

La foule silencieuse côté place Broglie, tenue à distance de la résidence du préfet (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Environ 200 personnes ont participé à la manifestation organisée jeudi 11 février place Broglie. Ils contestent le désengagement du département du Bas-Rhin de l’aide aux structures d’hébergement d’urgence. Dans les rangs, on s’inquiète pour les emplois, mais surtout pour l’avenir des personnes les plus fragiles. À ce jour, aucune annonce rassurante n’est connue.
L’appel avait été lancé la veille, à la hâte, avec des horaires confus et peu pratiques. Mais environ 200 personnes ont manifesté ce jeudi 11 février place Broglie entre 16h et 18h30. En cause : l’arrêt total de sa part de l’aide des structures d’hébergement d’urgence par le Département du Bas-Rhin (640 000 euros).
Loger des sans-abris est une obligation de l’État, mais jusqu’ici le conseil départemental – comme la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg – assurait un complément du financement d’une dizaine d’associations. Parfois de manière marginale, mais parfois significative (jusqu’à 30%), ce qui fait craindre des licenciements, voire des cessations d’activité, les ressources de ces structures étant principalement dépensées dans les salaires des personnel.
Énervés sur le fond comme la forme
Ce rassemblement se tenait en même temps qu’une rencontre entre le préfet du Bas-Rhin Stéphane Fratacci et le président du Département, Frédéric Bierry (LR), prévue à 17h30. Les deux protagonistes n’ont pas eu l’occasion d’entendre les manifestants, tant ils étaient silencieux – comme s’ils étaient sonnés – que tenus à distance de la résidence du préfet.
Qu’importe, les participants voulaient partager leur colère et leur désaccord avec cette décision votée vendredi 5 février. Sur le fond, mais aussi sur la forme. Les structures concernées n’ont été informées qu’à la toute fin janvier qu’elles n’auraient pas leur dotation pour l’année 2016.
Une manière de procéder qui a énervé Simon, qui avait créé l’événement de la manifestation sur Facebook quand il a appris la veille que des amis préparaient un rassemblement pour le lendemain :
« Ce timing permet à Frédéric Bierry de créer un rapport de force pour négocier avec l’État. Mais ceux qui en paient les conséquences sont les plus fragiles et qui ne sont pour rien dans ce jeu de rôle. C’est dégueulasse. »
« Nous on a un toit sur la tête, mais ceux qu’on accueille ? »
Sur la place, on retrouve des travailleurs sociaux, des associations, des syndicats, des élus strasbourgeois du PS et écologistes, des sans-abris, des personnes logées ou de simples citoyens. On manifeste pour soi comme pour les plus touchés explique une salariée d’Horizon Amitié :
« On est là parce qu’on a peur pour nos emplois, c’est sûr. Mais nous, on retrouvera quelque chose et surtout on a un toit sur la tête. Ceux qu’on accueille, on ne sait pas où ils vont aller. Le 115 est déjà saturé. »
Waila Curry, déléguée syndical de la CGT Mosaïque (c’est-à-dire des structures sociales), tracte dans la foule. Avec Force ouvrière et SUD, le syndicat organise une réunion ouverte à tous pour décider des futures actions à mener le 7 mars à la maison des syndicats :
« Au niveau des employés, on est encore plus dans le flou. On ne sait pas exactement dans quelle mesure on va être impacté. Va-t-il y avoir des licenciements ou des fermetures de service et quand ? »
Avec des pancartes autour du cou, Camille, éducatrice en prévention spécialisée au Neuhof n’a appris la situation que la veille :
« C’est un mail d’une association qui m’a alerté sur cette décision. La demande que je traite le plus souvent dans mon travail c’est un hébergement. Je ne sais pas vers qui je vais renvoyer ces personnes si l’État ne prend pas le relais. C’est déjà la croix et la bannière pour trouver une place, même pour les plus motivés. »
Parmi les associations les plus touchées en proportion, Regain, qui prend en charge des femmes et enfants. La structure de 15 salariés a accueilli une centaine de personnes en 2014 et voit disparaître 132 000 euros, soit 28% de son budget. Du côté du département, on regrette que l’association n’ait pas souhaité fusionner avec une autre structure comme on lui a proposé. Pour sa directrice Carole Ely cela était très brutal et n’aurait de toute façon pas réglé la situation ;
« Nous perdons 132 000 euros et on nous propose de fusionner avec le Home Protestant, une association qui perd aussi 50 000 euros. Ca fait plus de 180 000 euros en moins à nous deux, ce n’est pas en supprimant un des deux postes de directeur qu’on aurait pu trouver cette somme pour continuer. Ce serait bien, mais ce n’est pas le cas. Nous nous attendions à une petite baisse comme l’année dernière de 5%, mais jamais à un arrêt total. »
Frédéric Bierry reçoit les associations
Avant son entrevue avec le préfet, le président du Bas-Rhin a reçu la dizaine d’associations impactée dans l’après-midi. Geneviève Daune Anglard, présidente de Regain n’y pas vu d’annonce rassurante, ni chiffrée :
« Il ne revient pas pour sa position. Il nous a dit que pour certaines associations éligibles, il essaierai de les diriger vers des fonds structurels européens (FSE), avec des réunions régulières et un suivi par association pour les accompagner. J’avais l’impression d’être à Pole Emploi. »

Pour Daniel Baumgartner, Horizon Amitié peut vivre sur ses réserves, mais pas indéfiniment (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Même constat pour Daniel Baumgartner, directeur d’Horizon Amitiés, dans l’espoir de nouvelles rassurantes :
« On ne peut pas dire plus que ce qu’on sait aux employés. On va pouvoir un peu vivre sur nos réserves jusqu’au stade fatidique, mais s’il n’y a pas de compensation, on fermera des services. Le Département demande mutualiser et faire des économies, c’est ce qu’on fait depuis des l’années. À l’accueil de jour, on reçoit 50 personnes, avec quatre salariés, si j’en licencie deux, on ne pourra plus continuer. Ce sont deux mois d’intenses tractations qui s’annoncent. »
L’accueil de Koenigshoffen était par exemple passé de 5 à 4 salariés en 2013 explique Philippe Berrier, chef de ce service qui réparti 35 personnes dans différents appartements.
« Il y avait des marges de manœuvre »
Depuis bientôt deux semaines, Frédéric Bierry a mis en avant les difficultés budgétaires du département au budget total de 1,1 milliard d’euros pour justifier sa décision. Sur la période 2014-2017, 70 millions d’euros lui sont versés en moins et près de 160 millions d’euros de dépenses sociales ne sont plus compensées rien que pour l’année en 2016. Mais pour le conseiller départemental Éric Elkouby (PS), il y avait encore des marges de manœuvre :
« C’est pour faire les gros bras avec l’État. Mais quand on donne 500 000 euros pour le musée Lalique ou 200 000 euros pour une piste de ski, qui ne sont pas des dépenses obligatoires, on peut trouver de l’argent pour les plus faibles. »
Le tram et la circulation bloqués une dizaine de minutes

Thierry Kuhn, président d’Emmaüs plaide pour un état d’urgence social (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Le Strasbourgeois Thierry Kuhn, président d’Emmaüs, pas directement impacté mais venu apporter son soutien aux manifestants, plaide pour un « état d’urgence social » :
« Au-delà du fond qui pose question, on ne peut pas se permettre de rentrer dans le débat si c’est la faute de l’État ou du Département. La France est la sixième puissance mondiale, on ne peut pas laisser des gens dehors. Il faut maintenant une vraie concertation avec tous les acteurs et les collectivités locales. Les solidarités, c’est un cercle logique. Les personnes que nous accueillons en insertion sociale à Emmaüs Mundolsheim sont parfois passées par l’hébergement d’urgence. »
Vers 17h30, les manifestants se sont approchés de la résidence de la préfecture, place du petit Broglie, mais l’accès était bloqué par des barrières et des policiers. Ils sont ensuite allés de l’autre côté de l’Opéra, vers la place de la République, mais cet accès était aussi barré. Encore nombreux, les participants ont bloqué une dizaine de minutes les tramways et la circulation, dans une ambiance apaisée, mais lourde.
Ni la préfecture, ni le département du Bas-Rhin n’ont donné suite à nos demandes pour savoir ce qui s’était dit lors de cette entrevue. Un communiqué de Frédéric Bierry sera publié vendredi.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Le budget du Bas-Rhin va plomber les associations d’aide sociale de Strasbourg
Sur Change.org : la pétition Non à l’arrêt du financement de l’hébérgement d’urgence par le Conseil Départemental 67
Votre idée est très bonne et je pense qu'on devrait y songer très sérieusement. Mais, en amont, c'est toute la gestion de la situation qui est à questionner. Le conseil départemental savait très bien qu'il serait en difficultés financières pour 2016. Pourquoi n'a-t-il pas convoqué une réunion d'état général avec l'Eurométropole (C.U.S), le Préfet et les associations concernées dès la fin de l'année 2015 ? L'enjeu était clairement de tirer la sonnette d'alarme et de GERER la crise pour tenter de trouver une solution concertée avec tous les acteurs concernés en amont. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. Les associations ont été mises devant le fait accompli. Or, personne n'a rien à gagner si des acteurs de terrain très reconnus et, surtout très professionnels, mettent la clé sous la porte. Car, c'est là que nos braves citoyens, la plupart complètement ignorants de ce qui se joue, vont se réveiller car la casse sera ingérable. Or, devant cette situation de crise, on peut vraiment se demander si les acteurs politiques (conseil départemental, eurométropole et état) veulent vraiment la survie des associations de terrain qui font le travail délégué qu'ils ne veulent ou ne peuvent pas faire. L'enjeu est de taille et la mobilisation des citoyens doit l'être également car une société qui traite ainsi les plus faibles des siens est une société qui s'auto-détruit.
La loi votée doit être exécutée, pas débattue à postériori au travers le budget départemental et la mise en péril d'intervenants historiques de l'action sociale locale.
Certes l'hébergement d'urgence est une compétence de l'Etat, particulièrement en France de l'intérieur, car en Alsace et à Strasbourg cette compétence fait partie des actions publiques locales de tout temps !
Constituer un débat politique et financier à son propos est inacceptable. Ce sont des vies qui sont en périls et dans le cas de figure celles de femmes et d'enfants réduits à devoir rejoindre la rue.
Il est moche l'humanisme rhénan contemporain !!
Les personnes qui ont manifesté hier étaient désespérées, en colère. Chaque jour elles côtoient des situations humaines dont les élus municipaux, départementaux interviewés dans cet article et présents hier sont très loin d'imaginer les implications quotidiennes.
D'ailleurs cette présence en "soutien" hier n'était-elle pas dérisoire ?
"L'oubli" de l'histoire des politiques publiques de la Ville et du Département, l'absence de production d'alternative à ce qui pourrait devenir une mise en péril de la vie d'autrui, l'instrumentalisation de telles situations plutôt que de produire un accord partenarial fondé sur la subsidiarité pour ne pas laisser dans la rue les plus faibles de notre société, devient insupportable.
Illustration éclatante de la dérive éthique de nos institutions, de nos représentants élus, ...
Tout cela est très triste ...
Deux choses me dérangent cependant dans votre raisonnement...
1) S'Il ne s'agit certainement pas de discuter une loi, on peut néanmoins s'étonner tout simplement du dilletantisme qui y a mené et qui permet aujourd'hui à l'Etat central de réduire DRAMATIQUEMENT son soutien social et financier, tout en délocalisant le problème à l'échelon départemental. En fait, c'est très habile, mais vomitivement HYPOCRITE. Au-delà d'une question d'identité, dont les départements n'ont historiquement que faire, voilà où est l'effet pervers de la loi NOTRe. Ce problème a été souligné à maintes fois lors du débat de cette loi; je vous renvoie à l'émission "C'est dans l'air" mentionnée en introduction au site FB "Les Alsaciennes unies". Cette émission, qui en a encore moins à faire de l'identité alsacienne, montre superbement cette hypocrisie. Il aurait été certainement plus judicieux que vous posiez vos questions et de vous insurger à ce moment.
2) Puisque vous vous placez sur le plan de l'humanisme rhénan, je vous rappelle, que la loi qui nous met aujourd'hui dans cette situation absurde s'appuyant sur un principe sans en donner les moyens, n'a pas été faite par un pouvoir législatif régional qui n'existe pas, mais bien par le pouvoir législatif de l'Etat qui a fait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité son socle Aujourd'hui, il ne cesse de le trahir. A une autre échelle, le débat sur la déchéance de la nationalité le confirme.
Conclusion...
1) Faites vos reproches aux départements, mais n'oubliez pas qu'à l'origine du problème il y a l'Etat central.
2) Une loi, à laquelle on ne donne pas pleinement les moyens d'application, est une coquille vide. Affirmer le contraire, c'est verser au minimum dans l'absurde, au pire dans l'hypocrisie.
3) Refuser de considérer la globalité de ce débat, c'est prendre le risque d'ouvrir une autoroute aux extrémismes, en premier le FN.
J'Y SUIS PLUS QUE FERMEMENT OPPOSÉ, je puis vous l'affirmer sincèrement.
Le seul vrai problème, c'est que chacun se renvoie la balle. Le département crie au scandale car l'état ne lui donne pas les moyens dont il a cruellement besoin et c'est une réalité. L'état, quant à lui, s'est clairement "débiné".
La partie de ping pong a bien commencé. Mais, sur le terrain, ce sont toujours les plus fragiles qui trinquent car la partie de ping-pong, ils l'ont bien comprise. Je n'en suis plus à me demander : " qui a tort ou qui a raison? ". J'en suis à me demander : "où est la solution" ? Et pour le moment, je n'en vois pas.
Je considère que l'interprétation par notre département de la loi NOTRe est un alibi dont il se sert pour réduire une politique publique historique dans notre Alsace et à Strasbourg.
Cet "alignement opportuniste" sur le régime de l'intérieur doit être dénoncé.
La Ville de Strasbourg et l'Eurométropole sont aussi en causes. La Ville a une longue tradition d'intervention sociale fondée sur l'humanisme rhénan que ses élus "utilisent" lorsque ça sert leurs intérêts et oublient lorsqu'il s'agit d'assurer des conditions de survie décente aux plus faibles dans notre société.
"Les femmes et les enfants d'abord" dans la rue, la misère et/ou la violence ? Ce serait vraiment en deçà toute éthique humaniste élémentaire et indigne de nos valeurs, nationales, régionales et locales.
L'Eurométropole peut avancer sur la compétence. La loi NOTRe le lui permet. Elle pourrait avec le Département construire un dispositif d'action sociale à son échelle et assurer le rayonnement de Strasbourg - territoire humaniste.
Mais les décideurs sont fébriles à l'idée d'user de l'argent public pour des publics qu'ils considèrent avec trop d'a-priori comme définitivement "exclus, inemployables, improductifs".
Je ne me résoudrai jamais, JAMAIS, à la perspective de détruire, par le pouvoir de la puissance publique, l'avenir de personnes. J'ai trop d'expérience qui me démontrent le contraire pour me laisser dicter une conduite par qui que ce soit à ce propos.
Je suis totalement d'accord avec vous Mimi. Ceci dit et comme je l'ai déjà mentionné plus haut, on ne peut pas faire une loi sans avoir le souci de se donner les moyens de sa bonne application, surtout lorsqu'il s'agit des plus vulnérables de la société. Il s'agit d'une question de respect élémentaire.
Personnellement, dans la configuration électoraliste actuelle, je soupçonne le pouvoir en place de jouer les uns contre les autres. Sinon, qu'est ce qui empêcherait les politiques de se mettre autour d'une table et de se donner les moyens d'une véritable politique sociale ??? Réduire la communication à des effets d'annonces dans les médias est souvent le meilleur moyen de manipuler les masses.
Je sais que c'est dégueulasse et personnellement j'ai l'honnêteté de dire que je ne vois pas de solution "clés en main". Aujourd'hui, je suis tout simplement désespéré en tant que citoyen. J'ai voté pendant plusieurs décennies pour un PS, dont je croyais (naïvement ? ) qu'il était un espoir. Aujourd'hui, je suis furieux de constater que certains de ses membres dirigeants ne font que se comporter comme des princes qui nient les principes élémentaires d'une démocratie politique et sociale.
Si aujourd'hui je parle d'autonomie régionale pour l'Alsace (et bien entendu pour les autres régions) ce n'est pas pour une question d'identité, mais parce que je crois qu'elle est la meilleure manière de mettre le pouvoir sous le contrôle des citoyens. Maintenant, j'en conviens que ceci n'est pas une réponse à la situation actuelle d'urgence et je m'en excuse.
Je souhaite sincèrement que ce gouvernement et ces départements sortent de cette situation de rapports de force stériles. Ceci ne nous empêchera pas de nous poser de sérieuses questions sur l'amateurisme de ce gouvernement. A défaut, les prochains présidents de départements / région ne seront ni Bierry, ni Richert, mais un quelconque potentat FN. Et là, on sera vraiment dans la catastrophe !
Suis d'accord avec vous !
Le Département anticipe depuis plusieurs années les conséquences du désengagement de l'Etat . Et les associations sont les dernières qui ont souffert des baisses ou suppressions de subventions.
Bien sûr que la situation est intenable. Bien sûr que les plus démunis ne méritent pas ce coup supplémentaire. Mais où est la solution?