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En prison, la longue marche des détenus pour travailler et s’éviter la récidive

Deux détenus sur trois ne travaillent pas et près de 60% des sortants récidivent dans les 5 ans. Un collectif alsacien de personnel pénitentiaire et de citoyens propose 70 manières de lutter contre cette récidive et d’améliorer les conditions de détention. Leur leitmotiv : favoriser le travail en s’ouvrant sur l’extérieur.

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En prison, la longue marche des détenus pour travailler et s’éviter la récidive

« Quand j’ai pu travailler aux cuisines et gagner un peu d’argent, j’étais le roi du monde », raconte Léo (les prénoms des détenus ont été changés), 28 ans, sorti il y a moins d’un an du centre de détention d’Oermingen dans le Bas-Rhin. « J’avais des co-détenus qui disaient que c’était la première fois de leur vie qu’ils se levaient le matin et qu’ils avaient une fiche de paye ».

Si le salaire d’un détenu n’est pas mirobolant (entre 45 et 60% du smic soit 4,55€ de l’heure), il peut leur permettre d’adoucir leur quotidien grâce aux « extras » qu’ils peuvent s’acheter au « magasin » et les rassurer sur leur sortie, ayant quelques sous en poche. Léo a pu travailler aux services généraux, qui assurent la vie en collectivité (cantine, maintenance, buanderie…). L’autre option, c’est de travailler dans les ateliers d’entreprises privées, pour faire de petits travaux à la chaîne de conditionnement, confection textile ou mécanique.

Pour Léo, travailler, c’était avoir un rythme et une fenêtre sur l’extérieur :

« J’ai eu la chance d’évoluer dans une cuisine rénovée, d’où je voyais le soleil, c’était magnifique. L’environnement, c’est hyper important, ça nous remet dans une posture positive. »

Le travail en prison est un luxe

De quoi envisager la sortie plus sereinement, estime Jessica Vonderscher, ancienne vice-procureure haut-rhinoise. Pour elle, « le travail est la pierre angulaire de la réinsertion » et il faut mettre le paquet dessus pour éviter la récidive (qui concerne 59% des détenus dans les 5 ans après leur sortie) :

« Avec leur salaire, les détenus peuvent continuer à subvenir aux besoins de leur famille, leur payer le loyer. Travailler leur évite aussi de ruminer des idées noires. Les comportements addictifs baissent, le niveau de santé général est meilleur. »

Le problème, c’est qu’en prison, le travail est un luxe : moins de 30% des détenus y ont accès. Le droit de travailler est accordé par une commission selon le profil du détenu et les postes sont limités. Il y a parfois 4 mois d’attente pour obtenir un poste, indique Jessica Vonderscher :

« C’est aussi parce qu’on est un des rares pays où la population carcérale augmente (les prisons françaises ont un taux de remplissage de 138%, ndlr). Cela rend quasi impossible le fait de donner du travail à tout le monde. »

Simplifier l’administration

Surtout, les tâches sont peu qualifiées et non qualifiantes, et ne correspondent pas aux métiers qui existent à l’extérieur, estime Mick, ancien détenu de Colmar, selon qui « le pliage de carton ou des articles de carnaval n’amènent à aucun débouché à la sortie ».

La maison d'arrêt de Mulhouse est surpeuplée, comme d'autres établissements alsaciens. Le Genepi n'y intervient pas mais intervenait non loin de là, à la maison centrale d'Ensisheim (Photo wikimedia commons)
À la maison d’arrêt de Mulhouse, il y a 4 mois d’attente pour obtenir un poste de travail Photo : wikimedia commons / cc

Pour pallier ces défaillances et améliorer les conditions de vie générales, Jessica Vonderscher a fondé le collectif Walden avec des profils divers : conseillère d’insertion, directeur de prison, conseillère pôle emploi, responsable formation, officier pénitentiaire… Leurs idées ont été présentées dans le livre #Prisons (publié en novembre 2020 aux éditions Médiapop).

Parmi eux, un chef d’entreprise : Jean-Philippe, patron d’une boîte de digitalisation du commerce, qui reprend à son compte le mantra du collectif : décloisonner et tout simplifier :

« Pour devenir entreprise concessionnaire, c’est l’usine à gaz administrative. Il faut remplir des polycopiés qui datent de 1890 et qui n’ont aucun sens. Pour simplifier l’approche, il faudrait aussi que les détenus aient des outils numériques, comme des bornes pour postuler à des offres d’emplois internes et externes, qu’ils aient un lien direct avec l’employeur. »

Pour l’instant, les détenus n’ont pas accès à internet en autonomie et n’ont que le conseiller pôle emploi justice à leur disposition pour envisager de trouver un travail en sortant. Mais le temps qu’une candidature passe par tous les canaux de validation, l’offre d’emploi est souvent déjà pourvue. Léo regrette que l’administration pénitentiaire manque de moyens :

« Le conseiller Pôle emploi vient une fois par mois. On y a accès 6 mois avant la sortie. Mais dans des prisons avec des centaines de détenus… Moi j’avais eu un rendez-vous une semaine avant ma sortie, ça ne servait à rien. »

Un couloir de prison (Photo Thomas Hawk / FlickR / cc)
Le travail permet de sortir les détenus de l’isolement Photo : Thomas Hawk / FlickR / cc

« Éviter de les laisser crever psychologiquement »

En intégrant les entreprises dans la réflexion, l’idée du collectif est de compléter un maillon manquant sur le territoire où les détenus se retrouvent en sortant. Celle de Jean-Philippe fait travailler un détenu de la maison centrale d’Ensisheim sur une activité de classement et de scan de documents liés à des ventes en ligne. Il a également embauché 6 anciens détenus en intérim au cours de l’été 2020 pour un inventaire textile.

Pour lui, il faut transformer les prisons pour en faire des « entreprises avec des prisonniers » ou des centres de tri :

« C’est moins cher pour les entreprises, cela réduit l’empreinte carbone de celles qui envoient des documents à numériser au Bangladesh, et cela donne une activité aux détenus au lieu de les laisser crever psychologiquement. Bref, plus les gens travaillent en prison, plus c’est moteur pour l’économie. »

1,5 milliard d’euros liés à la récidive

Le travail des détenus permettrait aussi d’alléger les finances publiques en réduisant les coûts liés à la récidive : le collectif Walden les estime à 1,5 milliard d’euros par an, en additionnant le coût de « l’hébergement » d’un détenu et celui induit par les nouvelles infractions (enquête, avocat, procès, assurance, etc).

Autre souci, les établissements ne sont pas équipés pour accueillir les camions et ne disposent pas de monte-charge, notamment la prison de Colmar, très vétuste. Elle doit fermer en 2021 et transférer en partie ses prisonniers vers le nouveau centre de Lutterbach à l’automne, qui, lui, « prévoit de bons ateliers et un accès facilité aux camions », indique Jessica Vonderscher.

La maison d'arrêt de Strasbourg a fait l'objet d'un rapport en urgence en mai dernier. (Photo: CGLPL)
Les prisons sont mal équipées pour accueillir des camions et des ateliers. Ici la maison d’arrêt de Strasbourg Photo : : CGLPL

Parmi les autres propositions du collectif : des salles informatiques accessibles, des parloirs en visio, des journées de découverte d’un métier à l’extérieur ou la possibilité d’avoir le statut d’auto-entrepreneur. Pour Léo, il faudrait aussi réduire drastiquement le coût du téléphone (qui est d’environ 20€ pour une demi-heure d’appel), voire donner un téléphone à chaque détenu avec 3 numéros gratuits.

De détenu dangereux à dessinateur

Un outil qui aurait facilité la vie d’Emile, des décennies de détention au compteur, qui a pu refaire sa vie grâce au lien créé avec des gens à l’extérieur. Condamné pour des braquages et catégorisé « détenu particulièrement surveillé », c’est dans les années 2000 qu’il décide « d’avancer positivement ». Armé de sa passion pour le dessin, il envoie une cinquantaine de lettres à des entreprises trouvées dans les pages jaunes pour obtenir du matériel informatique. À sa grande surprise, ses lettres passent les contrôles, et des réponses positives arrivent : un ordinateur doté de logiciels de graphisme lui sera envoyé.

C’est parce qu’il a pu publier des dessins qu’Emile, condamné à perpétuité, s’est réinséré dans la société Photo : Ichigo121212 / Pixabay / cc

Pendant deux ans, il apprend l’informatique sur le matériel installé à « l’école » de sa prison, puis envoie ses dessins à des journaux, dont un mensuel d’information dessinée. Il sera publié, et commence à voir une lumière au bout du tunnel :

« Quand j’ai vu mon nom à côté d’autres signatures, je me suis dit “T’es pas tout seul”. Chaque jour, je m’endormais avec des projets pour le lendemain. »

Puis, c’est sa visiteuse de prison qui lui offre l’opportunité de sa vie : lors d’un événement à Strasbourg, elle montre ses dessins à un cadre des Dernières Nouvelles d’Alsace. Celui-ci vient le voir en prison et publie son premier dessin. Une chance inouïe pour Emile :

« Pendant 7 ans, j’ai publié chez eux, et je gagnais 51€ la pige ! Pour moi, c’était énorme. Cette rencontre m’a permis de grandir. Je faisais tout pour m’en sortir, pour essayer de rejoindre la société. »

Il finit par sortir en liberté conditionnelle après une réduction de sa peine de sûreté, travaille comme graphiste pour deux magazines de sport, puis se met à son compte. Entre-temps, il s’était essayé à la caricature, ce qu’il continue de faire aujourd’hui. Il estime que son cas était exceptionnel, qu’il a eu dans chaque établissement « l’occasion de rencontrer une « lumière » : un surveillant interpellé par sa démarche, un professeur, quelqu’un qui avait le bon conseil ».

« Ne pas les lâcher »

La continuité de son travail, c’est ce qui a maintenu Émile à flot, mais ce n’est pas toujours possible pour les détenus. Geneviève (le prénom a été changé), qui anime des ateliers d’écriture à la maison d’arrêt de Colmar, raconte que certains détenus avec qui elle reste en contact sont sortis depuis plusieurs mois et restent toujours sans emploi, « sans aucune perspective ». Mick, lui, pense qu’il faudrait « un réel suivi social et administratif » après la peine.

C’est la voie que propose Emmaüs Mundolsheim, en organisant des chantiers d’insertion au centre de détention d’Oermingen. Tous les jours, une dizaine de détenus s’affairent pendant plus de 5 heures à restaurer les meubles de donateurs, rapporte Stefania Angioni, coordinatrice :

« Ils travaillent avec un menuisier de profession et, pendant 4 à 6 mois, acquièrent des compétences qui leur serviront à l’extérieur. »

Surtout, ils bénéficient d’un accompagnement administratif et social dès la détention, et jusqu’à après la sortie (sur le logement et les soins aussi), « pour ne pas les lâcher », indique Stefania. Depuis le mois de janvier 2021, 4 de ces anciens détenus ont pu être embauchés à Emmaüs, sur des postes de polyvalents, de vendeurs ou chauffeurs. Après 5 ans d’expérience au centre d’Oermingen (« les noces de bois ! » s’amuse-t-elle), Stefania et son équipe vont développer le même type de chantier à la maison d’arrêt de Strasbourg, avec de la réparation de cycles. À terme, ils comptent accueillir des détenus en fin de peine dans une ferme d’insertion de la vallée de la Bruche.

Car pour le collectif Walden, l’avenir est dans les peines en milieu ouvert et notamment dans les Travaux d’Intérêt Général, insiste Jean-Philippe :

« L’idéal serait de ne plus avoir obligatoirement des gens en prison, mais plutôt des gens qui viennent travailler en entreprise et qui font du TIG. Cela réduirait aussi le coût des prisons. »

Avec les 70 propositions de leur livre, dont celles d’assurer des cellules individuelles ou d’augmenter l’offre d’accompagnement psychologique (« le plus important », selon Léo, car « il faut que les gens croient en eux »), le collectif espère faire baisser la délinquance de 20 à 30%.


#réinsertion

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