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Près de Mulhouse, un méthaniseur menace l’habitat d’un papillon rare et protégé

La présence d’une espèce de papillon de nuit, la Laineuse du Prunellier, a été documentée en lisière de la forêt de la Hardt, à Munchhouse, au milieu de friches naturelles. Cet habitat pour de nombreuses espèces rares est menacé principalement par un méthaniseur, pour lequel aucun inventaire des espèces n’a été réalisé. À ses côtés, un projet de panneaux photovoltaïques a été redimensionné à la baisse pour ne pas défricher les zones où le papillon a été repéré.

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Près de Mulhouse, un méthaniseur menace l’habitat d’un papillon rare et protégé

« Le gros enjeu à l’avenir, cela va être d’arbitrer entre la multiplication des infrastructures en périphérie des villes pour produire des énergies renouvelables et la protection des espèces dans ces zones », s’inquiète David Demerges, salarié du Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine. Une problématique qui touche directement l’Alsace centrale puisque dans le cadre du plan « avenir du territoire de Fessenheim », la préfecture du Haut-Rhin prévoit d’y soutenir des projets liés aux énergies renouvelables.

Dans ce contexte d’investissements, deux sociétés, Engie et Kaligaz, ont choisi Munchhouse, une commune au croisement de plusieurs zones riches en espèces protégées, pour la construction de panneaux photovoltaïques pour l’électricité et d’un méthaniseur produisant du gaz naturel.

Munchhouse, lieu de vie et de reproduction de la Laineuse du prunellier

En mai 2022, deux études publiées dans le magazine Oreina et le Bulletin de la société d’histoire naturelle et d’ethnographie de Colmar ont révélé la présence d’un papillon de nuit protégé près de Munchouse, en lisière de la forêt de la Hardt. Ce papillon orange est devenu rare dans toute l’Europe mais des prospections effectuées par l’association Imago entre 2017 et 2020 ont permis d’identifier 30 nouveaux sites en Alsace où cette espèce est présente, en plus des 30 sites déjà identifiés auparavant.

Cartographie des recensements de la Laineuse du Prunellier (Eriogaster catax) dans le Haut-Rhin, mise à jour en 2022. Photo : carte Roberto D’Agostino / doc remis

Une espèce de papillon de nuit protégée

La Laineuse du prunellier est une espèce protégée aux niveaux national et européen. Ces deux niveaux de protection interdisent la « destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. » Cela s’applique aux éléments de l’habitat réputés nécessaires pour la vie de l’espèce protégée. Selon les résultats de la recherche de Roberto D’Agostino, entomologiste pour l’association Imago et auteur des deux études, cette espèce pourrait même être considérée « en danger » du fait de sa rareté et de la récession de ses habitats partout en Europe. Pour l’instant, l’UICN qui catégorise les espèces menacées classe la Laineuse du Prunellier dans « données insuffisantes ».

Même si cette découverte constitue un « espoir » pour la conservation de l’espèce, Roberto D’Agostino, entomologiste pour l’association Imago et auteur des deux études, souhaite que l’espèce soit prise en compte dans les projets d’aménagements de la zone :

« La laineuse est liée aux forêts. Entre ces forêts, il y a des cultures de maïs qui ont remplacé son habitat. Mais il reste des petites friches buissonnantes où nous avons trouvé des populations très importantes. Ces friches sont probablement des espaces relais qui permettent à l’espèce de coloniser de nouveaux sites. Si on supprime cette friche, on empêche la laineuse d’exister ailleurs. »

Photo de la Laineuse du Prunellier à Sundhoffen en octobre 2021. Photo : Thomas Lux / Association Imago

Une risque de destruction de l’habitat par des panneaux photovoltaïques

Trois nids de chenilles ont ainsi été recensés dans la commune de Munchhouse, dans le Haut-Rhin, par des bénévoles de l’association Imago. Des nids ont été identifiés dans la forêt de la Hardt nord, ainsi que sur une ancienne piste d’aérodrome à Munchhouse.

Tant mieux pour la biodiversité mais cette zone a été choisie par la société Engie PV Munchhouse pour l’implantation de 35 882 panneaux photovoltaïques au nord-ouest de la commune, en bordure de la commune voisine d’Ensisheim pour une puissance estimée de 14,7 Mega-wattheure.

En plus de ses travaux pour l’association de sauvegarde la Laineuse du Prunelier, Imago, Roberto D’Agostino a également réalisé l’étude d’impact de ce projet pour Engie en 2019. Celui-ci va entraîner le défrichement d’environ 9 280 m² de boisement au sein du massif de la Harth. Au-delà des forêts, il mentionne aussi la présence de « lisières boisées, haies et fourrées associées aux prairies et pelouses, habitats de la laineuse du prunellier », qui sont relatées comme ayant un « intérêt écologique fort ».

Suite à l’étude d’impact, le projet d’Engie a été revu à la baisse pour tenir compte des espèces protégées explique Roberto D’Agostino :

« Après cette étude d’impact, 10,5 des 26,5 hectares de milieux naturels dans la Zone d’implantation potentielle initiale ont été exclus du projet. L’ensemble des friches abritant des espèces protégées ont été conservées. »

Avant/après. Les zones rouges et orange ont été exclues pour le projet de panneaux photovoltaïques d’Engie.

Au total, l’emprise de panneaux photovoltaïques est de 15,25 hectares, soit 7,1 hectares construits au niveau du sol, sur l’ancienne piste de décollage et là où étaient garés les avions. Cinq espaces boisés, sur 0,9 ha seront défrichés. Il s’agit etits boisements de robineraies, âgés de plus de 30 ans, mais jugées comme « invasifs » et dont « l’intérêt pour la faune et la flore est faible ».

Pas d’étude approfondie car présence « non-significative »

Dans l’étude environnementale d’impact du projet de panneaux photovoltaïques près de Munchhouse, la Laineuse du Prunellier est bien identifiée comme une espèce protégée. Ses périodes de reproduction, comme celles des autres espèces, sont prises en compte pour la planification des travaux.

Cependant, l’étude indique que la population de ce papillon est « non significative » dans la zone. Selon la réglementation européenne, autorise à ne pas faire d’analyse approfondie de l’impact du projet sur l’espèce. La Laineuse n’a donc pas été retenue pour cette analyse permettant d’estimer si elle est présente dans l’aire immédiate de construction. La Laineuse n’a donc pas été retenue pour une analyse approfondie permettant d’estimer si cette espèce est davantage présente dans l’aire immédiate de construction.

Capture d’écran de l’étude environnementale du projet de panneaux photovoltaïques à Munchhouse.

Me Benjamin Bizarri, avocat en droit public qui a déjà travaillé sur des dossiers d’installation classées, observe une occurrence avec d’autres projets de même ampleur :

« Si on a un projet énorme avec un seul nid d’hirondelles dessus, les porteurs de projet vont considérer l’espèce n’est pas présente, qu’elle est négligeable. C’est du pragmatisme. Mais au sens strict de la loi, s’il y a la présence d’un seul spécimen protégé, la zone est contrainte à une dérogation préfectorale. »

Dans l’enquête publique menée par la préfecture du Haut-Rhin en juillet 2020, le commissaire enquêteur mentionne le fait que le porteur de projet devait rencontrer la Direction régionale de l’environnement (Dreal) « sur la nécessité (ou non) de réaliser un dossier de demande de dérogation au titre de la législation sur les espèces protégées », estimant plus loin qu’une « protection stricte et pointilleuse ne doit pas freiner un développement raisonné de la filière photovoltaïque qui participe au développement durable et à la lutte contre le réchauffement climatique ».

Engie confirme à Rue89 Strasbourg avoir pris contact avec la Dreal, qui a conclu que le résultat de ces études et mesures associées « ne justifiaient pas de dérogation au titre des espèces protégées pour ce projet ». La préfecture du Haut-Rhin a quant à elle décliné notre demande d’interview.

Le projet de méthaniseur de Munchhouse, l’autre menace sans étude d’impact

Un autre nid de cette espèce a été photographié à 100 mètres du terrain de construction d’un méthaniseur à Munchhouse, dans une bande enherbée en limite d’un champ de maïs. Trois nids ont également été identifiés en 2022 dans la zone immédiate du projet de méthaniseur (entourée en rouge ci-dessous). Ce projet, voisin direct des panneaux photovoltaïques, et porté par la société Kaligaz, avait déjà fait l’objet d’un article de Rue89 Strasbourg en juin 2021 pour son potentiel de pollution de l’eau de la nappe phréatique d’Alsace.

Dans le dossier déposé par Kaligaz, un extrait de quatre pages du dossier installation classée ICPE fait état de l’impact potentiel de ce projet sur l’environnement. Le rapport, rédigé par le porteur du projet lui-même, remarque que le méthaniseur sera construit sur le site Natura 2000 de la « zone agricole de la Hardt ». L’étude y est beaucoup moins approfondie que pour le projet de panneaux photovoltaïques. Il mentionne la présence de plusieurs oiseaux protégés, sans en faire l’inventaire sur la zone de construction. Il ne note pas non plus la présence d’insectes, d’amphibiens et de reptiles protégés dans la zone.

Il conclut lui aussi que le projet n’aura « pas d’incidence défavorable ». Pour Me Bizarri, quatre pages ne suffisent pas :

« L’étude d’impact pour les méthaniseurs, c’est normalement 100 pages. Elle doit contenir un inventaire des espèces, des milieux, pour évaluer correctement l’impact sur l’environnement et les potentielles mesures de compensation. »

Les papillons, des espèces « fantômes »

Le principal porteur du projet, David Peterschmitt, n’a pas souhaité répondre à Rue89 Strasbourg sur l’existence d’une étude environnementale pour le projet.

L’association Alsace Nature, qui s’oppose à la construction du méthaniseur sur ce site protégé, a déposé un recours auprès du tribunal administratif à l’encontre de l’arrêté accordant le permis de construire à la société Kaligaz, mentionnant notamment une « étude environnementale insuffisante ».

Pour David Demerges, salarié du Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine et spécialiste des papillons, malgré son statut de protection, la Laineuse du prunellier est rarement prise en compte :

« Peu de personnes étudient les papillons et ces espèces restent assez fantôme. Il y a deux issues à cela : soit on les prend en compte dans les projets, auquel cas on considère ce milieu comme ayant un fort enjeu environnemental et on construit ailleurs. Soit les enjeux politiques prévalent et il faut compenser, sans garantie que ces compensations permettent réellement de conserver la biodiversité. Dans ce cas, le milieu est potentiellement détruit. Ce qui se passe souvent pour la Laineuse, c’est qu’elle n’est pas mise en lumière donc les porteurs de projets et les pouvoirs publics passent à côté. »

Roberto D’Agostino travaille pour l’instant à diffuser le fruit de ses recherches sur ce papillon. À l’instar du « point de vue » de la Mrae Grand-Est de février 2021, qui constate l’ »insuffisance » des évaluations environnementales et études d’impacts qui lui sont présentées pour les projets d’énergies renouvelables, les associations de défense de la biodiversité demandent une meilleure prise en compte des espèces et des habitats dans ces projets visant, justement, à la protection de l’environnement.


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