Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Marionnette d’Emmanuel Macron brûlée : la préfecture condamne, mais que dit la loi ?

Brûler une marionnette à l’effigie du président de la République est-il répréhensible lors d’une manifestation ? La préfecture du Bas-Rhin semble penser que oui. Pas si sûr, affirment plusieurs avocats.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Marionnette d’Emmanuel Macron brûlée : la préfecture condamne, mais que dit la loi ?

La marionnette géante à l’effigie d’Emmanuel Macron, assis dans une casserole et couronne sur la tête, a fait sourire les passants, lors de la manifestation du 1er mai 2023 dans les rues de Strasbourg. Après deux heures de cortège, des manifestants lui ont mis feu, en cercle, à proximité du palais universitaire. Ils ont été plusieurs centaines à danser et chanter autour du brasier.

Un acte condamné par la représentante de l’État

Mais ce moment symbolique aux allures de carnaval est condamné par Josiane Chevalier, préfète du Bas-Rhin dans un tweet publié à 15h40 le même jour. Elle ajoute avoir porté « ces faits à la connaissance de l’autorité judiciaire ».

Tweet préfecture bas-rhin 1er mai 2023
Le 1er mai à 15h40, la préfecture du Bas-Rhin a condamné la crémation de la marionnette d’Emmanuel Macron sur Twitter

Contactée, la préfecture du Bas-Rhin n’a pas répondu à nos questions.

En manifestation, la loi protège largement la liberté d’expression

« Je ne vois pas sur quelles qualifications des poursuites pénales pourraient être engagées », estime de son côté Florence Dole, avocate au barreau de Strasbourg qui a notamment défendu des « décrocheurs » alsaciens des portraits d’Emmanuel Macron. À Grenoble le 25 avril, le parquet a ouvert une enquête pour des faits similaires qualifié « d’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique », selon France 3. Une infraction prévue par le Code pénal et punie d’une peine maximale d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

Mais, « l’outrage est une infraction de droit commun », précise Florence Dole. « Dès lors que le contexte est celui d’une manifestation publique, c’est une loi de 1881 qui s’applique », précise l’avocate :

« Dans un contexte de manifestation, une performance artistique qui met en scène une marionnette du chef de l’État qui brûle est protégée par la liberté d’expression. D’autant plus que la performance faisait partie d’un cortège burlesque, carnavalesque, et que les artistes avaient le visage découvert. »

Florence Dole, avocate au barreau de Strasbourg.

Un détournement de qualification pénale

Si la préfecture devait faire valoir la qualification d’outrage pour réprimander la crémation de la marionnette, il s’agirait d’un « détournement de qualification pénale » selon Maître Dole. « Ça sera au tribunal de vérifier », estime-t-elle. « D’ailleurs ce n’est pas le rôle de la préfecture de limiter la liberté d’expression », précise Florence Dole, pour qui ce tweet relève d’une « opération de communication » de l’institution.

Le parquet de Strasbourg n’a pas répondu aux sollicitations de Rue89 Strasbourg pour savoir s’il allait ou non ouvrir une enquête.

Michaël Pierrelée, militant à Amnesty international Alsace, confirme les propos de l’avocate et ajoute :

« Le droit de manifester est à l’intersection de deux droits fondamentaux : la liberté d’expression et celui de se réunir pacifiquement ».

Jusqu’en 2013, un « délit d’offense au président de la République » était prévu par la loi de 1881. Selon les termes juridiques d’alors, une telle mise en scène aurait pu être condamnée. Mais selon la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui a condamné la France, ce délit portait atteinte à la liberté d’expression. Il a été supprimé et n’existe plus en droit français.

« Le contexte compte énormément »

Me Christophe Meyer, un avocat strasbourgeois plaidant devant la CEDH, détaille :

« En 2018, la Cour a estimé que brûler un portrait du roi d’Espagne lors d’une manifestation ne devait pas être sanctionné pénalement. C’est une indication qu’elle a une interprétation libérale de la liberté d’expression même si le contexte est crucial et propre à chaque affaire. »

Pour juger qu’une atteinte à la liberté d’expression est légitime, il faut qu’elle soit « proportionnée » au but poursuivi, explique Florence Dole.

« Le contexte social et extrêmement tendu d’une contestation du gouvernement est à prendre en compte. La colère des manifestants s’exprime à travers des slogans et des actions revendicatives. On ne peut pas en faire abstraction. Dans un tout autre contexte, peut-être que brûler une marionnette du président pourrait ne pas être couvert par la liberté d’expression. »

Michaël Pierrelée d’Amnesty international Alsace abonde :

« Les manifestations comme celles du 1er mai sont des lieux de rassemblement pour celles et ceux qui n’ont pas d’autre moyen d’être entendus, le message de la préfecture risque de dissuader et distiller la peur. »

Un droit de manifester de plus en plus limité ?

Par ailleurs, Florence Dole remarque que des textes « de plus en plus fréquents » viennent restreindre la liberté de manifester comme « la loi anti-casseurs, ou plus récemment les décrets d’application qui permettent d’avoir recours aux drones. »

Pour la première fois en France, ce 1er mai 2023, quatre préfectures ont pris des arrêtés autorisant le survol des manifestations par des drones. « Sur quatre référé-libertés, un seul juge administratif a estimé que le décret était irrégulier », poursuit Me Dole.

Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, Amnesty international a dénoncé un « recours excessif à la force et aux arrestations abusives » dans un communiqué du 23 mars. En plus de l’arsenal législatif, cette tendance est selon Michaël Pierrelée le second levier utilisé par le gouvernement pour restreindre le droit de manifester et dissuader les opposants.


#1er mai

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options