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Passe sanitaire et soins hospitaliers : « Le droit à être secouru n’est pas menacé »

Depuis ce lundi 9 août, la présentation du passe sanitaire est obligatoire pour se rendre à l’hôpital. Seule exception, les situations d’urgence. Vincent Doebelin, enseignant et doctorant en droit public à l’Université de Haute-Alsace (UHA), a pour sujet de thèse le droit au secours. Il explique que la nouvelle loi ne contrevient pas au droit à être secouru, un principe garanti en France.

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La question avait divisé l’Assemblée nationale et alimente les arguments du mouvement anti-passe sanitaire (voir nos articles). L’instauration du passe sanitaire (vaccination complète, attestation de contre-indication vaccinale, test négatif ou certificat de rétablissement) depuis ce lundi 9 août va-t-elle empêcher juridiquement des français de pouvoir se soigner à l’hôpital ? Vincent Doebelin, doctorant en droit public sur le sujet du droit au secours et chargé d’enseignement à l’Université de Haute Alsace (UHA), répond non et relativise : le droit français garde l’obligation d’être secouru quand la vie est menacée.

Rue89 Strasbourg : Est-ce que le passe sanitaire porte une atteinte à ce droit à être secouru ?

VD : L’urgence médicale est imprescriptible. Elle arrive à moment où on a tout de suite besoin de telle ou telle intervention. Au contraire, le soin programmé est par par définition une intervention prévue à une date et une heure précise, donc le patient a le temps de faire un dépistage en amont.  

Le gouvernement a tout de suite mis les urgences médicales comme l’une des seules exceptions à ce passe sanitaire. On voit déjà des revirements sur le terrain, avec des soins programmés conséquents, à l’instar des chimiothérapies, acceptés sans passe sanitaire pour des raisons évidentes. Dans le texte de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, la notion d’urgence a été gardée justement pour ne pas porter atteinte à ce « droit d’être secouru ».  On ne vous fermera pas la porte aux urgences si vous n’êtes pas vacciné. Le droit à être secouru n’est pas menacé avec le passe sanitaire.

Que qualifie-t-on d’urgence dans le droit français ?

La notion est assez vague, mais elle existe dans plusieurs codes juridiques. Elle implique la nécessité d’une intervention immédiate et rapide. Cette notion d’urgence sert de limite pour savoir si le service publique des secours doit intervenir ou non. Elle s’articule avec la question de la responsabilité des intervenants et de la gratuité de l’intervention. Pour autant, il y a des inégalités en fonction des zones géographiques en France. Concrètement, dans certains endroits vous allez pouvoir appeler les pompiers pour un nid de guêpes, dans d’autres on va vous renvoyer vers le privé. Il y a également une différence entre les pompiers et le SAMU qui dépendent de deux codes juridiques différents (le code général des collectivités territoriales ou le code de santé publique). Les pompiers ont des domaines d’intervention plus étendus, mais parfois moins médicaux par rapport au SAMU.

Secours : une obligation de moyens mis en œuvre

Je travaille sur la question du droit au secours, ou plutôt du droit à être secouru. C’est-à-dire que je cherche à déterminer dans quelle mesure il existe une obligation pour les pouvoirs publics d’organiser le secours aux populations face aux menaces. Le droit français penche plutôt sur une obligation de mise en œuvre de moyens (juridiques, financiers, humains, etc.) que de résultat. On ne peut pas lier l’État à un résultat positif : parfois la maladie ou la situation est trop grave et on ne peut rien faire. Ces obligations découlent des principes constitutionnels comme la solidarité, la fraternité ou encore le droit à la vie. On va même plus loin aujourd’hui, puisque le droit d’être secouru devient l’affaire de tous avec les questions d’assistance à personne en danger en attendant que les pouvoirs publics prennent le relais.

Pourquoi le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas censuré l’accès à l’hôpital avec passe sanitaire ?

Sur place, ce sont les établissements hospitaliers qui vont déterminer ce qui est qualifié d’urgence ou non. Si le Conseil constitutionnel avait estimé que le droit d’être secouru en urgence n’est pas respecté, la mesure aurait pu être supprimée. Les professionnels de santé vont avoir une lecture plus ou moins souple en fonction de la situation. Ils connaissent leur métier et détermineront ce qui doit être pris en charge en urgence ou non.

Par ailleurs, pour les actes médicaux programmés ou encore l’accès aux visites par les proches, le passe sanitaire pose des questions nouvelles. Il y a aussi la possibilité de faire un test de dépistage COVID en amont du rendez-vous. Certains établissements ont installé à proximité un chapiteau avec un test antigénique pour obtenir un résultat en 15 minutes et ainsi palier le problème d’absence de vaccination.

« D’abord on soigne, ensuite on voit pour l’administratif »

Le passe sanitaire pourrait un jour s’appliquer aux urgences ?

Je ne pense pas parce que cela poserait trop de problème pour les secours à la personne. Il existe des jurisprudences sur ce sujet où la responsabilité de l’établissement de santé a pu être engagée. Le secours prime sur beaucoup de choses. Quand vous avez une personne en état de santé qui nécessite une intervention urgente, je ne pense pas que ni le personnel médical, ni le législateur ne prendront la décision de refuser de le soigner. C’est la base des secours : d’abord on soigne, ensuite on voit pour l’administratif. Le droit au secours est quelque chose de très sensible, puisqu’on touche « à la vie des gens ». On peut tous avoir besoin des secours d’un moment à l’autre.

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Vincent Doebelin doctorant en droit à l’université du Haut-Rhin / Doc remis

Pour éviter les recours et situations ambigües, aurait-il été plus simple de ne pas mettre de passe sanitaire du tout à l’hôpital ?

Dans les établissements de santé et en dehors des urgences, il y a souvent un public vulnérable. Donc probablement qu’on aurait trouvé aussi illogique de ne pas mettre de passe sanitaire pour visiter ces personnes-là, car cela leur ferait courir un risque.

Selon moi, il y a une forme d’amélioration par rapport à avant, puisque pendant les pics épidémiques on avait l’impossibilité d’aller voir ses proches à l’hôpital, même si l’on est vacciné ou testé négatif. Aujourd’hui, avec les dépistages devant les hôpitaux et la vaccination, on a plus de possibilités qu’il y a quelques mois de visiter nos proches malades par exemple.

« Une atteinte à des principes fondamentaux »

Quels problèmes juridiques pourrait-on rencontrer si le passe est étendu aux urgences ?

On pourrait avoir des recours en termes de responsabilité. Si vous avez des personnes nécessitant des soins urgents et qu’on refuse de les secourir, il y a matière à engager la responsabilité et donc des indemnisations pour les victimes et les familles. Il y aurait une rupture avec ce droit à être secouru, fondé sur la solidarité et une atteinte à certains principes juridiques qui prévalent dans notre pays.

Si un soin devait être refusé, il y a la possibilité de faire un recours. Pour la question des soins programmés, le juge administratif va toujours statuer en fonction de chaque dossier, chaque situation, donc on ne peut jamais prévoir ce qu’il va dire. Mais dans la mesure où même sans vaccin, il y a la possibilité généralement d’avoir des tests de dépistage assez rapide, il y a peu de chances que la responsabilité de l’établissement de santé soit engagée. Si une personne arrive avec une pathologie grave, mais que le centre refuse de l’accueillir sans passe sanitaire, il y a déjà plus de possibilités pour le juge administratif d’étudier un recours.


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