
Relançons l’économie mais épargnons-nous un Lubrizol strasbourgeois, plaide le Dr Thomas Bourdrel, radiologue et porte-parole du collectif Strasbourg Respire.
La brutalité de la Covid-19 a effacé de nos mémoires tout ce qui ne lui est pas directement relié, les politiques nationaux et strasbourgeois l’ont bien compris et en jouent. Pourtant il n’y a pas si longtemps a eu lieu un accident industriel dramatique, celui de Lubrizol à Rouen, accident pour lequel les enquêtes parlementaire et sénatoriale ont révélé de criants manquements dans la surveillance des installations classées.
Ces installations industrielles à haut risque dont certaines sont classées Seveso du nom de la catastrophe italienne survenue en 1976, sont nombreuses à Strasbourg par exemple au port du Rhin ou au port au pétrole de la Robertsau.
Les strasbourgeois adorent fouler les herbes de la forêt de la Robertsau, et tous, lorsque nous nous y promenons, nous choisissons de ne plus regarder les signalisations à l’entrée de ces forêts, qui nous rappellent que si la sirène retentit il faut fuir loin et de toute urgence. Avec 8 sites Seveso dont 7 à seuils hauts (c’est à dire à haut risque), Strasbourg est cerné par ces usines qui, en plus du risque d’accident, contribuent à polluer l’air et les nappes phréatiques, comme en témoignent les nombreuses fuites d’hydrocarbures régulièrement dénoncées par les habitants de la Robertsau pour ne citer qu’eux.

Ces dernières années et derniers mois plusieurs incendies heureusement rapidement maîtrisés ont eu lieu dans des installations classées du port du Rhin et nous ne sommes pas passés loin d’un Lubrizol strasbourgeois.
Des contrôles de plus en plus rares
Grand absent des débats sur les municipales, le risque industriel à Strasbourg devrait pourtant être au premier plan tant les alertes à Strasbourg ou ailleurs en France se sont multipliées et que parallèlement les contrôles se font de plus en plus rares. En effet, outre le risque d’accident, ces installations classées bénéficient de nombreuses dérogations tels que le régime de l’autosurveillance, régime qui autorise les gros pollueurs à déclarer eux-mêmes leurs émissions… Et si les contrôles préfectoraux ont le mérite d’exister, ils se font rares, au mieux une fois tous les 5 ans et ils ont baissé de 36% en 10 ans.
En tant qu’experts, notre collectif Air-Santé-Climat (dont Strasbourg Respire fait partie) avait alerté dans une tribune au Monde – ainsi que lors de notre audition par l’enquête parlementaire – sur les dangereuses dérives des installations classées.
Le chantage à l’emploi
Ce laxisme des autorités de surveillance risque de s’accentuer après la période de l’après Covid comme c’est déjà le cas en Suisse où sous prétexte de relancer l’économie les entreprises polluantes ont déjà obtenu des dérogations et le droit à polluer plus.
Récemment, le rapport sénatorial sur l’accident de Lubrizol parle même « d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries et de manque cruel de culture du risque industriel en France. »
Ne rêvons pas, à Strasbourg, le risque d’un tel accident existe et il est loin d’être négligeable.
Strasbourg ne sera une capitale européenne du XXIe siècle que lorsqu’elle ne sera plus une ville à haut risque industriel, il y a donc urgence à planifier une stratégie de sortie pour ces industries à risques. La plupart des candidats aux municipales maintiendront Strasbourg dans l’ère industrielle en agitant le chantage à l’emploi, mais posons-nous cette question : qu’est-ce qui fait l’attractivité d’une ville ? Qui parmi nous irait demain habiter à Rouen ?
Dr Thomas Bourdrel
au nom du Collectif Strasbourg Respire et Air-Santé-Climat
Habitante du Port du Rhin, je suis profondément choquée que les incendies récents, qui ne concernaient pas des SEVESO mais des installations classées (très peu contrôlées et où la culture du risque est manifestement peu développée), n'aient pas davantage conduit à une vraie réflexion collective sur les risques, impliquant aussi les instances de la démocratie participative.
Je souris (jaune) quand je vois les jolies enveloppes du PPRT qui manifestement ne se basent que sur le risque explosion (et la distance par rapport à l'épicentre) sans tenir compte des phénomènes atmosphériques qui distribueront les polluants de façon beaucoup moins régulières.
Enfin, Strasbourg a adopté fin 2019 son DICRIM (Dossier Communal d’Information sur les Risques Majeurs, introduit par le décret 90-918, 11/10/1990). C'est un document d'information essentiel pour les habitants. Avoir mis 29 ans à se conformer à une obligation... on était en droit d'attendre un DICRIM innovant. Mais non, le document est bourré de contradictions, ce qui en dit long sur la façon dont les municipalités ont traité la question.
En l'occurrence la municipalité de Strasbourg a jadis voté une motion fantasmée pour la fermeture d'une centrale électronucléaire pourtant située à plus de 100 km et ne faisant pas peser de risque important pour la ville, quand elle ne voit pas celui bien réel et à proximité immédiate des sites SEVESO.