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Trois maisons de santé de quartier constatent l’importance de l’environnement pour les habitants

En 2019, les maisons de santé de Hautepierre, du Neuhof et de la Cité de l’Ill ont interrogé les habitants de ces quartiers sur ce qui les rend malades et ce qui les aide à aller mieux. Les témoignages recueillis révèlent un rapport ambigu au cadre de vie et une conception de la santé plus large que la simple absence de maladie.

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Trois maisons de santé de quartier constatent l’importance de l’environnement pour les habitants

« Ce qui me rend malade, c’est quand ma mère est malade et que je ne sais pas quoi faire », Ilham, 10 ans. « J’espère la bonne santé de ma famille pour tenir le coup », Adam. « Je suis stressé angoissé par rapport à ce qui s’est passé dans mon pays. Les mauvais souvenirs du pays reviennent. Le stress des papiers de demande d’asile, l’attente. » « Les conditions de travail de mon emploi me rendent malade », Natacha. « Personnellement, je fume pour rester en forme, no stress avec une cigarette. Je mange des bonbons, du chocolat, je bois du café avec du sucre, du vélo, de la marche, j’écris beaucoup sur la vie du quotidien », Nadia, 44 ans.

Beaucoup de verbatims, quelques noms et des textes d’intention qui expliquent le projet. La santé, ça vous parle ? est un ouvrage publié en octobre 2022 par les maisons de santé de Strasbourg au terme de trois années de travail. En 2019, ces structures ont envoyé des habitants relais et des médiateurs poser deux questions aux résidents des quartiers de Hautepierre, Neuhof et de la Cité de l’Ill : qu’est ce qui vous rend malade et qu’est-ce qui vous aide à aller mieux ? Leurs réponses dessinent une définition très large de la santé et un rapport particulier aux quartiers. Entretien avec Anaïs Cayla, coordinatrice de la maison de santé de Hautepierre, structure porteuse du projet.

Rue89 Strasbourg : Il existe un certain nombre d’outils statistiques qui permettent de dresser un état des lieux de la santé des habitants dans les quartiers prioritaires. Pourquoi avoir choisi de recueillir la parole des résidents sur ce sujet ?

Anaïs Cayla : Des outils existent en effet. Mais je pense que nous avions besoin de les confronter à certaines choses que nous avions pu entendre dans les cabinets de consultation. Des éléments difficilement quantifiables qui ne rentrent pas dans les diagnostics de territoires réalisés par la Ville ou par l’Observatoire régional de santé. Notamment tout ce qui relève de l’environnement de vie, du lien social et familial, des parcours migratoires… Des choses qui participent d’un état général de bien-être ou de mal être, mais que l’on n’associe peut être pas forcément tout de suite à la santé, souvent renvoyée à la présence ou à l’absence de maladie.

Qu’est-ce qu’être en bonne santé ?

Tous ces éléments peuvent sembler être des à-côtés mais ils sont essentiels pour nos patients. En tant que professionnels, nous avons notre propre regard sur ce qu’est la santé. Une approche qui correspond à la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social. Nous nous sommes demandé si nos patients la percevaient aussi de cette manière. Qu’est ce que cela signifie pour eux concrètement ?

Anaïs Cayla, coordinatrice de la maison de santé de Hautepierre. Photo : AM / Rue89 Strasbourg / cc

Vous avez choisi de recueillir la parole des résidents grâce à des binômes composés d’habitants relais et de médiateurs travaillant au sein des maison de santé. Comment avez vous élaboré cette méthodologie ?

Nous nous sommes dit qu’il était important de ne pas se contenter des médiateurs pour aller vers les habitants. Ça nous paraissait faire sens d’être accompagnés d’usagers qui avaient développé des liens de confiance avec nous à mesure des années. Des patients qui pourraient être des facilitateurs, des passeurs, des traducteurs… qui permettent aussi de désintimider les gens à qui nous voulions parler. Nous avons également choisi de sortir de la maison de santé pour aller à la rencontre des habitants, notamment avec du porte-à-porte.

Avez-vous formé les habitants relais à cet exercice ?

Oui. Nous nous sommes tournés vers l’association Migration santé Alsace (travaillant sur les discriminations dans l’accès à la santé, NDLR) pour les former à recueillir la parole des résidents. C’était une demande des habitants relais également : certains nous ont dit qu’ils avaient envie de se prêter au jeu, mais qu’en même temps cela les effrayait un peu. On sait qu’il n’est pas anodin de recueillir la parole, que cela peut être difficile à gérer d’entendre des récits de parcours migratoires, d’isolement, de situations de violence…

Habitants – OMS : même combat

L’idée, c’était de leur donner des clés pour savoir comment rester à la juste place, avoir le recul nécessaire pour accepter que, des fois, l’on ne puisse pas répondre à la détresse d’une personne. Il s’agissait également de leur donner des outils pour relancer un échange, parce que l’on sait que l’on va parfois devoir relancer une personne pour qu’elle parvienne finalement à dire ce qu’elle aimerait raconter mais n’ose pas formuler.

Qu’est-ce qui est ressorti de tout ce travail de recueil de la parole ?

La première chose qui est apparue, c’est que même si les habitants ne le savent pas forcément, ils ont la même définition de la santé que l’OMS. Quand ils parlent de ce qui les rend malade, ce qui revient, c’est l’importance de leur cadre de vie, de la relation à l’autre, du lien familial, de la présence d’espaces verts dans leur environnement, d’espaces de socialisation… Cette question des espaces est d’ailleurs ce qui, moi, m’a le plus marquée. On réfléchit beaucoup avec nos partenaires à ce que l’on pourrait proposer comme activités qui accompagnent nos projets. Mais je me souviens d’une personne qui m’a dit : « On manque de lieux pour se rencontrer, il y a trop d’activités. » Cette personne, elle avait juste besoin d’un banc sur lequel s’asseoir pour discuter avec des gens. Pas qu’on lui propose quinze activités tous les jours.

Ce que je trouve intéressant dans ces réponses qui font une large place à l’environnement, c’est que cela pose des défis à des acteurs qui ne sont pas forcément des acteurs de santé. Hautepierre entre dans la phase II de la rénovation urbaine mais ça veut dire quoi rénover un quartier ? Qu’est ce que cela signifie en termes d’espaces pensés pour le collectif ? De parcs ? D’espaces partagés ? De bancs tout simplement. L’urbanisme n’est pas qu’une question de transports et d’accessibilité. Cela interroge finalement l’organisation sociale : qu’est ce que l’on a comme endroit pour sortir de chez soi et créer du lien ?

« Un verre et une cigarette, et ça va bien »

Des questions de santé disons plus classiques ne sont pas apparues dans les réponses ?

Si. On se rend bien compte que les gens entendent les messages de santé publique. Certains enfants interrogés ont d’ailleurs eu un côté bon élève : quand ils ont appris qu’on était la maison de santé ils nous ont parlé des cinq fruits et légumes par jour. Mais une fois que l’on dépasse cela, les discours sont un peu différents. Je me souviens d’une patiente qui m’avait dit: « Oh la la il ne faut pas que je le dise mais moi pour aller bien, mon petit plaisir c’est une cigarette et un verre d’alcool. » Il n’y a pas de souci, on est aussi là pour parler de ces choses et moi aussi ça m’arrive de m’ouvrir une bière en rentrant quand j’ai eu une dure journée. Très spontanément, les gens nous ont répondu sur des choses qui ne concernaient pas la maladie comme, « ce qui me fait du bien, c’est d’aller dans mon jardin », « c’est de rencontrer mes voisins », « c’est d’écrire à ma famille » ou même de se téléphoner pour des personnes qui ont parfois un océan entre elles.

Est-ce l’environnement qui rend malade ou qui aide à aller mieux ?

C’est les deux. Ce qui rend malade, c’est le mal logement, l’indifférence, le racisme, les discriminations subies… et ce qui fait aller mieux c’est la possibilité d’avoir un quartier où l’on se sent bien avec des espaces verts, un jardin, des endroits ou l’on peut se croiser. L’importance du quartier est revenue dans les témoignages récoltés par chaque maison de santé. On a souvent cette image stigmatisée d’un endroit où l’on vivrait mal et dont tout le monde voudrait partir. Mais les gens n’ont pas envie de les quitter, ils s’y sentent bien. Ils souhaitent au contraire les investir davantage, développer ce qui y existe déjà. On peut parler d’amour pour ces lieux de vie, le terme n’est pas trop fort. Alors oui, il y a plein de problèmes par ailleurs, du mal-être par rapport à l’insalubrité de certains logements, le fait qu’ils soient trop petits… mais ce sont aussi des endroits repères, des lieux qui permettent la socialisation, la création de lien… C’est une espèce d’équilibre fragile.

La cité de l’Ill. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Vous avez choisi de faire un livre avec tous ces témoignages, pourquoi ?

L’avantage du livre, c’est que ça passe de main en mains. Ça s’emprunte, ça se dépose dans une cabane à livres, sur un banc… Ça se corne, ça se plie, ça se souligne. Nous voulions un objet vivant qui s’adresse au plus grand nombre. Quelque chose qui parle aux habitants, un endroit où leur parole serait valorisée. Un outil qui puisse servir aux jeunes professionnels qui viennent se former chez nous aussi. Parce que c’est difficile de rendre compte dans un cours théorique de ce que peut être l’exercice dans un quartier populaire, de l’effet millefeuille de la santé qui s’intrique avec d’autres champs. Nous espérons qu’il pourra servir à d’autres maisons de santé qui auraient besoin de retour d’expérience. Nous espérons, aussi, que le politique va s’en emparer.

Au départ, votre travail visait à interroger ce qui fait santé pour les habitants des quartiers prioritaires. Mais ce qui fait « maladie » ou « mal-être » dépasse de loin ce que les maisons de santé peuvent soigner…

Ce qui peut-être intéressant devant tous ces éléments, c’est de réfléchir à comment l’ensemble d’un territoire répond à ces questions. Pas juste les maisons de santé mais aussi les confrères en exercice isolé, les associations de quartiers, les partenaires… Je pense que la réponse à apporter est globale. En tant que structures, on ne prétend pas sauver nos patients. On fait ce qu’on peut avec les outils que l’on a : à Hautepierre, une médiatrice, deux psychologues, un psychiatre, une travailleuse sociale et un accès aux interprètes. On sait déjà que l’on ne peut pas répondre à tout. Et c’est peut-être ce que l’on dit à travers ce travail collectif, de trois maisons de santé ensemble. À plus forte voix.


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