrique triomphante), l'âge d'or dans les années 1990, et l'âge de plomb, après les événements du 11-Septembre"*
https://www.babelio.com/livres/Gauz-Debout-paye/788158
Et le locataire de l'Élysée ajouterait : " Moi, je vous en trouve du travail ! Il suffit de traverser la rue !! "
Nous sommes, là, devant l'exemple parfait d'un capitalisme triomphant, renforcé par l'absence totale de syndicats dans l'entreprise (le rêve de tout patron) et un collaborationnisme politique bienveillant couvrant un éventail très large à l'Assemblée nationale et, pire encore, à l'Assemblée européenne.
Amazon (et d'autres géants du commerce en ligne) nous font miroiter un bonheur artificiel que seule la (sur)consommation et la livraison en temps réel permettraient d'assouvir. Vive le retour en enfance, lorsque la non satisfaction immédiate d'un besoin souvent éphémère génère frustration et colère insurmontable...
Personnellement j'évite au maximum les achats en ligne, je privilégie les magasins physiques. Quand le produit n'est pas disponible dans le magasin, je lui demande de passer la commande, elle sera prise en compte dans son chiffre d'affaires et sa rentabilité, si c'est moi qui passe la commande en ligne, même avec une livraison dans le magasin, celui-ci ne touchera rien. Pour avoir discuté avec certains employés ou responsables, ces éléments sont scrutés par les sièges sociaux des enseignes nationales, et la pérennité de leurs boutiques est en jeu...