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L’opposition profite d’une carte historique de la Palestine pour attaquer Jeanne Barseghian

En annonçant un jumelage avec un camp de réfugiés en Palestine, Jeanne Barseghian savait qu’elle s’attirerait les foudres d’une partie de son opposition. L’attaque a un peu tardé, elle s’est servie d’un cadeau offert à la maire.

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L’opposition profite d’une carte historique de la Palestine pour attaquer Jeanne Barseghian
Jeanne Barseghian reçoit, de la délégation palestinienne, une carte historique de la Palestine qui date d’avant la création de l’État d’Israël.

L’histoire avait pourtant bien commencé. À la surprise générale, la maire (Les Écologistes) de Strasbourg, Jeanne Barseghian, a annoncé jeudi 22 mai à l’AFP qu’elle souhaitait jumeler la Ville de Strasbourg avec le camp palestinien d’Aïda, près de Bethléem en Cisjordanie. Des liens existent entre le centre culturel de ce village formé par des palestiniens déplacés en 1948 et quelques associations strasbourgeoises, dont le Festival Musica, qui avait accueilli une troupe d’Aïda en 2023.

Donc, un jumelage, pourquoi pas ? Samedi 23 mai, Jeanne Barseghian invite, comme il est d’usage, les présidents des groupes d’opposition à rencontrer la délégation palestinienne à l’Hôtel de ville. La droite est représentée par Gabrielle Roesner-Bloch, les macronistes par Nicolas Matt et Pierre Jakubowicz, qui n’expriment pas d’opposition. Quant aux socialistes, ils ne sont pas présents mais leur présidente Catherine Trautmann s’en excuse dans un courrier où elle écrit que « c’est avec un grand intérêt que nous suivons ces initiatives qui témoignent de l’engagement de la Ville de Strasbourg en faveur de la solidarité internationale et auprès de la population palestinienne ». En 1993, alors maire de Strasbourg, elle avait reçu le dirigeant politique palestinien Yasser Arafat à l’Hôtel de ville.

Colère du Crif Alsace

Mais dimanche, cette belle union s’écroule. En apprenant que le jumelage avec la ville israélienne de Ramat Gan est « gelé de fait », la section alsacienne du Comité représentatif des institutions juives (Crif) publie un communiqué pour étriller l’initiative municipale, qualifiée « d’indigne » et de « faillite morale » :

« La Ville de Strasbourg rompt avec son rôle historique de dialogue et de réconciliation, et cède à l’intimidation et aux pressions exercées dans notre ville par des groupuscules extrémistes depuis des mois. (…) Comble de cette séquence, la visite de la délégation palestinienne a été marquée par la remise d’un “cadeau” en forme de carte d’Israël couverte de drapeaux palestiniens sur tout le territoire, sur lequel Israël a disparu. Accepter un tel cadeau tout en portant le keffieh quand on représente la Ville de Strasbourg est un choix politique grave et lourd de sens. »

Quelques heures plus tard, Pernelle Richardot, élue socialiste de l’opposition, publie sur Facebook et X un texte qui reprend l’accusation d’effacement d’Israël : « Ce n’est pas un appel à deux États, ni même un compromis difficile. C’est l’adhésion implicite à un projet de destruction, celui d’une vision où le peuple juif serait à nouveau nié, déplacé, effacé. » Des propos qui ont valu à Pernelle Richardot d’être invitée sur i24news. Du miel pour ce média qui soutient le gouvernement de Benjamin Netanyahou et qui fait campagne pour que les juifs de France s’installent en Israël. La séquence est sous-titrée : « Strasbourg, une mairie hostile à Israël ? »

L’opposition municipale change alors de ton et envoie, lundi 26 mai, une lettre commune à la maire, qui reprend les mêmes arguments du keffieh et de la carte « sur laquelle Israël avait purement et simplement disparu ». Le mardi 27 mai, c’est au tour de la Licra de reprendre les mêmes arguments. Elle a même suspendu un partenariat avec la Ville de Strasbourg visant à projeter un documentaire sur l’exil des Alsaciens pendant la seconde guerre mondiale devant des collégiens et des lycéens.

Une carte historique

Rencontrés mardi 27 mai, les membres de la délégation palestinienne s’avouent désolés de la tournure prise par les réactions à ce jumelage, dont ils attendent beaucoup. « La carte offerte à Jeanne Barseghian est une reproduction de la Palestine au moment des accords Sykes-Picot », indique Abdelfatah Abusrour, directeur du centre culturel Al-Rowwad à Aïda :

« La carte est une représentation de la Palestine à la fin de la Première guerre mondiale. Ce sont les puissances coloniales de l’époque qui ont décidé des frontières et même du drapeau palestinien, qui est né à cette époque. La Palestine avait été attribuée au mandat britannique. »

Cette carte, qui représente également un idéal palestinien, se trouve « dans toutes les maisons palestiniennes », assure de son côté Anas Abou Srur, du Comité populaire d’Aïda. Il précise :

« Il ne s’agit pas d’une négation d’Israël, qui n’existait pas à l’époque. C’est une carte qui montre d’où nous venons, réfugiés dans notre propre pays. Et en tant que tels, nous revendiquons un droit au retour, lequel nous a d’ailleurs été accordé par plusieurs résolutions des Nations unies, même si c’est en Israël. »

Le comité d’Aïda reconnait le droit d’Israël à exister

Le comité populaire d’Aïda est une organisation politique qui dépend du Comité des réfugiés palestiniens, lequel se place sous l’autorité du Fatah, le parti palestinien signataire des accords d’Oslo de 1993, qui reconnaissent notamment le droit d’Israël à exister. « Mais Israël, encore aujourd’hui, ne reconnait pas l’État palestinien, rappelle Anas Abou Srur, et aucune frontière n’arrête les colons. »

De son côté, Jeanne Barseghian ne s’avoue pas étonnée par cette polémique « construite de toutes pièces pour plaire à la droite et à l’extrême droite » :

« Dès le début de mon mandat, même pendant la campagne, j’ai été la cible d’accusations d’antisémitisme à peine voilées, alors que c’est à rebours de ce que je suis et de toutes les valeurs que je porte depuis mon engagement politique. Cette manipulation prend prétexte d’un cadeau, qui ne se refuse pas, pour me faire dire l’inverse de ma position, la solution à deux États, qui est pourtant rappelée dans le post en question !

C’est le signe d’une opposition désespérée, prête à prendre prétexte de n’importe quoi pour qu’on ne parle pas des bombardements sur les civils de Gaza, de l’aide alimentaire bloquée et de la catastrophe humanitaire qui s’y déroule. »

En aparté, des élus de la municipalité estiment, a posteriori, qu’il aurait été plus malin de ne pas diffuser les images des cadeaux de la délégation palestinienne, ce qui aurait peut-être permis de s’économiser cette polémique.


#Palestine

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