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« Du jamais vu en 40 ans de psychiatrie » : les pénuries de psychotropes persistent en 2025

Après la quétiapine en février, la venlafaxine, la sertraline et le méthylphénidate ont tour à tour connu des pénuries. Autant de molécules utilisées dans le traitement de maladies psychiatriques comme la dépression, la schizophrénie ou la bipolarité.

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Marie a appelé sa pharmacie à l'avance pour qu'ils lui mettent du méthylphénidate de côté avant qu'elle ait son ordonnance.
Marie a appelé sa pharmacie à l’avance pour qu’ils lui mettent du méthylphénidate de côté avant qu’elle ait son ordonnance.

« Pour remplacer mon traitement de Concerta, l’option la moins pire pour moi était le Quasym. Mais quand j’ai voulu en prendre, il était aussi en rupture », raconte Marie Villaume-Jean, alors qu’elle attend mercredi 9 juillet dans la pharmacie du Conseil des XV. Pair-aidante et psychoéducatrice, elle accompagne des personnes qui, comme elle, sont autistes et porteuses du trouble du déficit de l’attention (TDAH). Elle est sereine ce jour-là car sa prescription a été mise de côté mais c’est exceptionnel « depuis au moins un an » dit-elle.

Le méthylphénidate, molécule à la base de son traitement pour le TDAH, est concerné par des « tensions d’approvisionnement » depuis mai 2024 selon l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). Début 2025, la quétiapine, utilisée pour traiter la bipolarité, a aussi connu des pénuries. D’autres molécules contre les troubles psychiques ont également été indisponibles sur des durées plus ou moins longues, comme la venlafaxine et la sertraline.

Guerres d’approvisionnement

Réussir à réserver quelques boîtes de Concerta en juillet a été difficile pour Marie. Tous les 28 jours, elle doit renouveler son ordonnance sécurisée, pour laquelle elle doit indiquer l’adresse de la pharmacie où elle s’approvisionne, et récupérer son traitement sous trois jours. Si le Concerta est en rupture, il faut reprendre rendez-vous pour obtenir une nouvelle ordonnance. « Toutes ces étapes sont d’autant plus compliquées pour les porteurs de TDAH, qui ont justement besoin de leur traitement pour s’organiser », décrit-elle, avant d’ajouter :

« Il y a quelques mois, j’ai payé en avance à la pharmacie mon traitement, qu’ils n’avaient pas en stock. J’ai ensuite gardé mon ticket pour venir le chercher dès qu’ils le recevraient. La pharmacienne appelait le laboratoire tous les jours, pour avoir une boîte de Concerta par jour. Une fois, je suis allée jusqu’en Allemagne chercher mes médicaments. »

Des difficultés partagées par d’autres personnes, comme Sophie, dont le pharmacien a fait importer du Concerta depuis le Danemark. « Tous les mois c’est la guerre pour trouver le traitement pour ma fille », regrette-t-elle, fatiguée du manque d’informations autour des pénuries. « On ne connaît la rupture que lorsqu’elle est devant nous. »

Noémie quant à elle, a failli arrêter son traitement contre sa bipolarité en janvier. Après avoir visité trois pharmacies pour trouver une boîte de médicaments à base de quétiapine, elle a testé des alternatives mais toutes ont eu des effets secondaires pénibles :

« C’était un enfer à vivre. J’ai fini par trouver un stock qui n’était plus utilisé. Je garde encore 60 comprimés en avance. Ils sont dans un coin de ma chambre, je n’y touche pas au cas où la pénurie recommence ».

Les pharmacies appelées à « bricoler »

« En 40 ans de psychiatrie, je n’ai jamais vu ça », explique le professeur Gilles Bertschy, chef du service de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Interrogé le 9 juillet 2025, il fait un rapide état des lieux : « La situation générale semble s’être améliorée, les patients se procurent à nouveau leurs psychotropes mais ils restent en “tension d’approvisionnement”. » Même à son poste, Gilles Bertschy ne sait ni combien de temps ces tensions vont durer ni si des ruptures pourraient reprendre :

« C’est comme si nous vivions en zone de guerre. Nous recevons des alertes à la bombe, mais nous n’avons aucune idée si les bombes vont nous tomber dessus. Cela aggrave l’état de santé des patients, qui en plus de leur maladie, sont en permanence anxieux à cause de ces pénuries. »

Hervé Javelot, responsable du Centre de ressource et d’expertise en psychopharmacologie (Crepp) du Grand Est, renchérit :

« Je ne comprends pas comment une telle situation peut survenir en 2025 ! Toutes les classes de psychotropes sont concernées par des pénuries, cela concerne des centaines de milliers de patients. C’est la première fois qu’autant de psychotropes d’usage prioritaire deviennent indisponibles au même moment. Pour certains patients, deux ou trois médicaments de leur prescription sont en rupture simultanément, ce qui peut avoir des effets catastrophiques. »

La quétiapine notamment, est utilisée par plus de 200 000 personnes en France. Pour limiter les dégâts, certaines pharmacies ont été autorisées par l’ANSM à fabriquer leurs propres préparations à base de quétiapine, puis de sertraline. Une solution que Gilles Bertschy compare à des « bricolages ». Hervé Javelot en a vite vu les limites :

« Les pharmaciens et la Sécurité sociale n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les prix des préparations à base de sertraline. Ne voulant pas travailler à perte, les pharmaciens n’ont jamais produit ces gélules. Mais cela a créé une situation où l’ANSM annonçait un réapprovisionnement des médicaments et les officines sur le terrain n’en avaient pas. »

Risques élevés pour les patients

L’ANSM a proposé d’accompagner les patients vers un changement de traitement. Mais en psychiatrie, chaque patient a un médicament associé à un dosage qui lui correspond, affiné après des mois de tests. Changer brusquement de molécule ou même de produit peut entraîner des pertes d’équilibre, des rechutes ou des récidives. Hervé Javelot en a été témoin :

« Nous avons observé de nouvelles hospitalisations suite à des ruptures de médicaments. L’arrêt brutal du médicament peut aussi entraîner des symptômes de sevrage comme des troubles digestifs, des maux de têtes, des tremblements, des insomnies, de l’anxiété, parfois des hallucinations. »

Changer de traitement est inconcevable pour Marie. « J’ai pris la décision d’avoir un enfant grâce à la stabilité que me procure ma médication », raconte la paire-aidante, mère depuis 2024. Privé de quétiapine, Noah, strasbourgeois autiste et bipolaire, témoigne :

« Je ne voulais pas passer sur un autre traitement qui aurait pu avoir des effets secondaires couplé avec mon autisme. J’ai arrêté ma médication et ça m’a fait partir en phase maniaque pendant un mois. Je suis énormément sorti, j’ai beaucoup bu, fait la fête. J’ai eu des relations sexuelles avec des inconnus, ce qui ne m’arrive jamais en temps normal. Je ne dormais que quatre heures par nuit et j’ai perdu plusieurs kilos. »

« Ça m’étonne qu’on ait pas été plus nombreux à partir en vrille », conclut Noah. Selon l’ANSM, la situation devrait se réguler en septembre 2025 pour la quétiapine. Pour les autres molécules, aucune date de résolution n’a été avancée par l’organisme public.


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