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Réforme des retraites : à Haguenau, le soulèvement inédit des ouvriers usés

Des Alsaciens du nord ont manifesté contre la réforme des retraites à Haguenau samedi 11 mars. Dans le cortège, de nombreux ouvriers des usines du secteur, souvent très affectés physiquement par leur travail. Reportage.

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Réforme des retraites : à Haguenau, le soulèvement inédit des ouvriers usés

Place de la gare à Haguenau, un peu moins d’un millier de personnes se rejoignent sous le soleil samedi 11 mars. « Le 21 février, on était 2 000. C’était la plus grande manifestation de l’histoire de la ville. Aujourd’hui on s’en rapproche », analyse Emmanuel Printz, président de l’union départementale de la CFTC et ouvrier chez Siemens, une usine située à quelques centaines de mètres.

L’un des cortèges les plus fournis de l’histoire d’Haguenau pour une mobilisation sociale a défilé samedi 11 mars. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Anne est venue de Laubach avec une amie : « C’est bien qu’il y ait une manifestation ici. C’est à côté de chez moi donc ça me permet d’éviter de payer trop cher le carburant pour une grande expédition jusqu’à Strasbourg. » C’est la première fois de sa vie qu’elle se mobilise, en se joignant à la lutte contre la réforme des retraites. Agent de voyage dans une petite entreprise, elle explique qu’une participation à la grève serait très mal vue par son employeur :

« Personne ne fait grève chez nous. Je serais trop isolée, donc c’est bien qu’il y ait des rassemblements le week-end, parce que je veux vraiment venir ! En tant que femme, je trouve le gouvernement injuste. J’étais une bonne partie de ma carrière à 80% pour m’occuper de mes enfants. Je ne sais pas si je pourrai arriver jusqu’à 64 ans, donc je risque de me retrouver avec une toute petite retraite. À l’agence, le téléphone sonne en permanence. On a une grande charge de travail. C’est très stressant, je suis déjà fatiguée à 49 ans. »

Anne, habitante de Laubach, tenait à manifester contre la réforme des retraites, « en tant que femme ». Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Les épaules cassées

L’ambiance est plutôt calme. Des klaxons et des sifflets couvrent par moment le bruit des conversations. La foule s’élance boulevard du Maréchal de Lattre de Tassigny. Une vingtaine de personnes scandent des slogans en tête de cortège : « Macron, si tu savais, ta réforme où on se la met. »

L’avant du cortège a repris de nombreux slogans, dans les rues calmes de Haguenau. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Ici, de nombreux Alsaciens ont trouvé leur emploi dans l’industrie. Plusieurs grandes usines sont implantées autour de Haguenau. Omer et Sukh travaillent à Bischwiller pour Duravit, une entreprise de fabrication de sanitaires. « Je dois soulever des cuvettes en PVC de 25 à 35 kg. J’ai 54 ans et j’ai les épaules cassées à cause d’une rupture des tendons des deux côtés. Ce genre de boulot, c’est impossible de le faire à 64 ans », considère Omer. De son côté, Sukh, 58 ans, a des douleurs au dos, aux coudes, aux pouces et aux épaules. « C’est pas possible ce passage en force du gouvernement. Personne n’est pour cette réforme », souffle t-il.

Christine est actuellement au chômage. Après des emplois en production chez Mars et à l’usine de fabrication de composants automobiles Schaeffler, elle a été licenciée pour inaptitude. L’ancienne ouvrière est atteinte de troubles musculo-squelettiques et ne s’est pas vue proposer des postes adaptés. « J’ai 50 ans, quatre enfants, une carrière hachée… Je vais toucher une toute petite retraite. C’est vraiment difficile », confie t-elle.

Les habitants d’Haguenau sont peu habitués à voir passer des manifestations mais ils semblaient plutôt soutenir les opposants à la réforme des retraites. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Pour la coupe du monde, tout le monde sort »

Vers 15h30, la manifestation atteint le centre-ville d’Haguenau. Les badauds, peu habitués à voir passer des cortèges syndicaux, regardent interloqués. « Ne nous regardez pas, rejoignez nous ! », s’exclament certains militants. « Les mobilisations dans les villes étudiantes, c’est bien. Mais il faut aussi venir dans des zones où ce genre de manifestation ne se passent jamais », estime Gautier, employé chez Lemaitre, une société qui produit des chaussures de sécurité à Val-de-Moder. Pour Huseyin, adhérent à la CGT et ouvrier chez Schaeffler, « c’est bien que les gens des petites villes ne voient pas les manifs juste à la télé ». Il regrette qu’il n’y ait pas plus de participants :

« Pour la coupe du monde de foot, ils sont tous dehors. Là, il y a plein de gens qui ne prennent même pas deux ou trois heures pour manifester pour leurs droits et après ils vont se plaindre. »

Husseyin (à gauche) et Morgan (à droite), sont ouvriers à l’usine Schaeffler. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Faire pression sur le député de la circonscription

Morgan est délégué syndical CGT à l’usine Schaeffler. Pour lui, la mobilisation « doit s’éparpiller pour entrainer un maximum de personnes dans la lutte et faire davantage pression sur les parlementaires ». Martial est délégué syndical CFTC France au sein de l’entreprise de fabrication de moteur Sew Usocom à Haguenau. Il s’inquiète du « manque de démocratie dans le fonctionnement du gouvernement ». Pour lui, « ce n’est pas possible d’ignorer la contestation d’autant de gens qui sont dans la rue ». Régis, aussi de la CFTC et électeur d’Emmanuel Macron, affirme sa déception :

« Nos députés doivent prendre en compte notre avis, ils sont censés nous représenter. Vincent Thiébaut (député local du parti Horizons – majorité présidentielle, NDLR), il soutient la réforme des retraites lui. Il se fiche de notre avis. Il ne faudra pas s’étonner quand plus personne ne votera. »

Régis est déçu du manque d’écoute du gouvernement envers les syndicats. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Tout est encore possible »

« Thiébaut démissions », crient quelques manifestants. Jean-Michel, de la CGT territoriaux Haguenau, prend la parole au mégaphone :

« Le 19 janvier, le gouvernement disait : “Le mouvement va s’essouffler.” Le 31 janvier, ils disait : “Ils s’essoufflent.” Macron n’a jamais cessé de dire ça. Le 11 mars, nous sommes plus de mille à Haguenau. De plus en plus de députés commencent à douter, certains nous entendent. Vu le comportement du président, une motion de censure est possible. Le gouvernement peut tomber, cela ne serait que justice. »

La banderole de tête était tenue presque exclusivement par des femmes. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Les militants accueillent ce discours optimiste avec entrain. « Macron démission », hurlent-ils, malgré la faible mobilisation du jour dans toute la France. Quatre rassemblements ont eu lieu dans le Bas-Rhin, avec, selon les syndicats, 5 000 personnes à Strasbourg, 700 à Sélestat et 165 à Saverne. L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de grève et de manifestations mercredi 15 mars. « Restons déterminés, tout est encore possible », assure Jean-Michel.

Jean-Michel a tenu un discours optimiste bien reçu par les autres manifestants. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

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