Confidentiel. C’était le mot d’ordre de la réunion Europa Vallée du 7 juillet 2025. Le compte-rendu des échanges porte cette mention en lettres capitales, en arrière-plan. Le président de la communauté de communes du canton d’Erstein (3CE) Stéphane Schaal l’a aussi répété, en introduction de la rencontre à Benfeld. Cette dernière a commencé par un tour de table, permettant à la vingtaine de participants de se présenter : le sous-préfet de l’arrondissement Sélestat-Erstein Michel Robquin ainsi que d’autres agents de l’État (Dreal, DDT, ONF, DGFIP…), la maire de Diebolsheim Brigitte Neiter, des cadres de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), de l’Agence de développement d’Alsace (Adira) et de la Région Grand Est. Et bien sûr, des représentants du porteur de projet, la société Mack One. Ses actionnaires, la famille Mack, sont aussi aux commandes d’Europa-Park.
Tout ce beau monde accepte de garder le secret sur le projet Europa Vallée à six mois d’un scrutin crucial pour ce dernier. Comme l’a conclu Stéphane Schaal à la fin de la réunion, « ce dossier ne doit pas être un sujet pour les élections municipales à venir ». Surtout pas.
Un projet revu à la baisse
Le directeur de la société Mack One, Moritz Feninger, commence par décrire « l’intention de projet ». Il annonce un périmètre abaissé de 240 à 56 hectares. Sur cette surface, un « village de Madame Freudenreich » serait construit sur quatre hectares. Typiquement alsacien, le village proposerait des ateliers de travail du bois et de la terre, « une collaboration avec les écoles de la région » et des « cours de langues immersifs ».
La famille Mack ambitionne de construire un autre « village d’expériences » sur huit hectares. Le directeur de la société Mack One évoque « un lieu d’expérimentation de nouveaux modes d’agricultures ». Des « partenariats avec agriculteurs et artisans locaux » permettraient de vendre des produits locaux dans des boutiques.
Un complexe hôtelier
Mais les propriétaires du plus grand parc d’attractions d’Allemagne ne sont pas là pour promouvoir la poterie et la culture de lin. Voici que Moritz Feninger aborde les « 12 hectares consacrés à une zone de baignade comprenant un lac naturel sur huit hectares et une piscine de quatre hectares ». Puis le directeur passe au complexe hôtelier dont la famille Mack rêve en Alsace :
« Neuf hectares consacrés à l’hébergement pour trois à quatre nuits (200 chambres d’hôtel à quatre personnes, 50 bungalows à six personnes, 100 bungalows à quatre personnes et 60 tentes glamping (du camping version glamour, NDLR) pour trois personnes. »
La société Mack One attend 200 000 visiteurs par an pour ce complexe qui serait constitué à « 57% d’espaces verts, 21% de chemins, 20% de bâtiments et 2% autres ». Le nombre d’emplois directs se situerait entre 300 et 400 personnes dès l’ouverture. Et Moritz Feninger de rappeler « pour information : Europa-Park à Rust représente 6 000 salariés et 8 000 indirects ». L’investissement initial pour Europa Vallée est estimé à 150 millions d’euros.
« Seul endroit où il y a du vide »
La réunion évoque aussi la localisation du projet Europa Vallée, au sud-est de la communauté de communes du canton d’Erstein. Son président Stéphane Schaal assure que « l’emplacement du projet actuel a été choisi après une analyse approfondie de toutes les contraintes (corridors écologiques, zones humides) ». Le maire de Limersheim estime qu’il s’agit « du seul endroit où il y a du vide sur les cartes ».
Le terrain choisi pour le projet de la famille Mack se situe « sur la gauche de la route départementale qui descend de Rhinau à Marckolsheim, dans une zone principalement agricole (mais) dont le rendement n’est pas optimal selon les agriculteurs locaux ». Une « grande prairie » se trouverait au nord de la parcelle, ainsi que des « zones humides remarquables » à l’Est. Selon le compte-rendu, « 22 propriétaires de terres agricoles » seraient concernés par le projet. La CeA pourrait porter un remembrement pour gagner en productivité ce que les agriculteurs perdraient en surface ».
Représentante du syndicat FNSEA au niveau du canton de Benfeld, Claire Dutter indique qu’elle n’a pas reçu d’informations précises sur Europa Vallée : « Tant que nous n’avons pas de concret, nous ne pouvons pas travailler sur le projet. Actuellement, nous sommes protégés par le statut du fermage (le cadre juridique de référence en matière d’accès au foncier agricole en France, NDLR). Rien ne se fera sans l’accord des agriculteurs. »
Deux premiers échecs
La réunion a ensuite porté sur la planification du projet. Du côté de la mairie de Diebolsheim, le conseil municipal doit modifier le Plan local d’urbanisme pour rendre constructibles les zones agricoles concernées. L’intégration d’Europa Vallée dans le Schéma de cohérence territoriale de la région de Strasbourg (Scoters) est aussi évoquée. Révélée par Rue89 Strasbourg, cette ambition portée par la CeA avait échoué. Le projet d’Europa Vallée semblait trop imprécis pour être mentionné dans le document d’orientation et d’objectifs (DOO).
Autre échec préliminaire pour Europa Vallée : l’intégration du projet au Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Dans une lettre, Stéphane Schaal et la présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, Pia Imbs, ont demandé que le projet de la famille Mack soit intégré à l’enveloppe régionale dédiée à l’artificialisation des sols. Contacté, le président de la communauté de communes du canton d’Erstein explique la démarche : « Une zone d’activité de 50 hectares consommerait toute l’enveloppe du canton (dédiée à l’artificialisation des sols, NDLR). Donc on a demandé qu’Europa Vallée soit pris sur l’enveloppe régionale. » La commission régionale compétente a repoussé la demande, estimant que le projet ne faisait pas consensus.
« La réalisation d’un lac sur une zone humide interroge »
Compte-rendu confidentiel d’une réunion Europa Vallée
La poursuite des ambitions de la famille Mack commencera par des études. Ces dernières porteront tout d’abord sur l’environnement, une thématique primordiale dans ce dossier. Ainsi, une étude d’impact sur la faune et la flore sur 4 saisons était planifiée pour l’été, puis reportée à l’automne 2025. Le bureau d’études Serue, missionné pour une assistance à maîtrise d’ouvrage, a aussi présenté les procédures liées aux espèces protégées et à la loi sur l’eau dans le cas où un ruisseau ou un plan d’eau serait aménagé. « La réalisation d’un lac sur une zone humide interroge (point de difficulté important) », note le compte-rendu de la réunion.
Des études jusqu’en janvier 2027
En parallèle, des études porteront aussi sur le réseau de bus et cyclable. Suite au moratoire sur le projet de téléphérique franco-allemand, la société Mack One semble prête à renoncer à ce mode de transport. Elle souligne néanmoins la « nécessité de solutions alternatives (trains, cheval, bac pour piétons et cyclistes) » pour relier les rives française et allemande. D’autres analyses devront préciser les besoins en logements pour les employés d’Europa Vallée. La coopération avec les offices de tourisme doit aussi être organisée… L’objectif est de permettre d’initier les procédures d’autorisation à compter de janvier 2027. Un premier comité de pilotage, en présence du président de la CeA Frédéric Bierry (Les Républicains), du président de la Région Grand Est Franck Leroy (Horizons) et du préfet du Bas-Rhin Jacques Witkkowski est aussi évoqué « pour lancer les opérations ».
Sollicité à plusieurs reprises, le directeur de la société Mack One n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. La présidente de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) Pia Imbs n’a pas répondu à notre sollicitation. La maire de Diebolsheim Brigitte Neiter n’a pas réagi non plus.



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