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« On n’aurait jamais dû attendre un mois » : des manifestants frustrés par la faible mobilisation

La manifestation du 6 juin contre la réforme des retraites a rassemblé 6 000 personnes à Strasbourg selon l’intersyndicale. Cette mobilisation crée une frustration chez de nombreux militants, qui estiment que l’intersyndicale aurait dû appeler à une mobilisation plus importante pour faire plier le gouvernement.

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« On n’aurait jamais dû attendre un mois » : des manifestants frustrés par la faible mobilisation

Ce mardi 6 juin, pour la quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, l’avenue de la Liberté vide contraste avec la manifestation historique du 1er mai 2023 à Strasbourg. « Ils ont tué le mouvement, ils ont cassé la dynamique », lance un manifestant adossé à un mur, faisant référence à la décision de l’intersyndicale de ne pas appeler à une nouvelle mobilisation pendant plus d’un mois. Cette étonnante passivité a fait suite à plusieurs semaines de grèves et d’actions menées par les opposants à la réforme. Mi-avril, les militants de la CFDT Alsace, syndicat réputé peu enclin aux modes de lutte radicaux, bloquaient des entrepôts logistiques et plaidaient pour des « blocages coordonnés de l’économie ».

L’avenue de la Liberté était encore bien vide à 14h ce 6 juin. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Amer, Pascal Vaudin, secrétaire général de la CFDT des transports du Bas-Rhin, affirme que le mot d’ordre de son syndicat à l’échelle nationale était de ne rien organiser en mai :

« On n’aurait jamais dû attendre un mois… Beaucoup de personnes ont baissé les bras et considèrent que le combat est fini. On va essayer de remobiliser maintenant. Je suis persuadé que ce ne sont pas uniquement les manifestations qui vont faire changer les choses. Nous avions organisé des opérations escargot, des blocages. Nous avons une équipe de militants prêts à participer. Je pense qu’il aurait fallu appeler à ce type d’action partout. »

Pascal Vaudin, de la CFDT transports, a participé à des actions de blocage en avril. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Il fallait profiter de la bonne dynamique »

Derrière les camions recouverts de banderoles, les différents syndicats rassemblent chacun quelques dizaines de militants. Seule la CGT a rameuté plusieurs centaines de gilets rouges éparpillés dans le cortège. Les organisateurs annoncent 6 000 manifestants contre 2 800 pour la préfecture, une mobilisation en net reflux comparé aux près de 20 000 personnes dans la rue le 19 janvier ou le 1er mai 2023.

Tout devant, la foule est plus compacte et entonne « ni patron, ni patrie, ni patriarcat ». De nombreux jeunes avancent au rythme d’un ensemble de percussions. « Ce n’était pas du tout une bonne idée de ne rien faire pendant un mois. Il y avait énormément de gens en manif. Il fallait continuer pour profiter de la dynamique qu’il y avait en avril », souffle un jeune homme. Philippe Gueth, de la CFDT Santé sociaux, explique quant à lui que l’intersyndicale n’avait « pas d’autre choix que de faire une pause » : « Beaucoup de salariés auraient arrêté de suivre les mobilisations parce qu’ils n’auraient pas réussi à suivre financièrement. C’est le retour qu’on a de certains adhérents. »

De son côté, Laurent Feisthauer, le secrétaire départemental de la CGT, se demande s’il n’aurait pas été opportun de « coller les 14 journées de mobilisation et de grève qui ont eu lieu depuis le 19 janvier » : « C’est plus difficile maintenant, avec l’explosion des recours aux intérimaires, aux contractuels… Les gens sont dans des situations tellement précaires que c’est quasiment impossible pour eux de faire grève. »

« Les travailleurs doivent s’organiser à la base »

Des employés de la SNCF à Strasbourg sont présents en tête de cortège. Au mois de mars, ils ont été les seuls en grève reconductible en Alsace. Pour Louise Fève, de la CGT cheminots, les grévistes doivent contrôler leurs mobilisations localement et ne pas dépendre de la stratégie d’une intersyndicale :

« Nous avons créé un comité de grève à la SNCF, pour que ce soit des assemblées générales ouvertes à tous les cheminots, syndiqués ou non, qui organisent la mobilisation, sans attendre les décisions de l’intersyndicale. On n’a pas besoin d’attendre des consignes, il faut arrêter de remettre son sort entre les mains d’autres. Il faut aussi sortir de la logique où seuls les secteurs dits stratégiques se mobilisent. Tout le monde doit se sentir concerné. Dans les mouvements sociaux qui ont permis d’obtenir des choses, en 1936, en 1968 ou en 1995, il y a eu des grèves étendues à de nombreux secteurs, y compris le privé. »

Louise Fève, de la CGT cheminots. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« L’intersyndicale n’est pas allée au bout »

Dans le ciel, deux drones de la police filment les manifestants pour la première fois dans la capitale alsacienne. En retour, des militants chantent « À bas l’état policier » et déploient des parapluies. Isabelle, du collectif On crèvera pas au boulot, ne mâche pas ses mots concernant la stratégie de l’intersyndicale :

« Depuis le début, ils ont énormément manqué d’ambition en appelant uniquement à des journées de mobilisation espacées. Cela crée de la frustration chez nous, les grévistes, parce que c’est un sacrifice qui ne sert à rien. À l’échelle nationale, les éboueurs, les salariés des raffineries, les profs et les cheminots sont entrés en grève reconductible.

Il aurait fallu coordonner ces mobilisations et les actions de blocage pour qu’elles aient lieu en même temps, afin qu’elles soient impactantes. Il y a une immense colère des travailleurs contre cette réforme, il y avait la possibilité de monter d’un cran et de vraiment peser. Je trouve que l’intersyndicale n’est pas allée au bout du bras de fer. De toute évidence, les travailleurs doivent s’organiser à la base pour peser. »

Isabelle, du collectif On crèvera pas au boulot. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Nous sommes prêts à nous remobiliser »

Pont Saint-Guillaume, les forces de l’ordre ont érigé un barrage avec des barrières anti-émeute. Ils diffusent un message sonore signifiant que « toute manifestation sauvage sera considérée comme un attroupement ». Quelques dizaines de personnes tentent de sortir du tracé au niveau du boulevard de la Victoire mais sont immédiatement bloquées par la police. Après un bref échange de feux d’artifice et de grenades lacrymogène, les militants font demi-tour. Quelques panneaux publicitaires JC Decaux sont cassés au passage.

Alain, retraité, a pris un coup de matraque après avoir protesté contre l’arrestation d’une jeune femme. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Vers 16h30 place de la République, la plupart des manifestants sont déjà partis. Certains discutent encore près de l’arrêt de tram. Une jeune femme est arrêtée par un imposant dispositif policier. Dans la cohue, les forces de l’ordre chargent des manifestants. Un retraité touché par un coup de matraque se plaint d’une forte douleur sur le flanc. Les derniers militants de dispersent suivis de près par des policiers. « Nous sommes prêts à nous remobiliser sur des thématiques qui touchent tout le monde comme les salaires ou les prochaines réformes que prévoit le gouvernement. Ce mouvement contre la réforme des retraites reste positif car il a mobilisé de nouvelles personnes qui se remobiliseront à l’avenir », assure Louise Fève.

Durant le mouvement contre la réforme des retraites, de nombreuses personnes se sont mobilisées pour la première fois. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

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