
Au Premium, projet immobilier à proximité du tribunal à la place de l’ancien garage Kroely, les résidents seront aisés. Et pour eux, une ville dans la ville avec pôle médical, commerces et bureaux… Un concept de « belle vie » breveté par les promoteurs, et un exemple de la gentrification du centre-ville, qui agace les riverains.
Sept étages, 20 000 m², 70 logements dont 9 « villas sur toit ». Le Premium, dont le coût global est estimé à 50 millions d’euros par son promoteur Patrick Singer, est sur le point d’être finalisé. Le complexe s’offre même un record, celui du « plus grand mur végétalisé privé en Europe ».
Pour espérer habiter la poignée d’appartements encore invendus, il faudra débourser 4 500€ du mètre carré pour les appartements et 6 500€ pour les villas (cher, mais pas délirant). Le plus petit logement avoisine les 70 m² et les villas dépassent allégrement les 200 m². Surtout, on notera la taille des terrasses. Les plus grandes font environ 245 m², verdies, avec jacuzzi en prime. Pas de doute, Patrick Singer s’adresse aux préretraités aisés (55-60 ans), disposant d’un patrimoine et d’un certain niveau de vie. Il les présente comme des personnes venant à « 80% » de Strasbourg même, de l’Orangerie, de la Robertsau, de la Wantzenau (et probablement des villages aux alentours) :
« C’est un phénomène de notre société, il y a un grand retour dans le centre-ville. Ce sont des gens qui avaient construit des maisons ou acheté des appartements, qui avaient des enfants qui sont partis. Ils ont maintenant de nouveaux besoins. Ils ont l’habitude de vivre dans de grands logements tels qu’on n’en construit plus aujourd’hui. S’ils veulent retrouver le centre-ville sans avoir l’impression de dormir dans des cages à poules, ils veulent un séjour de 50 m², une chambre de 25 m², avec de grandes terrasses ».
Impressionnant ? Pourtant, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ce qui fait la valeur ajoutée du Premium, et sa singularité, ce sont ces trois mots : Sweet Life Concept ®. Une marque déposée.
La belle vie, un concept breveté !
Patrick Singer explique ce que cache ce slogan :
« Nous avons pu déposer un brevet qui s’appelle « l’offre globale ». Des bâtiments de commerces, ça existe, des bâtiments de bureaux, ça existe, des bâtiments d’appartements, ça existe. Mais cumuler tout ça en centre-ville, ça n’existe pas en France. C’est une première. »
Et pour cause, le Premium est une vraie ville dans la ville. Outre des bureaux d’avocats, d’agents comptables et d’experts en gestion de patrimoine, les résidents retraités – fatalement âgés – pourront compter sur un pôle médical de 700 m², accueillant en son sein un cardiologue, un rhumatologue, un psychologue, un angiologue. En dehors de ce pôle, Patrick Singer annonce un kinésithérapeute, un dermatologue, un dentiste, un pédiatre et peut-être même un médecin généraliste.
À cela s’ajoute un supermarché de 640 m², ainsi qu’une panoplie de commerces de proximité encore à définir et d’un très probable restaurant. La partie ancienne du bâtiment, elle, a été revendue pour y établir un hôtel quatre étoiles.
Mais le clou du spectacle est encore à venir : il s’agit du concept de conciergerie privée ou domestique, assurée par une entreprise externe, dont la mission n’est pas de garder l’immeuble, mais d’offrir un service haut-de-gamme. Patrick Singer en dit plus :
« C’est comme dans un room service d’hôtel, si vous êtes avec une chouette nana à deux heures du matin, vous téléphonez pour commander une bouteille de champagne et on vous la livre. Là ça sera pareil : si vous souhaitez qu’on vous amène votre voiture, qu’on vous conduise à l’aéroport et qu’on vous ramène 15 jours plus tard, qu’on fasse le ménage chez vous, qu’on vous cherche un ticket d’opéra, c’est possible. Ce n’est pas dans les charges, c’est une prestation à la demande. »
Une bulle fermée dans l’hyper-centre ?
Forcément, un tel dispositif rappelle avec insistance les gated communities, ces résidences fermées et recroquevillées derrière des barrières et un système de vidéosurveillance où se côtoie une même classe sociale cultivant l’entre-soi. Généralement, au sein de ces communautés existe cette qualité de service, pour précisément éviter aux résidents d’avoir à en sortir. Si Patrick Singer admet que la résidence sera « sécurisée » la nuit, il réfute l’idée d’un lieu cloîtré. Il pointe la nécessité économique du pôle médical et des commerces à s’ouvrir à une clientèle plus large :
« Ce n’est pas un couvent qu’on a créé. Il va y avoir une attirance des gens au Premium pour les commerces, le pôle médical. On l’a créé pour mettre des services en commun ensemble, l’avenir des médecins c’est le regroupement. »
Le promoteur souhaite tellement convaincre qu’il va jusqu’à affirmer que l’architecture du complexe est garante de la circulation des personnes extérieures :
« Nous avons une place qui s’appelle Atrium et qui relie de manière piétonne la rue du Fossé-des-Treize au Faubourg-de-Pierre par l’impasse de la Pie. »
Pour autant, si les barrières seront absentes en journée, un mur plus subtil, plus insidieux, risque de s’ériger, celui de l’embourgeoisement patent du centre de Strasbourg. Autrement dit, le mur de l’argent.
L’éviction des classes sociales inférieures
On remarquera que les chantiers du centre de Strasbourg, le W place Haguenau, l’îlot du Printemps voire les Docks à la presqu’île Malraux participent à la montée en gamme du centre-ville de Strasbourg. Si Maurice Blanc, professeur émérite à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional de l’Université de Strasbourg se garde bien de juger une situation en cours, il explique comment s’articule le phénomène d’éviction des classes sociales inférieures dans un quartier donné.
Le phénomène, « imperceptible », se déroule sur « plusieurs décennies » et en plusieurs étapes. D’abord, des personnes « pionnières », une petite bourgeoisie, des artistes, des étudiants s’installent dans un quartier populaire en vantant son histoire, son architecture (classée de préférence), sa mixité, sa vie de quartier. Ces personnes investissent les logements, les rénovent et participent in fine à sa disparition. Les habitations prennent de la valeur, les propriétaires réalisent des plus-values et poussent les ménages les plus fragiles vers la sortie : ceux qui étaient là avant. Maurice Blanc cite l’exemple des Halles :
« Vous avez des résidences de moyen-standing qui ont été créées autour des Halles. La population pauvre qui habitait ce vieux quartier s’est soit relogée par ses propres moyens dans des quartiers insalubres, soit a été relogée à Hautepierre, à Schiltigheim ou autres. »
C’est ce que l’on appelle la gentrification : l’investissement d’un quartier par un attrait architectural et culturel par une classe supérieure. La gentrification est l’une des nombreuses formes d’embourgeoisement. Un embourgeoisement qui peut passer à une phase massive au fil des ans et qui ressemblerait bien à ce qui se déroule dans l’hyper-centre :
« Ces individus pionniers du début sont rattrapés. Quand les promoteurs immobiliers vont prendre un immeuble ou tout un îlot, ils seront chassés car ils n’auront pas les moyens de rivaliser avec les promoteurs et surtout, leur clientèle. »
C’est le phénomène d’éviction des classes qui se rejoue encore une fois, après le départ des classes populaires. Comme l’explique Maurice Blanc, une fois la nouvelle clientèle arrivée, c’est le quartier tout entier qui change, petit à petit, en se mettant au diapason :
« Les petits commerces qui restent sont ceux qui s’adaptent à la clientèle nouvelle ou qui seront remplacés par tout autre chose. Si c’était une épicerie, ça deviendra une épicerie fine. Les commerçants maghrébins qui faisaient du couscous font maintenant du couscous royal. Les bistrots deviennent des salons de thés et des bars à vin. […] Quand le mouvement s’amplifie et devient massif, cela devient une mise à l’écart des anciens habitants et même s’ils restent, ils ne s’y retrouvent plus, ils n’ont plus les magasins dans lesquels ils avaient leurs habitudes, les prix ont changé. Les habitants sont poussés vers la sortie, même si certains résistent. »
Les riverains se sentent ignorés par la municipalité
Les riverains, justement, dont certains sont déjà échaudés par le chantier de l’îlot du Printemps dans la rue Marbach, voient d’un mauvais œil ces changements radicaux qui se réalisent dans le quartier sans concertation préalable, mis à l’écart, à dessein selon eux, pour ne pas entraver le projet de « rayonnement » strasbourgeois. Régine Dietrich, membre de l’association des Riverains du Printemps, qui exprime son malaise :
« Ils peuvent venir dans le quartier mais ne sont pas obligés de chasser les autres. On voudrait que ça reste humain, on a une vie de quartier. »
Stéphane Boof, président de l’association Stra.Ce (Strasbourg Résidents et Amis du Centre-ville), s’il se montre plutôt favorable à la densification du centre-ville et à l’accueil de nouvelle populations, regrette que la municipalité ne se fasse pas le médiateur entre riverains et promoteurs privés :
« Il y a de l’humain derrière tout ça. Le citoyen est révélateur de sa vie de quartier, il ne faudrait pas qu’il le quitte par exaspération. Il existe des formes d’écoute possibles. J’attends de la prochaine équipe, quelle qu’elle soit, d’exprimer clairement leur vision de l’urbanisme et du quartier. »
C’est ce que regrette Régine Dietrich, estimant que « la cohabitation avec les habitants du quartier n’est pas prévue ». « À quoi ça sert d’avoir des pouvoirs s’ils ne peuvent pas intervenir ? » accuse François Weber, de l’association des Riverains du Printemps. Il pointe « le risque d’une agressivité préalable » auprès des nouveaux habitants. « D’emblée, ils en feront les frais, alors qu’ils ne le méritent pas », regrette t-il.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Riverains du Printemps : « Sacrifiés au profit des promoteurs »
Sur Rue89 Strasbourg : Journal de rase campagne (5) : ils veulent « faire rayonner » Strasbourg
Les sympathiques jeune de la nouvelle chance pour la France fracassent la voiture ou qui rentrent dans le jardin d'un retraité de ma connaissance, juste pour degrader sa terrasse.
De fait, avec un si bon voisinage, il a peur et souhaite aller dans un milieu sécurisé... Méchant retraité qui ne se laisse pas maltraité ni voler sans rien dire...
La fuite des gens aisés, vous appelez ça justice sociale non?
Le problème est plus profond et le premium n est que la conséquence de clivage et d un état d esprit égoïste a tout les niveaux de la société.
Je ne vois aucune embellie dans un avenir proche si nous ne changeons pas notre approche des problèmes sociaux.
Un n y a ni bon ni méchant dans ces histoires.
J'avais une galerie, la Galerie Nocturne, dans cette fameuse rue Graumann, accolé au garage Mercedès.(voir photo de l'article)
Mais comment proposer une exposition avec un vacarme pareil. De plus, je travaillais et vivais dans le sous-sol que j'avais aménagé.
Au bout d'un moment, les marteaux piqueurs vous rendent fou !
5 mois après le début des travaux, j'ai dû quitter les lieux.
Le commerce d'en face, l'Indian Bazar, a tenu un an de plus, mais après avoir subi une baisse importante de sa clientèle, il a dû fermer !
Incontestablement et avec un an de retard dans les travaux, ce projet a littéralement détruit la vie de cette rue Graumann et le moral de ces habitants !
Bonne journée
mon dieu mon dieu vali mais RACONTEZ nous ! ils dépensaient où ? quoi ? du champagne , du caviar , de la haute couture , où mangeaient-t-ils , y zavaient quoi comme super ouature … dites nous tout siouplait vali ce serait passsssssionnant , pliiiize . Je veux savoir comment était la vraie vie des gens avant l'arrivée de la pourriture socialocommunisse
Quand on voit le nombre de projets haut de gamme qui fleurissent en ville je ne suis pas sûr qu'ils sen aillent tous, du moins je l'espère.
Mais je suis d'accord avec vous, la mentalité misérabiliste de certains intervenants sur ce sujet est consternante et révélatrice d'un état d'esprit dans ce pays qui est assez flippant.
(en espagnol bobo veut dire dingue..) me parait seul a convenir Si vous avez des doutes allez donc voir ou revoir le film argentin "la zona" que je citais plutôt.
Vous n'avez absolument aucune classe. Dommage!
Ne parlons même pas de la chouette nana. Ouah, génial,
Selon moi à cette description ne manque que la zone surgelée de conservation des candidats à la réincarnation future à moins qu'un casier individuel ne soit planqué à la cuisine..
J'ai l'impression que le scénario de ce paradis a directement été piqué dans le film la ZONA " réalisé par Rodrigo Pla, avec Daniel GIMENEZ CACHO, Maribel Verdù, Carlos Ba...
Date de sortie : 26 mars 2008
Réalisé par : Rodrigo Pla Titre original : La Zona
Avec : Daniel GIMENEZ CACHO, Maribel Verdù, Carlos Bardem, A."
Pour ceux qui ne connaissent pas encore demandez à l'odyssee de le remettre à l'affiche de son prochain festival hispano-latino: ça vaut le détour!..
aucun urogynécologue n'a prévu de s'installer
pas de taxidermiste non plus, encore plus bizarre
ah si j'ai bien compris le sous entendu "si vous êtes avec une chouette nana à deux heures du matin....." il y a aura un bordel intégré, c'est vrai qu'avec le viagra ..........
et le dermatologue sera aussi Vénéréologue
Tu pourras en faire d'autres, des "Sweet Life Concept" avec "chouette nana inside" ;-)
Je n'irais pas voir cela comme un "danger" pour le quartier. Pour de la gentrification, il faut quand même un effet de masse. Nous y sommes pas encore.
En tous les cas, je ne sais pas qui leur à fait le film ? C'est un peu la totale. Entre la musique, le style du gars, la présentation.... Ca pique les yeux (et les oreilles) quand même. A le voir, je dirais que la clientèle est celle du public de la boite de nuit strasbourgeoise toute proche... hé, hé !!
Dommage
Le quartier gare pourrait se gentrifier dans le futur par exemple, mais le reste du centre ville n'a jamais été pauvre.
c'est depuis la fin des années 80, et avec, curieusement (ou pas) l'arrivée du PS à la mairie et les changement urbanistique avec le tram que les choses se sont accélérés (il y a de bonnes chances qu'avec une municipalité d'un autre bord le résultat aurait été le m^me)
Mais ne pas oublier que la gentrification a plusieurs étapes:
1 vrais pauvres
2 artistes à la recherche d'ateliers pas chers
3 étudiants et jeunes à la recherche d'endroits cool et pas trop chers
4 jeunes familles et classes moyennes à la recherche d'endroits centraux, sympa, et abordables
5 personnes aisées à la recherche d'endroits qui ont du style et un bon rapport qualité prix
Dans la Grand-Rue, on est en étape 4 (preuve en est de l'Artichaut, des boutiques de jus bio, chocolatiers,...). A quand la 5?
Krutenau? Pareil. Si ce n'était les problèmes de stationnement et les dégradations nocturnes, on serait sûrement en 5
Bref, on participe tous à la gentrification, et il ne faut pas oublier qu'elle apporte des avantages:
- mixité sociale et d'âge
- ramener les aisés en ville, où ils paieront leurs impôts locaux qui bénéficient à la communauté
- densification de l'habitat, réduisant la pression transport
Bref, tout n'est pas négatif dans cette gentrification, tant qu'elle n'avale pas tout et que la mixité garde sa place, tout le monde en bénéficiant. C'est l'effet gated community qui est lui négatif
La gentrification , pour vous reprendre, "avale" tout : l'offre commerciale du quartier suit le profil de ses habitants, au mépris de la diversité des échoppes qui existe actuellement dans le quartier.
Et pour finir concernant une possible réduction de la "pression transport", ces habitants ont les moyens d'entretenir une (ou plusieurs) voiture, alors si en plus la résidence propose des garages...
Faut-il alors encourager l'émigration des aisés vers les villages cossus, appauvrissant ainsi plus la ville?
Surtout, mon message avait aussi une touche d'ironie, dans la mesure ou nous sommes chacun la gentry de quelqu'un d'autre (sauf pour les plus pauvres, et encore): les classes défavorisées voient sûrement arriver les artistes d'un mauvais œil, puisqu'ils sont responsables de la hausse des loyers. Pareil pour les artistes envers les jeunes, etc
sauf pour les étapes on est passé au 5 depuis un moment à la krutnau et grand rue, en tout cas à l'achat.
plus rien d'abordable (ou alors on a pas la même notion d'abordable pour des jeunes famille de classe moyenne)/
ou alors des ruines à rénover entièrement mais dans ces cas là c'est l'immeuble entier qui est à rénover et il n'y que les promoteurs qui peuvent se permettre l'achat.