Jeudi 14 août, les représentants de la FDSEA 67, Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Bas-Rhin, ainsi que les Jeunes Agriculteurs (JA), ont dénoncé devant des journalistes à la Chambre d’agriculture à Schiltigheim ce qu’ils qualifient « d’hypocrisie » de la part du gouvernement et des citoyens français. Ils prévoient une série d’actions dans des supermarchés à partir du 20 août.
Objet de l’ire des représentants des agriculteurs productivistes, la censure par le conseil constitutionnel de l’article 2 de la loi Duplomb qui réautorisait l’usage de trois molécules dans les cultures : l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone. Les sages ont jugé l’article contraire à la Charte de l’environnement adoptée en 2004 et ayant valeur constitutionnelle. L’acétamipride, une forme de néonicotinoïde, est notamment soupçonnée de freiner le développement du cerveau.
Promulguée le 12 août par le président de la République Emmanuel Macron malgré une pétition de deux millions de signatures demandant son retrait, la loi Duplomb promet de « lever les contraintes » pesant sur le métier d’agriculteur. Mais sans l’article 2, la FDSEA et les JA crient à l’injustice : les molécules interdites en France sont autorisées dans d’autres pays de l’Union européenne et selon eux, la pétition et son traitement médiatique ont alimenté une forme de « désinformation ».
Pas interdit, pas dangereux ?
Interpelés sur les dangers que représentent les insecticides et notamment l’acétamipride, les syndicats ont une réponse toute faite : « Si ce n’est pas interdit, c’est que ce n’est pas dangereux. »
Car si la France a bien interdit la substance en 2018, 26 pays de l’Union Européenne continuent d’autoriser leurs agriculteurs à utiliser de l’acétamipride. Et les produits issus de cette agriculture continuent d’être importés en France. « Pourquoi l’Union européenne et l’État, via l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, NDLR), auraient validé l’acétamipride jusqu’en 2033 si c’était nocif ? », interroge Franck Sander, président de la confédération générale des planteurs de betteraves et ex-président de la FDSEA 67.
À l’évocation des études pointant les effets de l’acétamipride sur la santé humaine ou l’environnement, tels que des problèmes du système nerveux, un risque cancérogène ou encore de fertilité, les représentants majoritaires des agriculteurs semblent peu préoccupés : « Ce n’est pas la question du jour », « je ne suis pas médecin ou scientifique. »
Dans un rapport de mai 2024, l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a reconnu « des incertitudes majeures dans l’éventail des preuves de toxicité neurodéveloppementale de l’acétamipride » (toxicité pour la construction du cerveau) et indiqué attendre des données supplémentaires pour mieux évaluer ses risques. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) alerte également sur sa toxicité pour les pollinisateurs, essentiels pour les cultures par ailleurs.
Toujours pas de solution pour la betterave
Selon Franck Sander, dans le cas de la betterave, l’acétamipride reste « la seule solution réellement efficace contre la jaunisse ». L’insecticide interdit en 2018 avait bénéficié d’une dérogation entre 2020 et 2023 pour lutter contre une épidémie de cette maladie qui menaçait les rendements des betteraviers français et alsaciens. En 2025, le problème de la jaunisse persiste : « Cette année, il n’y a pas une région de France où il n’y a pas la jaunisse », affirme-t-il, déplorant « 30% de rendement en moins » pour les betteraviers.
L’Inrae a pourtant proposé aux agriculteurs des alternatives pour se passer de ce pesticide. Mais selon l’ex-président de la FDSEA du Bas-Rhin, les expérimentations sur le terrain n’ont montré « aucun effet concluant » et les solutions testées se sont révélées non viables :
« En 2020, dans le cadre du programme national de recherche et d’innovation, on nous a conseillé de planter des haies autour de parcelles de moins de cinq hectares pour favoriser la présence de coccinelles, censées réguler les pucerons. Mais cela ne fonctionnait qu’à moitié. »
En 2021, l’Anses a identifié quatre alternatives immédiatement mobilisables : deux insecticides, le flonicamide et le spirotétramate, ainsi que deux pratiques agricoles, le paillage et la fertilisation organique. « Le spirotétramate ne sera plus autorisé dès 2026 et le flonicamide ne peut être appliqué qu’une seule fois dans l’année », souligne Franck Sander. Quant au paillage, il le juge irréaliste :
« Techniquement, il faudrait des millions de tonnes de paille pour couvrir nos champs. Même si c’était faisable, le coût serait équivalent à la valeur totale de notre production de betteraves. »
« Vider les rayons »
Dans une lettre envoyée jeudi 14 août aux différentes enseignes de grande distribution du département, la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs demandent le retrait des rayons d’une liste de produits pouvant contenir des traces des insecticides que la loi Duplomb voulait initialement réintroduire. Dès mercredi 20 août, ils se rendront dans les commerces et magasins de bricolage pour vérifier la mise en œuvre de cette demande. À défaut, ils indiquent être prêts à aller « jusqu’à vider les rayons » eux-même si nécessaire.
Parmi les produits visés : noisettes, kiwis, poires, certaines préparations alimentaires, ainsi que des insecticides et anti-tiques. L’objectif de leur mobilisation est de provoquer « une prise de conscience » sur la présence de ces trois substances dans de nombreux aliments vendus en France malgré leur interdiction aux agriculteurs français.



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