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« Parfois j’ai honte » : des travailleuses sociales pour demandeurs d’asile témoignent

Dans le cadre de l’accompagnement des demandeurs d’asile, des éducatrices spécialisées témoignent d’un profond mal-être. L’objectif initial de leur travail, permettre l’émancipation, est souvent impossible du fait du rejet des demandes de papiers, des expulsions, du manque de moyens ou d’une formation inadaptée.

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« Parfois j’ai honte » : des travailleuses sociales pour demandeurs d’asile témoignent

« Imaginez, quand on héberge une famille, qu’on tisse un lien fort avec eux, une relation de confiance, et qu’on apprend du jour au lendemain qu’ils sont expulsés… » Perrine (tous les prénoms ont été changés) est travailleuse sociale dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile à Strasbourg.

« Les accompagnants et accompagnantes sociales souffrent de plus en plus de leur travail », explique Nadia, également professionnelle dans ce domaine :

« Ces dernières années, la situation s’est tendue. Il y a beaucoup plus d’arrivées et trop peu de moyens. Nous on joue le rôle du fusible, on est face à des personnes en grande détresse qu’on ne peut pas vraiment aider. »

Dans le cadre de l’accompagnement des demandeurs d’asile, des travailleuses sociales se sentent dépossédées du but initial de leur métier. (Photo Juan Pablo / Rue89 Strasbourg / cc)

De plus en plus d’arrivées

Dans le Bas-Rhin, 400 personnes par mois demandent l’asile en moyenne. En France, 73% des primo-demandeurs ont une réponse négative. À Strasbourg, du fait de l’emplacement géographique de la ville, 65% des arrivées proviennent d’Europe de l’Est, d’après la préfecture. Ces personnes ont encore moins de chances d’avoir une réponse positive car elles proviennent de pays considérés comme sûrs.

Le plus souvent, des associations comme la Croix Rouge, Horizon Amitié ou encore Antenne, financées par l’État, gèrent l’hébergement et l’accompagnement d’un flux de demandeurs d’asile en augmentation.

Sans papier, sans travail, dépendants

Les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler pendant la durée de l’instruction de leur dossier. Les services sociaux spécifiques des demandeurs d’asile sont saturés. La préfecture du Bas-Rhin aura dépensé 18,8 millions d’euros pour leur hébergement en 2019. Mylène, travailleuse sociale depuis de nombreuses années, trouve cette situation absurde :

« Parfois j’ai honte en travaillant. L’hébergement et l’accompagnement social sont indignes pour ces personnes, mais au final, le plus pertinent ça n’est pas d’allouer plus de moyens pour héberger et accompagner. Tout ce que demandent la quasi-totalité des demandeurs d’asile, c’est de pouvoir travailler, d’avoir une vie normale. Pour cela, il faut les régulariser pour qu’ils aient la possibilité de le faire, sinon la situation ne se détendra jamais. Ou alors on ferme les frontières et on les laisse mourir. »

Communiquer peut s’avérer très difficile

Pierre est également éducateur spécialisé dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile. Le cœur de son métier : les accompagner dans leurs démarches et leur communiquer ce qu’ils devront faire lors de leur entretien OFPRA (pour Office français de protection des réfugiés et apatrides), l’audition où les demandeurs d’asile exposent le motif de leur venue. À ce moment, c’est potentiellement leur vie qui se joue.

Mais Pierre ne parle pas géorgien, ni russe, aucune langue d’Europe de l’Est. Souvent, il n’a pas de langue en commun avec les arrivants, qui ont du mal à accéder aux cours de français :

« On utilise des pictogrammes qu’on bricole nous-mêmes. Ce sont des documents avec des images explicatives. Souvent, les demandeurs d’asile n’osent pas nous dire qu’ils n’ont pas compris. Le drame c’est que pendant l’entretien, un petit détail peut provoquer un refus… Ils sont souvent très mal préparés, on a le sentiment de ne pas bien faire notre travail. Des interprètes seraient absolument nécessaires. »

Voici un exemple de pictogrammes créé par des travailleurs sociaux pour tenter de communiquer des informations importantes sur leur situation à des demandeurs d’asile avec lesquels ils n’ont aucune langue en commun. (Document remis)

Pas de formation juridique suffisante

Souvent, ces travailleurs sociaux manquent aussi de formation juridique, comme en témoigne Pierre :

« On doit les préparer à un entretien qu’on ne connait même pas vraiment. Je ne suis pas toujours sûr de bien les conseiller. J’apprends tout sur le tas, quand j’en parle avec des collègues… Peut-être que j’ai déjà mal conseillé des personnes et qu’elles se retrouvent dans des situations compliquées à cause de cela. »

« Des situations qui nous échappent »

Le cadre légal de l’immigration s’est durci suite à l’application de la loi asile et immigration. Les séjours en centre de rétention avant expulsion passent de 45 à 90 jours. Désormais, les personnes qui viennent pour des problèmes de santé n’ont plus que deux mois pour demander le titre de séjour « étranger malade ». Avant, il n’y avait pas de délai particulier pour faire cette demande. Nadia dénonce les répercussions potentiellement mortelles de cette loi :

« J’ai déjà vu des personnes qui avaient des cancers, ou d’autres maladies graves, qui auraient pu être soignées. Mais elles ont été expulsées parce qu’elles ne savaient pas qu’il fallait demander ce titre. Elles avaient juste fait leur demande d’asile. Peut-être que certaines sont mortes maintenant. »

« Humainement parfois, c’est insoutenable »

Dans de nombreux cas, les demandes d’asile aboutissent à une expulsion, ce qui met les travailleurs sociaux dans une position « insoutenable », comme en témoigne Perrine :

« J’ai accompagné une famille géorgienne, avec laquelle j’ai créé un lien, au fil des mois. Les enfants étaient scolarisés, les parents commençaient à apprendre le français, ils prenaient confiance. C’est ce qu’on recherche en tant que travailleurs sociaux, c’est le sens de notre travail. Un jour, à 6h du matin, ils ont été cherchés par la Police aux frontières (PAF) pour être placés en centre de rétention. Ils n’étaient pas au courant, nous non plus, c’est comme ça que ça se passe en général. Je n’en dors pas quand ça arrive. »


#travailleur sociaux

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