Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À la MUI, les locataires paieront cher pour le rayonnement de Strasbourg

La reconversion de la tour Seegmuller en une résidence universitaire haut de gamme a nécessité un montage financier complexe, qui s’inscrit dans le programme d’urbanisation de Strasbourg vers le Rhin. Onéreuse, cette opération portée par des financeurs publics se répercute dans le prix des studios. Le loyer de certains équivaut celui d’appartements 2 ou 3 pièces.

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La tour domine la presqu'île Malraux et dispose d'un point de vue exceptionnel sur Strasbourg (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

La tour domine la presqu'île Malraux et dispose d'un point de vue exceptionnel sur Strasbourg (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)
La tour domine la presqu’île Malraux et dispose d’un point de vue exceptionnel sur Strasbourg (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

En l’an 2000, les armements Seegmuller de la presqu’île Malraux sont abandonnés. Se pose alors la question : que faire de ces grands entrepôts désaffectés ? La municipalité de Fabienne Keller et de Robert Grossmann (UMP à l’époque) réalise dans un premier temps la médiathèque Malraux, inaugurée en 2008 par… Roland Ries (PS), tout juste élu. Le nouveau maire et son équipe poursuivent le vaste programme de construction en direction du Rhin. Il était impératif que ces bâtiments abandonnés cessent de faire tache dans le paysage. Mais que faire d’anciens silos à grains à deux pas de l’université, à l’heure où l’on construit des logements et des bureaux ?

C’est alors que germe l’idée d’insérer une grande résidence universitaire. Comme les acteurs privés préfèrent des réalisations plus simples, les financeurs publics sont mis à contribution avec la Caisse des Dépôts comme facilitateur. Comme les constructions dans ce nouveau quartier, que l’on appelle « les fronts de Neudorf », sont haut de gamme, la résidence doit s’accorder. Il faut « une vitrine » comme répètent les nombreux porteurs du projet, que la bâtiment contribue au « rayonnement » de Strasbourg, capitale européenne.

À côté de la résidence, l’ancien entrepôt commercial Seegmuller, devenu les Docks, abrite des appartements de haut standing. Certains se sont monnayés autour de 5 000 euros le mètre-carré, soit environ le double du prix moyen à l’intersection de la Krutenau, Neudorf et de l’Esplanade. Les trois futures tours Black Swan ou l’écoquartier Danube s’inscrivent dans ce plan d’urbanisme prestigieux.

169 appartements de 19 à 28m²

Partiellement ouverte depuis le 1er septembre pour ne pas rater la rentrée, la maison universitaire internationale (MUI) propose 169 appartements neufs et meublés de 19 à 28 m². Dans les parties communes : une petite salle de sport, une laverie, une salle de musique et bientôt un réfectoire. Quelques locaux au rez-de-chaussée et à l’entresol sont réservés à l’université, qui déménagera une quinzaine d’agents pour le nouvel emplacement des services de la vie internationale. Au sous-sol, un garage à vélos.

Au sommet des treize étages, deux appartements « VIP » de deux-pièces et 28 m² jouissent d’une vue imprenable sur Strasbourg et d’une terrasse pour tous les résidents. Pour habiter à la MUI, il faut être jeune travailleur, apprenti, stagiaire, doctorant, étudiant en Master ou étranger, et avoir moins de 30 ans.

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Un montage financier complexe

Les 17 millions d’euros de travaux entre 2013 et 2015 ont été payés par des institutions publiques : la Société d’aménagement et d’équipement de la Région de Strasbourg (la SERS pour 10 M€) dont la Ville de Strasbourg, l’Eurométropole et le Département du Bas-Rhin sont les principaux actionnaires, auxquels on ajoute – encore eux ! – le Département du Bas-Rhin (2,5 M€), l’Eurométropole de Strasbourg (1,5 M€), mais aussi la Région Alsace (1,5 M€) et l’Université de Strasbourg (1,5 M€), via le plan campus financé par l’État.

Une société immobilière a spécialement été créée pour l’occasion : la SCI MUI détenue par la caisse des dépôts (40%) et la SERS (60%). Ces deux financeurs seront sûrs de rentabiliser leur investissement puisque le gestionnaire versera un loyer de 600 000 euros par an, assorti d’un bail de 50 ans. Ces trois dernières années, la SERS a pu redistribuer 2,6 millions d’euros à ses actionnaires.

La gestion de cet équipement est confiée à l’association strasbourgeoise Amitel, présidée par Jean Werlen, architecte et nouvel élu EELV au conseil municipal de Strasbourg sur la liste d’Alain Jund, adjoint au maire à… l’urbanisme, qui a supervisé le dossier. Amitel a par ailleurs dépensé environ un million d’euros pour les parties intérieures. Autant de coûts qui se répercutent dans les prix des loyers.

Jusqu’à 825€ de loyer

Condition lors de l’attribution de la gestion, il faut que 128 logements bénéficient d’un loyer modéré, pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 26 000 euros par an. Mais leur prix varie de 452 à 525 euros par mois. Et pour les 41 logements restants, le prix grimpe entre 660 et 825 euros par mois.

Les travaux ont été portés par des financeurs publics et non le gestionnaire, tandis qu’une association ne peut faire de bénéfices. Malgré ces deux originalités, Joseph Durr, président de la fédération nationale des agences immobilières (FNAIM) du Bas-Rhin estime que les loyers « à prix réduits » des studios sont les mêmes que le parc privé strasbourgeois, où il n’est pas question de tarif sur critères sociaux. Quant aux autres biens, le même budget permettrait de voir plus grand ailleurs :

« Dans le parc locatif privé, un studio dans ce secteur peut se trouver entre 450 euros et 500 euros charges comprises, selon l’état du bien. Pour une colocation, on tombe plutôt à 350€, avec le confort d’une pièce en plus. En revanche avec 660 à 825 euros, là on peut trouver des deux-pièces voire des trois-pièces sans problème. Quand on sait qu’il faut gagner 3 fois le prix du loyer pour pouvoir y habiter, on voit mal comment un jeune pourrait se payer ce logement par lui-même. »

Les nouveaux arrivants sur Strasbourg peu avertis des prix de l’immobilier strasbourgeois risquent de déchanter en se comparant à leurs homologues logés ailleurs. Mais la directrice d’Amitel, Nathalie Texier, estime qu’il est possible de se loger à la MUI pour pas cher :

« D’après nos simulations, il est possible d’avoir jusqu’à 220 euros d’Aide prioritaire au logement (APL) par mois. Donc pour les appartements les moins chers, le loyer reviendra à 230 euros par mois. »

Un prix auquel il faudra rajouter quelques prestations utiles, mais onéreuses : des frais de dossier (150€), la connexion internet (15€/mois), l’accès à la buanderie (3€) ou des places de de parking (15€ par jour). Les prix sont en tout cas plus élevés que dans les autres résidences d’Amitel, pourtant à deux pas de là, dans le quartier de la Krutenau. On y loge entre 453 et 583€ par mois, quelques soient les conditions de ressources, et avec jusqu’à 370€ d’APL. La MUI trouve néanmoins son public puisque qu’elle affiche déjà complet. Plus de 40 nationalités peuplent la tour.

La bourse erasmus pour payer le loyer

Yves Larmet, vice-président de l’Université en charge du patrimoine met en avant la complémentarité qu’offre la MUI pour l’Unistra :

« C’est un outil complémentaire de ce qui existe déjà. Elle s’adresse à des chercheurs, des étudiants en Master ou des étudiants étrangers qui ont davantage les moyens et cherchent plus de confort. Les étrangers ont souvent une bourse Erasmus pour leur permettre de payer ce type de loyer (elle est de 150 à 250 euros par mois, ndlr). La prestation n’est pas celle d’une chambre au Crous de 9 m². »

Les étudiants internationaux qui aiment habituellement utiliser une partie de leur bourse pour davantage voyager pendant cette année particulière seront inspirés de loger ailleurs, quitte à profiter d’une vue moins spectaculaire au réveil.

Enfin des locations courtes durée dans « le gîte de la Presqu’île » permettront bientôt d’assurer « davantage de rentabilité » à l’association gestionnaire. Elles s’adressent à des chercheurs en déplacement à Strasbourg pour des travaux ou un colloque, une demande de l’Université. Leur prix est similaire à nombre de chambres d’hôtel, en dehors des sessions parlementaires et du marché de Noël, puisqu’elles se monnayent 95€ la nuit. La proximité du campus ou l’esprit plus convivial pourraient convaincre les universitaires de dépenser un peu plus. Les plus économes prendront le temps de regarder ailleurs ou de louer sur AirBnB.

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