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Municipales : à l’Esplanade, le délaissement a davantage fait monter l’abstention que le virus

Au premier tour des élections municipales, l’abstention a été de 74% dans un bureau de l’Esplanade, 22 points de plus qu’en 2014. Et la peur du virus n’était pas la principale raison. Ceux qui iront voter malgré tout le 28 juin espèrent être plus écoutés sur les problématiques du quartier où trop peu a été fait en six ans.

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Municipales : à l’Esplanade, le délaissement a davantage fait monter l’abstention que le virus

« On sent que l’Esplanade n’est pas dans les priorités de la municipalité, c’est un quartier un peu délaissé », déplore Elise, une trentenaire rencontrée au Parc de la Citadelle avec ses enfants. Elle raconte ce qu’elle aimerait voir dans son quartier : des restructurations, un embellissement… surtout pour le centre commercial, dont une partie des espaces sont à l’abandon. Face à cette détérioration depuis les années 1970, elle avait interpellé, en vain, l’élu en charge du quartier, Nicolas Matt (LREM) :

« Il est plutôt à l’écoute. Il a essayé de faire bouger les lignes, aussi sur notre demande de créer des jardins partagés. Mais il ne peut pas tout faire tout seul. »

Elise habite juste à côté de la Citadelle. Elle souhaite éviter qu’Alain Fontanel soit élu, mais n’a pas encore fait son choix (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Voter, oui, mais voter « utile »

Loin d’être refroidie par la politique locale, l’envie que les choses bougent la motive plus que tout à aller voter. Cette professeure en SEGPA s’est rendue aux urnes le 15 mars « sans hésitation ». Elle était très décidée à voter pour la liste « Strasbourg écologiste et citoyenne », menée par Jeanne Barseghian (EELV). Pour le second tour, elle cherche à faire le meilleur choix pour « éviter Fontanel », le candidat LREM. « Si je pouvais être sûre qu’une des listes de gauche avait une chance de l’emporter, je voterai pour elle », sourit-elle, embêtée.

Le bureau de vote de l’ARES, le centre socio-culturel de l’Esplanade, est dans le « top 30 » des bureaux strasbourgeois (sur 143) où l’abstention a été la plus forte au premier tour de l’élection municipale. De 51,9% en 2014, elle a grimpé à 74,14% six ans plus tard. Les résultats ont placé Catherine Trautmann en tête avec 48 voix, suivie par Alain Fontanel (40 voix), puis Jean-Philippe Vetter (38) et Jeanne Barseghian (35).

A l’ARES, les candidates et les candidats maintenus au second tour ont affiché leurs couleurs (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

« Je crois que les Verts sont anti-voiture »

L’hésitation est donc de mise pour Elise, et d’autres électrices de gauche : Corinne, habitante de la rue de Boston et du quartier depuis 40 ans, enseignante proche de la retraite, a voté pour la liste Lutte Ouvrière au premier tour. Son choix pour le second tour se fera en fonction notamment de la question de la voiture et des places de stationnement :

« Je travaille à Sélestat et je prends la voiture tous les jours. Et comme il me semble que les Verts sont vraiment anti-voiture… Je pense qu’il faudrait davantage de places de stationnement. Nous avons un parking extérieur réservé aux résidents, mais il n’y a jamais assez de places. Depuis que les places de voirie sont devenues payantes, ce n’est vraiment pas pratique. »

C’est l’une des rares mesures du mandat de Roland Ries qui a concerné l’Esplanade : en 2016, la partie sud, autour de la place de l’Esplanade, est passé en zone verte de stationnement. Y compris le parking du parc de la Citadelle. Corinne estime que le minimum aurait été de le maintenir gratuit. Cette décision avait été prise par le conseil Municipal, suivant le conseil de quartier pour favoriser la rotation des places.

On peut atteindre le vieux centre commercial par la place de l’Esplanade. Avec le stationnement, il fait partie des sujets les plus soulevés par les électeurs interrogés (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Le centre commercial, « bête noire » des résidents et retraités

Corinne trouve aussi à redire sur le centre commercial « sale et moche ». Elle aimerait déambuler dans des espaces plus accueillants. « Je ne sais pas pourquoi ça ne bouge pas. »

« Il y a beaucoup de choses à améliorer à l’Esplanade, mais ça, c’est vraiment la bête noire des gens du quartier », confirme Marie-Josée, retraitée.

« Les personnes âgées sont écœurées, constamment réveillées par le bruit, et, malheureusement, par le trafic de drogues. »

C’est ce qu’a constaté Afsaneh Cherehgosha, croisée sur la place principale, sur son vélo. La jeune femme a tracté le lundi matin au marché pour la liste écologiste. Des personnes âgées, qui lui ont fait part de leurs préoccupations liées à la jeunesse du quartier :

« Elles disent en avoir marre des jeunes qui se droguent et qui dealent, des jeunes qui jouent au ballon sous leurs fenêtres, et elles se plaignent de la boîte de nuit gay (le SPYL, du côté Ouest du centre commercial, ndlr). »

Certaines personnes âgées se plaignent des incivilités de la jeunesse du quartier, surtout autour du centre commercial (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

« Ils n’auraient pas dû maintenir cette élection »

« Le quartier a changé en 20 ans », estime Farid, 38 ans, affairé à ranger sa voiture près de la brasserie du Rond-Point. L’habitant de la rue de Palerme rappelle que « c’est un quartier très universitaire à la base », mais qu’aujourd’hui, « il y a plus de diversité, de populations différentes qui se mélangent ». Il balaie rapidement le sujet pour parler de sa « priorité » : l’écologie. Ce titulaire d’un master en microbiologie n’était « pas du genre à voter avant », il ne l’a pas fait en 2014, mais s’était déplacé au premier tour avec un bulletin « Strasbourg écologiste et citoyenne » :

« Je vote écolo quand je sais que je serai touché directement. Au niveau local, il y aura des acquis pour la vie quotidienne. »

Entre l’épidémie et le grand délai entre les deux tours, il imagine que la situation décourage à voter :

« Ils n’auraient pas dû maintenir ces élections. Ce n’était pas un climat propice à l’intérêt électoral. Les gens n’avaient pas la tête à ça. »

D’ailleurs, il ignorait que le second tour avait lieu le 28 juin. Cela le conforte dans l’idée que le sujet est peu investi par les habitants.

Farid (à droite, il ne veut pas montrer son visage) pose avec son ami. Il n’avait pas la tête aux élections mais est allé voter pour Jeanne Barseghian (Strasbourg écologiste et citoyenne) (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

« S’ils sont tous comme Macron… »

Dans le parc de la Citadelle, Mehdi raconte qu’il n’a pas attendu la crise sanitaire pour être rebuté par l’idée d’aller voter. « Les politiciens promettent des choses, on vote pour eux, et puis ils ne font rien », lâche-t-il. Inscrit au bureau de l’ARES, ce trentenaire fait partie des trois quarts d’électeurs restés chez eux en mars. La crise a simplement confirmé son « dégoût de la politique » nationale comme locale :

« S’ils sont tous comme Macron, on n’est pas aidé. Le Président a menti sur les masques, a mal géré l’approvisionnement… On n’a plus confiance en personne. »

Même son de cloche un peu plus loin chez Éric et Valentin, qui s’envoient tour à tour un ballon de rugby sur une pelouse. Les deux jeunes gens ne s’intéressent « pas du tout » aux élections. « Mais on ne se plaint pas. Qui ne vote pas ne peut pas se permettre de râler ensuite », détaille l’un d’eux.

La Citadelle rassemble une grande diversité d’habitants. Beaucoup estiment que leur quartier n’est pas la priorité de la Ville (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Voter pour des personnalités locales

Pourtant, certains sont persuadés que la politique locale est différente. Pour Laurent (le prénom a été changé), une majorité locale a une réelle influence sur le quotidien. Cet enseignant de 40 ans, n’a « jamais raté une élection » vote davantage pour « une personnalité » qu’un programme. Le 28 juin, ce sera pour Catherine Trautmann (PS), sans hésitation, car elle est « vraiment populaire », au sens premier du terme :

« Il y a 6 ans, j’ai préféré Mme Keller à M. Ries, car elle faisait preuve de beaucoup plus de proximité. On la voyait aux kermesses, au marché. M. Ries, je ne l’ai jamais vu nulle part. Or, c’est quand même la base pour un maire. »

Lui qui est venu ce soir-là récupérer son panier de légumes à la distribution de « La Ruche qui dit oui » préférait l’adjointe de quartier entre 2008 et 2014, Michèle Seiler (qui ne se représente pas), « plus proche des résidents » que ses successeurs, Olivier Bitz puis Nicolas Matt.

Le parking du parc de la Citadelle est devenu payant en 2016, ce que Corinne trouve dommage (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Laurent se sent bien à l’Esplanade, « un quartier tranquille » mais, il avance qu’il faudrait « régler un jour la question de l’ASERE ». Ce « super syndicat » de propriétaires gère le chauffage urbain, les espaces verts, les trottoirs et parkings. Cela a pour conséquence que les habitants payent davantage de charges. « Deux fois plus qu’ailleurs », a calculé Laurent. Rue89 Strasbourg s’était penché sur le fonctionnement opaque de l’ASERE, qui soulève des questions de transparence et de participation démocratique.

Stéphane (le prénom a été changé) a aussi fait son choix en raison d’une personnalité. Sur son chemin pour aller faire du badminton au parc, il répond qu’il votera pour « son ami Alain Fontanel ». L’alliance du premier adjoint avec Jean-Philippe Vetter (LR) ne change pas son choix :

« Je trouvais le programme de Vetter pas mal non plus. Ce qui m’a davantage posé problème dans le choix de Fontanel, c’est l’investiture « En Marche ». En votant pour lui, j’ai voté LREM, et je n’adhère pas du tout à cette étiquette… »

Stéphane votera pour son ami Alain Fontanel, sans s’émouvoir de l’alliance avec Les Républicains (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Il se déplace donc aux urnes par affinités, mais aussi par devoir civique :

« J’ai toujours voté, et la crise sanitaire ne me refroidit pas du tout. Je suis français, mon vote compte, j’ai mon mot à dire sur le choix du maire. »

Comme ses voisins, il espère que le quartier sera davantage pris en compte à partir de juillet.


#élections municipales 2020

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