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À 53 ans, Nelly est morte dans la rue à Strasbourg

Elle allait de quartier en quartier, ses affaires derrière elle, jamais trop longtemps au même endroit. Nelly, strasbourgeoise sans-domicile fixe, est décédée mardi 27 février dans le quartier de l’Esplanade, alors qu’elle allait être transférée vers l’hôpital.

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À 53 ans, Nelly est morte dans la rue à Strasbourg
Nelly vivait dans la rue à Strasbourg depuis des années. Elle est décédée mardi 27 février 2024, à l’age de 53 ans.

« On se demande comment on en arrive là, en France, en 2024. » Louise, habitante du quartier de l’Esplanade depuis plus de 20 ans, observe un tas d’affaires semblant abandonnées et entourées de barrières rouges et blanches, en face de La Poste de l’Esplanade à Strasbourg. Les couvertures, sacs, bouteilles d’eau et nourriture emballés appartiennent à Nelly, 53 ans et sans domicile fixe. Ou plutôt, appartenaient : Nelly est décédée, mardi 27 février.

Louise l’a vue être emmenée par les secours, plus d’un mois après qu’elle se soit installée au pied de son immeuble. Nelly serait décédée d’un arrêt cardiaque alors qu’elle était dans le véhicule de secours qui l’emmenait aux urgences, selon des témoignages. « Depuis qu’elle était là, on en parlait souvent avec les voisins, on lui amenait de l’eau ou de la nourriture, mais on ne savait pas vraiment quoi faire », explique la retraitée, appuyée sur sa canne.

« Je la trouvais très pâle »

À ses côtés, Juliette, une autre voisine, est à l’origine de l’appel aux pompiers le matin du décès de Nelly. « Je la trouvais très pâle depuis plusieurs semaines, elle me disait qu’elle voulait voir un médecin », explique-t-elle, précisant avoir également contacté le 115 (le numéro pour l’hébergement d’urgence) en plus des sapeurs-pompiers.

Pendant les 48 heures précédant le décès, selon plusieurs voisines interrogées, les pompiers se seraient déplacés à trois reprises pour examiner Nelly. « Je ne comprends pas qu’elle n’ait pas été transportée à l’hôpital à ce moment-là », s’indigne Zakaria, qui a elle-même prévenu les secours de l’état de santé dégradé de Nelly :

« Ils nous disaient que ses constantes étaient stables mais ils l’examinaient toujours assise. Elle avait peur de payer, s’ils l’emmenaient à l’hôpital, alors qu’elle semblait avoir du mal à respirer. Et puis il y avait beaucoup de bestioles dans ses affaires, beaucoup d’insectes, peut-être que ça a dégouté les pompiers, qui ont eu un mouvement de recul lorsqu’ils se sont approchés d’elle la première fois. Avec Nelly, il fallait être très doux. »

Contactés, les services d’incendie et de secours du Bas-Rhin indiquent ne pas donner de précisions quant aux interventions d’aide à la personne – contrairement aux incendies ou accidents de la route. Sa responsable communication, Nathalie Fournaise, précise simplement :

« Ce ne sont jamais les pompiers qui décident d’emmener, ou non, une personne aux urgences. C’est le médecin régulateur du Samu qui prend cette décision. »

Ce médecin régulateur peut décider de faire hospitaliser une personne. Mais pour Nelly, les professionnels ont estimé, jusqu’au jour de son décès, que son état ne justifiait pas une hospitalisation.

Une personne bien connue à Strasbourg

Nelly était l’une de ces personnes bien connues dans les rues de Strasbourg. Utilisatrice de la bagagerie de la Maison Mimir, souvent installée quelques jours seulement au même endroit, la quinquagénaire aux cheveux blancs traînait derrière elle une quantité impressionnante d’affaires.

La maraude du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) du Bas-Rhin la suivait depuis sept ou huit ans, explique un travailleur social :

« On lui proposait une chambre individuelle lorsque c’était possible. Elle a été hébergée dans le gymnase du Conseil des XV pendant la vague de froid. À une époque, il y a même eu une prise en charge dans une chambre d’hôtel et un essai dans différentes structures d’hébergement, d’accompagnement vers le logement, mais ça n’a pas marché. Elle est souvent repartie d’elle-même. »

Selon lui, Nelly était soignée tous les mois au centre médico-psychologique pour des troubles psychiatriques. Ce qui pouvait rendre difficile le maintien en hébergement collectif, malgré les traitements médicaux adaptés à ses pathologies. « Dans le gymnase, il a fallu lui aménager un petit coin pour qu’elle puisse avoir son espace, mais ses cris pouvaient faire peur aux enfants », se souvient-il.

Juliette, la voisine qui a appelé les pompiers mardi matin, entendait elle aussi les cris de Nelly depuis son appartement. « Je descendais lui apporter du café, c’était impossible de ne pas savoir qu’elle était là », insiste-t-elle.

Nelly à la bagagerie de la maison Mimir en février 2022. Elle avait pour habitude d’y laisser une partie de ses affaires, pour ne pas avoir à tout transporter. Photo : Adrien Labit pour Pokaa

Responsabilité manquée

Au lendemain du décès, l’incompréhension côtoie la colère et la tristesse chez les voisines qui ont rencontré Nelly depuis le début de l’année 2024. « Je fais mes courses à côté et je la croisais souvent, ça me fait de la peine de savoir qu’elle est morte, soupire Badra, 60 ans, c’est fou qu’on meure en France d’être à la rue. » Elle aussi aurait aimé l’aider. Mais comment ?

Louise s’interroge, trouve étrange que les hébergements d’urgence n’accueillent pas leurs bénéficiaires dans la journée, puis se décide :

« On se sent tous responsables du décès de cette dame. Ou en vérité, peut-être que personne ne se sent responsable ? Je ne crois plus en la capacité de l’État de protéger les citoyens, ce sont souvent des initiatives individuelles qui permettent une solidarité. »

À ses côtés, Zakaria ne décolère pas et ne comprend pas pourquoi Nelly est décédée malgré le fait que « tout le monde savait ». Elle pointe la responsabilité des pompiers, salue la présence du SIAO, dénonce l’inaction du syndic de l’immeuble…

Nelly aurait dû bénéficier d’un bilan médico-social lors de sa mise à l’abri pendant la vague de froid, qui n’a finalement pas été effectué. Elle aurait dû être prise en charge par une équipe sociale pour aller à la douche, mais le rendez-vous a été reporté… Faute de temps, faute de place, faute de moyens, le décès de Nelly vient mettre une nouvelle fois en lumière les manquements d’un système supposé prendre soin des plus fragiles.

« Des cas comme le sien, il y en a eu et il y en aura encore », souffle Stéphane, éducateur spécialisé de Strasbourg Action Solidarité.

Accès aux soins

Louise, la voisine à la canne, déplore la complexité de la prise en charge des personnes à la rue et souffrant d’une maladie psychologique :

« À l’époque, lorsque le Samu social a été créé, on était choqué de voir que certaines personnes étaient emmenées de force hors de la rue. Car certains veulent qu’on les aide, d’autres pas, d’autres personnes changent d’avis, c’est bien plus complexe qu’il n’y paraît ! »

La question interroge aussi à la maraude du SIAO, qui rencontre de plus en plus de personnes avec des pathologies lourdes et en situation d’itinérance :

« Ce sont des personnes qui sont suivies, donc qui ont accès aux soins, en principe. Et en même temps, Nelly a demandé à ce que le médecin vienne à elle dans la rue, car elle craignait d’aller à l’hôpital lorsqu’elle se sentait très mal, ce qui s’entend aussi. Donc on se demande comment prendre soin des personnes qui ont des pathologies psychiatriques. »

À Strasbourg Action Solidarité, les personnes qui ont le même profil que Nelly arrivent rarement jusqu’à l’accueil de jour. Stéphane, éducateur spécialisé dans l’association, précise avoir rencontré la quinquagénaire lors des distributions alimentaires du mardi soir. Parmi tant d’autres personnes en difficulté. « À titre d’exemple, le 28 février, nous avons distribué plus de 900 repas », pointe-t-il :

« Tous les acteurs du social sont saturés et submergés, à Strasbourg. On n’a pas le temps de se poser et de réfléchir. On n’a pas le temps de parler avec les gens, comme on le faisait avant. Alors forcément, on perd en qualité d’écoute et d’accompagnement. »

En 2023, 23 personnes sont mortes dans la rue à Strasbourg, selon le recensement du collectif des Morts de la Rue. Zakaria annonce qu’elle organisera un temps de recueillement, dont les détails seront donnés sur des affiches dans le quartier de l’Esplanade.


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