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Messes basses sous coronavirus, journal d’un curé de campagne

Comment poursuivre son sacerdoce en période de confinement ? Les mesures actuelles obligent les religieux en charge d’une communauté à repenser le lien avec les fidèles, quand elles ne sèment pas le doute. Témoignage d’un curé du campagne du Kochersberg.

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Dans 12 villages du Kochersberg, c'est désormais sans aucune assemblée que se déroulent les messes.

Depuis une petite semaine, les cloches sonnent plus souvent qu’à l’ordinaire dans le petit village de Griesheim-sur-Souffel, à l’ouest de l’Eurométropole. Les Grand’ messes et la totalité des célébrations (y compris les mariages et les funérailles) ayant été annulées jusqu’à nouvel ordre, pour cause de confinement, le curé de la paroisse a décidé de recourir à une forme un peu oubliée du rite catholique pour soutenir ses ouailles : les messes basses.

Pas de sermon mais un service minimum

Ce curé, c’est René-Philippe Rakoto, Rue89 Strasbourg en avait déjà parlé en 2012 lorsqu’il était opposé au mariage pour tous. Chaque matin à 9h, il se rend à l’église la plus proche du presbytère où il réside, pour y célébrer une eucharistie (commémoration du sacrifice de Jésus). Seul. Les cloches qui sonnent alors dans les 12 villages de la communauté de paroisse qu’il dirige invitent les fidèles à se joindre à ses prières.

Pas de musique, pas de chant, et pas de public durant le confinement décrété contre le coronavirus
Pas de musique, pas de chant… et pas de public durant le confinement décrété contre le coronavirus. Photo Nathalie Stey

Une messe basse, c’est un office sans chant ni sermon, et mené sans tenir compte de la présence – ou non – de fidèles. Comme l’explique le Père Rakoto :

« La célébration se fait en communion avec l’Église, mais il n’y a pas de dialogue. C’est pourquoi on la pratique à voix basse, d’où son nom. »

Les anciens pratiquaient ce rite relativement court (15 minutes) tous les jours, avant de démarrer leur journée. René-Philippe Rakoto le célébrait jusqu’à présent deux fois par semaine, en latin. C’est désormais devenu le service minimum quotidien dans cette communauté de paroisses.

« Je sens la présence des fidèles, mais il y a un manque »

René-Philippe Rakoto témoigne :

« C’est la première fois dans l’histoire mondiale qu’un événement nous interdit de célébrer la messe pour les fidèles. J’en ai pleuré, c’était comme de se retrouver dans une autre dimension ou dans un film catastrophe américain. Sur les réseaux sociaux, les gens me remercient d’avoir mis en place ces messes basses, parce qu’au moins ils peuvent se raccrocher à ça. Mais c’est dur de célébrer sans personne. Même si je sens la présence des fidèles, il y a clairement un manque. »

Ordonné prêtre pour servir une communauté, René-Philippe Rakoto vit difficilement l’épidémie de coronavirus. S’il n’oppose pas croyance et médecine, conscient que les mesures barrières et le confinement mis en place pour freiner la propagation du virus sont avant tout une question de bon sens, il reconnaît que le confinement l’empêche, à certains égards, de rempli son sacerdoce :

« J’ai dû annuler tous mes rendez-vous, toutes les visites aux malades aussi, parce qu’il y a trop de risques de les contaminer ou d’être contaminé et d’ensuite disséminer la maladie. Dans ces conditions, les personnes seules ont encore plus de risques de se sentir abandonnées. Ça fait vraiment mal. Mais le bon Dieu veut que cela se passe ainsi. »

C'est à une « communion » symbolique que sont réduits prêtres et fidèles.
C’est à une « communion » symbolique que sont réduits prêtres et fidèles. Photo Nathalie Stey.

Seul aux enterrements, avec deux fossoyeurs

Cette semaine, le Père Rakoto a dû célébrer l’enterrement d’une personne du village voisin, décédée de vieillesse. Une expérience qui l’a profondément marqué :

« Il n’y a pas eu de messe, pas de chant, juste une lecture et quelques prières devant la tombe, avant la mise en terre. J’étais seul avec les deux fossoyeurs, la famille ne pouvait pas être là. C’est terrible pour eux, de ne pas pouvoir dire au revoir au défunt. »

Quant au sacrement des malades, notamment pratiqué auprès des mourants, son application reste théoriquement possible avec l’autorisation des médecins et en respectant les précautions d’usage. Le prêtre ne s’est pas encore retrouvé confronté à cette situation :

« J’espère que la pratique ne sera pas interdite. Ce serait terrible, non pas pour une question de croyance, mais plutôt d’humanité envers les malades. Ce serait un pallier supplémentaire de franchi, cela voudrait dire que la pandémie est là, dans nos villages. »

Seul dans son presbytère, le curé se sent un peu tiraillé. Lui qui d’habitude s’occupe de 12 villages reconnaît :

« J’ai plus de temps aujourd’hui, pour lire, peindre ou cuisiner. C’est d’ailleurs assez significatif de voir que le confinement s’inscrit dans le rythme du carême, qui est un temps de pénitence. C’est l’occasion de réfléchir à notre mode de vie. Cette épidémie, c’est un peu la nature qui se révolte, et toute notre société moderne qui se retrouve remise en cause. Mais d’un autre côté, cette inaction me rend mal à l’aise et je culpabilise de devoir rester ici. »

Dans 12 villages du Kochersberg, c'est désormais sans aucune assemblée que se déroulent les messes.
Dans 12 villages du Kochersberg, c’est désormais sans aucune assemblée que se déroulent les messes. Photo Nathalie Stey

Processions solitaires dans les villages

Alors, comme les fidèles ne peuvent plus désormais aller à l’eucharistie, il a décidé d’amener lui-même le symbole de la foi chrétienne jusque sous leurs fenêtres. La semaine prochaine, le prêtre mènera, seul, des processions dans les rues des villages de sa communauté de paroisse, pour présenter le saint sacrement (un hostie consacré) aux fidèles. Quant aux célébrations de la Semaine Sainte et de Pâques, moment essentiel dans la religion chrétienne, il réfléchit à la meilleure façon de partager certaines d’entre elles, même si une diffusion sur les réseaux sociaux le gêne :

« J’y ai déjà pensé, mais j’aurai l’impression de me donner en spectacle. »

Pour l’officiant, l’épidémie actuelle laissera clairement des traces :

« J’espère qu’elle va nous faire revenir à l’essentiel. Dans la religion catholique, cela nous amènera peut-être à laisser le decorum de côté, pour nous concentrer sur notre foi. »


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